Agriculture: « Plus que la crise, c’est le dernier espoir! »


Alors que les actions se multiplient sur les routes de nos départements, le désarroi des agriculteurs et des campagnes prend de l'ampleur. Pour Félix Noblia, paysan, expérimentateur en agrobiologie et maire rural, "On touche le fond". Rencontre.

Felix NobliaCyrille Pitois | Aqui

Felix Noblia, agriculteur et maire de Bergouey-Viellenave.

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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 25/01/2024 PAR Cyrille Pitois

Félix Noblia est le maire des 120 âmes de la petite commune de Bergouey-Viellenave, paysan lui-même et chercheur expérimentateur en agroécologie. Diplômé en biologie appliquée à l’agronomie, avec une option de valorisation des produits du terroir, il reprend l’exploitation de son oncle en 2008. Co-fondateur de ReGeneration, une start up bordelaise soutenue par villagebyca et La French Tech Bordeaux, qui accompagne le développement de l’agriculture régénératrice, il n’adhère à aucun syndicat agricole mais milite depuis longtemps pour une évolution des pratiques agricoles. Lui-même a arrêté de labourer depuis 2011.

Ses journées à la ferme alternent avec des nuits derrière l’ordinateur à confronter des expériences et préparer ses exposés dans toutes les campagnes d’Europe, à l’Elysée ou sur son réseau WhatsApp qui réunit d’autres agriculteurs comme lui, prêts à tester de nouvelles pratiques. Lauréat du trophée de l’agro écologie du ministère de l’agriculture, 2016-2017, il apporte aujourd’hui un soutien massif au mouvement de colère des agriculteurs.

@qui!: La mauvaise humeur des agriculteurs prend une ampleur inattendue. Pourquoi cette contestation surgit maintenant ?

Felix Noblia: Un seul chiffre. Aujourd’hui 20 % des ménages agricoles vivent en-dessous du seuil de pauvreté. On ne parle pas d’une crise mais d’un barroud d’honneur. On touche le fond. Il y a encore des systèmes agricoles qui s’en sortent mais beaucoup sont à bout de souffle. Et les plus touchés sont ceux qui sont pris en étau entre des terres peu productives et un climat qui part en vrille. Autrement dit, ça touche aussi bien les céréaliers que les éleveurs ou les vignerons. C’est pourquoi les paysans de Nouvelle-Aquitaine et d’Occitanie sont aussi engagés dans le mouvement. Soit il y a une brusque prise de conscience de la société et de nouvelles modalités de partage de la valeur, et on recommence. Soit demain nos campagnes seront désertes.

Il va falloir que quelqu’un paie : le consommateur, la puissance publique ou les entreprises sous forme de compensation environnementale.

@!: Qu’est ce qui s’est cassé dans la mécanique de la production alimentaire?

F.N.: Sur les vingt dernières années les agriculteurs ont encaissé une augmentation des charges de 30 %. Et depuis 2022 une nouvelle vague d’inflation de 30 % sur ces même charges. Avec des prix de produits qui n’ont pas bougé et des niveaux de subventions qui restent bas. Le résultat est un état économique global de l’agriculture qui est dramatique. Quel jeune va se lancer pour reprendre une ferme en sachant qu’il sera payé un euro de l’heure ? Tout ça pour que des urbains achètent de la nourriture à un prix très inférieur à ce ce qu’elle devrait réellement coûter.

Felix Noblia recevant le maire écologiste de Grenoble, Eric Piolle sur son exploitation en 2021.

@!: Est-ce qu’il y a au travers de ce mouvement, l’expression d’un ras­–le-­bol de la transition écologique à laquelle les agriculteurs n’aspirent pas forcément ?

F.N.: Le souci aujourd’hui, ce n’est pas uniquement les normes environnementales. C’est l’ensemble du poids administratif qui vient nous demander un travail toujours plus complexe et qui exige de plus en plus de temps. On nous demande toujours plus. Je ne vois pas d’autres portes de sortie qu’une redistribution de la valeur des produits et une augmentation générale des prix, ou alors une rémunération au juste prix des efforts environnementaux fournis par les agriculteurs. Quelle que soit la façon dont on regarde le problème, il va falloir que quelqu’un paie : le consommateur, la puissance publique ou les entreprises sous forme de compensation environnementale. Il y aussi des pistes à développer pour que les agriculteurs tirent des revenus d’activités nouvelles comme la méthanisation ou la mise à disposition du foncier pour le déploiement du  photovoltaïque.

@!: Il y a une forme d’urgence ?

F.N.: Ce n’est pas une crise. C’est le dernier espoir. La question est de savoir si nous serons encore là demain ou si nos campagnes seront vides. Le gouvernement n’a pas conscience de la déprise des campagnes, de l’abandon qui guette. On nous parle de réarmement mais aujourd’hui la résilience alimentaire de la France sur son territoire est bien mal en point. Si demain, on ferme les frontières, il n’y a plus rien à manger. Et l’agriculture ne pourra jamais s’adapter à la concurrence des pays où la main d’oeuvre est beaucoup moins chère.

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2 Comentaires

2 commentaires

  • Jacques, le 28/1/2024 à 15h43

    Les Statistiques Agricoles de l’INSEE le montrent bien, « l’Agriculture Française », une et indivisible n’existe pas. Mais accepter d’analyser et d’aider de façon distincte ceux qui dégagent un revenu inférieur au seuil de pauvreté (20% de la population agricole, déjà oubliés et déjà disparus?) parce qu’ils assurent par leur simple présence, et bien plus que d’autres, les « aménités rurales » de leur territoire, pose deux difficultés politiques: Cela risque de mettre en lumière l’autre bout de la chaine des revenus et cela pose évidement aussi un problème d’équité pour les autres travailleurs pauvres non agricoles.


  • tchoo, le 26/1/2024 à 12h08

    Ce genre de discours sur les prix n’est pas une issue. Il y a moyen, avec les prix consommateurs actuels que les producteurs soient mieux rémunérés. Faire porter le choix du prix au consommateur sert, en fait tous les intermédiaires qui font des marges au détriment des deux bouts de la chaine


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