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Vins de Bordeaux: en plein arrachage, une passion s’enracine
Alors qu’un millier de viticulteurs girondins s’apprêtent à arracher toute ou partie de leur vigne, Paul Guillet démarre son premier décuvage à la tête du Château Mazerolles en appellation Blaye Côtes de Bordeaux. Et il y croit.
Paul Guillet dans une cuve de son chaiPaul Guillet

Premier décuvage pour Paul Guillet, qui a pris la tête du Château Mazerolles en appellation Blaye - Côtes de Bordeaux

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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 13/10/2023 PAR Solène MÉRIC

Pour s’installer vigneron en appellation Blaye Côtes de Bordeaux , en pleine crise viticole, il faut du cran et de l’audace. Paul Guillet, 53 ans n’en manque sans doute pas, mais il mesure le risque aussi. Il apprend, analyse, compare, s’investit, ne s’arrête pas aux « on dit » et garde quelques certitudes pour lui. Et le monde du vin ne lui est pas inconnu, loin de là.

J’achetais pour 20 M€ de vin par an, dont 35 % en Bordeaux.

Le nouveau propriétaire des 12 hectares du Château Mazerolles à Saint-Martin-Lacaussade, est en effet un des meilleurs experts mondiaux de la commercialisation du vin. Avec un profil initial de « commercial entrepreneur en informatique », son CV parle pour lui. C’est lui qui a développé la plateforme de vente en ligne des Vignerons Indépendants, en tant que directeur commercial de Plugwine. Près de 800 vignerons lui doivent leur passage au digital.

Quand Vivino, première communauté mondiale de consommateurs de vin (70 millions dans le monde, 4 millions en France) cherche à développer sa communauté et sa place de marché digitale en France, c’est lui aussi qui relève le pari. « J’achetais pour 20 M€ de vin par an, dont 35 % en Bordeaux. La moitié auprès du négoce pour les grands crus, l’autre moitié auprès des producteurs ». Avec un tel portefeuille, la prise de risque, et la prudence, ça le connaît. Le vignoble bordelais aussi.

Passion du vin et des terroirs

Ce que son CV ne dit pas, c’est que sa passion du vin et des terroirs, précède de loin ses expériences professionnelles. Entre une mère d’origine anglaise, amatrice de Sancerre ou de Chablis blancs, et un père provençal, ouvert aux crus classés bordelais, son éducation aux vins et à la dégustation est aussi ancrée en lui qu’elle est hétéroclite et sans chapelle. « C’est une chance d’avoir pu déguster beaucoup de vins de différentes régions assez tôt ans ma vie ».

À ses 25 ans, il arpente, pour son plaisir amateur, les allées du Salon des Vignerons indépendants Porte de Versailles à Paris, dont il est originaire. Découvrant des vins et des vignerons des quatre coins de France, le jeune homme en admire « le style et la passion à raconter leur vin et leur terroir ». Il est alors marqué par une dégustation « gourmande et chaleureuse de l’appellation Côtes de Blaye ». Un terroir qu’il découvrira ensuite au fil de ses pérégrinations professionnelles. « Les vignobles en côteaux, la Citadelle de Blaye… je suis tombé amoureux », lâche-t-il.

Je veux m’impliquer de « A à Z » dans la conduite du domaine, être acteur à toutes les étapes et comprendre pourquoi tel choix est meilleur qu’un autre.

Quand lui vient à l’esprit qu’à son tour il pourrait « être acteur, et non plus seulement promoteur des vignerons », c’est à ce coin de Gironde qu’il songe en premier. Il étudie de nombreux dossiers de châteaux en vente sur différentes appellations girondines avant de se décider, avec le coup de pouce expert de la Safer, pour le Château Mazerolles et sa production de vins rouges. « Un joli terroir, typique des anciennes Premières Côtes de Blaye. Sa proximité de Bordeaux, où j’habite, me permet d’être présent tous les jours sur le domaine lors des périodes clés », et d’y passer les week-end en famille. « L’idée de retour à la terre et de transmission de ces valeurs à mes enfants est aussi importante dans mon installation », confie-t-il. Le choix pour cette propriété aux 19 parcelles en Merlot ( 80%), Cabernet Sauvignon(15 %), et Malbec (5%), c’est aussi « une histoire d’hommes » et de transmission réussie avec l’ancien propriétaire.

Un métier de persévérance

Si Paul Guillet connaît ses atouts, il est aussi lucide sur ses faiblesses. « Je veux m’impliquer de « A à Z » dans la conduite du domaine, être acteur à toutes les étapes et comprendre pourquoi tel choix est meilleur qu’un autre. Je ne veux rien sacrifier à la qualité ». Pour ce faire, il suit pendant huit mois, un master viti vini à Bordeaux Sciences Agro en formation continue. Entre stages, cours théoriques et vie professionnelle, les premiers pas de Paul Guillet en viticulteur au côté de ses trois salariés, sont « intensifs ». Il découvre aussi un aspect qu’il sous-estimait jusque-là : « la solitude du vigneron face aux multiples choix auxquels il doit faire face, dans un monde qui évolue constamment. » Opérationnel depuis cet été, il le mesure déjà : « C’est un métier qui demande de la persévérance, c’est passionnant ! ». Il faut être au four et au moulin, aux subtilités douanières comme au choix du porte-greffe.

Deux bouteilles de vin rouge du Château Mazerolles - AOC Bordeaux Côtes de BlayePaul Guillet

Le Château Mazerolles produit 55 000 bouteilles par an. Uniquement des vins rouges en AOC Blaye Côtes de Bordeaux.

S’il est un domaine, où Paul Guillet est déjà totalement maître de ses choix, c’est la commercialisation. « Il faut 3 ans pour sortir une bouteille. 3 ans de travail pour 4 personnes, ça doit se payer. » Sur ce point, il ne transige pas. Il a d’ailleurs déjà « tout arrêté  avec les négociants vrac », qui écoulaient jusque-là 25 % de ses volumes au cours « désastreux » du marché. « Je peux me le permettre parce qu’avec une production de 50 000 bouteilles, je n’ai pas de problème de volumes à écouler rapidement. », reconnaît-il volontiers.

Investir dans la recherche et la rencontre d’importateurs

Se gardant bien de leçons de morale auprès des nombreux vignerons « pressurisés et coincés avec des prix à 900 euros le tonneau », l’aisance que lui donne sa petite production, et sa trésorerie, lui permet d’investir dans la recherche et la rencontre d’acheteurs « pouvant devenir importateurs pour le Danemark, l’Allemagne, les Pays Bas,… ». Si la crise viticole du Bordelais ne l’a pas freiné, c’est parce qu’il sait que « la marque Bordeaux est extrêmement forte à l’export. Il faut reconquérir les marchés internationaux et européens traditionnels qu’on a délaissés depuis les années 2000 ! Il n’y a pas de désaffection pour la marque Bordeaux, mais il faut aller là où il y a de la demande et ne pas se limiter à certains types de consommateurs. Ce n’est pas simple, mais ces choix un jour paieront ».

Sur le marché français, son refus de la grande distribution, « qui tire les prix vers le bas » est tout aussi catégorique. Il cible les cavistes et les restaurateurs, quitte à assurer les dégustations. Et ce n’est pas un sacrifice. « Raconter le Blayais, le domaine, son histoire… échanger, c’est passionnant. Donner du plaisir au consommateur, c’est passionnant !». À entendre son enthousiasme, Paul Guillet est bel et bien désormais un de ces vignerons « passionnés et passionnants » qu’il a longtemps lui-même admiré, et un espoir pour les vins de Bordeaux.

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