Mobilisation agricole: « La cocotte minute explose… enfin! »


Alors que les manifestations agricoles se poursuivent, Aqui promène son micro à la rencontre d'acteurs impliqués mais pas forcément très visibles. Nicolas Bernatas, éleveur en Béarn, n'est absolument pas surpris par l'ampleur de la colère.

Nicolas Bernatas sur son exploitationNicolas Bernatas

Nicolas Bernatas, éleveur laitier près de Pau, appartient à l'organisme de producteurs Sunlait, actuellement dans un bras de fer avec l'industriel Savencia. A l'origine de la mésentente un désaccord sur le prix du lait payé aux éleveurs.

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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 01/02/2024 PAR Solène MÉRIC

Nicolas Bernatas est éleveur laitier en Béarn. Sur l’exploitation, deux familles sont associées pour l’élevage de 120 vaches laitières et la culture, essentiellement, de maïs. Il est aussi impliqué au sein du groupement de producteurs laitiers Sunlait.

@qui ! : Quel est votre regard sur la mobilisation agricole soudaine dont l’ampleur, vue de l’extérieur, a pu paraître inattendue.

Nicolas Bernatas : Il n’y a rien d’inattendu. J’ai même envie de dire: Enfin! . Cette mobilisation, c’est une cocotte minute qui explose après avoir été remplie depuis plusieurs années de réglementations et de sur-règlementations toujours plus incohérentes. Ça fait 30 ans que les exploitations agricole font des gains de productivité tout à fait exceptionnels. Sur mon exploitation, à la création du GAEC dans les années 90, cinq personnes en vivaient, avec une production de 700 000 litres de lait. Aujourd’hui, on a quasiment doublé la production, avec 1,2 M litres de lait à l’année et on est trois…

Tous les gains de productivité réalisés ont été absorbés par des augmentations de charge, par des mises aux normes, des surcoûts divers et variés. En face, les prix payés au producteur augmentent très peu voire stagnent, parce qu’il y a une concurrence internationale, déloyale et féroce, qu’on ne peut plus compenser par du volume à cause des problèmes de main-d’oeuvre. Toutes ces réglementations sont aussi une charge mentale de plus en plus dure à supporter. Aujourd’hui, on ne sait pas quel peut être l’avenir du modèle de l’exploitation familiale à la française.

@! : On peut parler de péril du modèle agricole français ?

N.B. : Clairement. Si la mobilisation actuelle n’a pas d’impact et de résultats concrets, le modèle de petites et moyennes exploitations que l’on connaît est vraiment en danger. C’est pour ça que la mobilisation est si forte: les gens sentent bien que c’est maintenant ou jamais. Ça devient vraiment un enjeu de renouvellement de générations et de souveraineté alimentaire.

@! : Vous évoquez les prix payés au producteur qui ne suivent pas la montée des charges, c’est le cheval de bataille central de cette mobilisation ?

N.B. : Tous les arguments sont portés. C’est vrai que selon les régions, il y a peut être des choses plus importantes que d’autres. Dans le Sud-Ouest, avec nos petites structures, s’il y a une seule revendication à retenir, c’est la loi Egalim avec des prix payés aux producteurs qui leur permettent de préserver la rentabilité des exploitations.

@! : Concrètement comment cela se passe-t-il pour vous ?

Nous sommes collectés par l’industriel Saventia. Les producteurs fournisseurs de  Saventia ont créé une organisation de producteurs, depuis la fin des quotas sur le prix du lait. Puis on a fédéré les organisations de producteurs territoriales en une organisation nationale (Sunlait) regroupant 1000 producteurs à travers la France. Ça nous permet d’avoir plus de moyens et de poids pour défendre nos intérêts.

Il ne s’agit pas juste de nos « avantages ». Ce qu’on défend, c’est de l’ordre du collectif, c’est pour tout le monde. Si on ne peut pas sauver les petites et moyennes exploitations alors, on laisse la place à l’agro-industrie.

On est même allé en justice parce qu’on a considéré qu’un contrat signé sur le prix n’était pas respecté. On a gagné en première instance, ils ont fait appel et on a perdu en décembre dernier. En réponse à ça, Saventia a dénoncé le contrat qu’on avait ensemble (qui se termine au 20 mars prochain) et décide de ne plus vouloir échanger avec nous. Selon nous, c’est une manière d’organiser la division des producteurs, de façon à discuter avec les organisations de son choix et dans les conditions qu’il souhaite. La loi nous donne le droit de nous organiser pour défendre nos intérêts mais en face, on a une fin de non-recevoir. 

@! : Qu’en est il alors de la loi Egalim dans ce contexte?

N.D. : Elle donne la possibilité de faire une médiation entre producteurs et industriels. On a souhaité mettre en oeuvre cette médiation en fin d’année, mais l’industriel a refusé de venir. On passe alors à une autre instance qu’est l’autorité des règlements de différends. On espère obliger Saventia à revenir en discussion avec nous, pour pouvoir poursuivre une relation au-delà du 20 mars, le temps que l’on puisse se retourner soit vers un ou plusieurs nouveaux acheteurs, soit négocier un nouveau contrat. On espère que la mobilisation actuelle aidera les industriels à réfléchir dans le bon sens.

@! : Y a-t-il de réelles perspectives de succès ? 

N.B. : On est combatif, mais on ne rêve pas non plus. On espère, on parle à nos députés et à nos sénateurs. Et la population nous soutient aussi dans la mobilisation en cours, c’est important car les gens nous comprennent, ils savent que ça concerne aussi ce qu’ils mangent tous les jours. Il ne s’agit pas juste de nos « avantages ». Ce qu’on défend, c’est de l’ordre du collectif, c’est pour tout le monde. Si on ne peut pas sauver les petites et moyennes exploitations alors, on laisse la place à l’agro-industrie.

@! : Ce qui pose question en matière d’objectif de transition environnementale sans doute ?

N.B. : Nous, les haies, on les a, la biodiversité, on l’a. On a des forêts partout, des prairies… On ne peut pas être les seuls à porter les risques de la transition écologique. Il faut revaloriser le métier d’agriculteur, ça ne peut passer que par là.

@! : Le métier n’est en effet pas épargné par les critiques sur ce plan. Et notamment l’élevage bovin…

N.B. : Ce qui est certain c’est qu’il y a plus de biodiversité autour d’un élevage que d’une exploitation céréalière. On a des hirondelles dans toutes les granges! Penser que le tout végétal va sauver la biodiversité, je n’y crois pas du tout. On ne peut pas avoir une vision uniforme sur tout le territoire. On espère que cette mobilisation amène un peu de cohérence dans les discours autour de l’agriculture, et ramène un peu les discours extrémistes… à leur place d’extrémistes.


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