Grasse, avec ou sans serif, en haut de casse, en italique ou carrément post-binaire, la lettre, ce petit signe « presque transparent, qui se balade partout et en permanence sous nos yeux », comme le signale le designeur Jean-Marc Saint-Paul de la Maison des Editions, a bien plus de secrets que vous ne l’imaginez. En trois salles, trois ambiances, l’expo Lettres d’amour (le s est important) révèle, jusqu’au 29 juin prochain, « les dessous des lettres », les méandres et perspectives du dessin de lettres contemporain.
Dans une approche résolument pluri-dimensionnelle, c’est bien tout un monde qui s’ouvre ici aux visiteurs et offre à penser quelque chose que l’on croyait à tord très commun, pour ne pas dire banal et facile. C’est passionnant, instructif et beau (même si ça n’est pas forcément l’objectif), une vraie déclaration d’amour aux lettres dont il ne faut pas se priver.
Entre rigueur et créativité
Trois salles, ça peut paraître peu mais si le visiteur se penche avec attention sur l’ensemble des propositions faites au long du parcours, il y a de quoi prendre le temps de nourrir les yeux et l’esprit. Parce que dans les lettres, au final rien n’est évident. Une lettre, c’est une histoire en soi. Une histoire de rigueur et de précision. C’est ce que l’on apprend dans la première salle de cette exposition à Billère, grâce à la mise en valeur du travail de la designeuse graphique et dessinatrice de caractères Emilie Rigaud.
L’épaisseur d’un trait, la courbe d’un arrondi, le choix des empattements, les niveaux de contraste entre les pleins et les déliés, bref, la direction artistique d’une lettre… sa forme minuscule, majuscule… Et le même travail est à faire pour les 26 lettres de l’alphabet, pour que de a à z, la police dessinée soit cohérente et uniforme dans toutes ses utilisations et variations possibles. Un travail de fourmi « qui peut prendre des années à se finaliser », au confins du sacerdoce et de la créativité.
Exploration, mouvement, liberté !
Après ce temps très didactique autour de la création typographique, la seconde pièce laisse « place à la liberté! », scande Ivan Bléau, autre graphiste et artiste membre du collectif la Maison des Editions. Une liberté militante avec l’exposition de 4 affiches sérigraphiées du collectif Velvetyne qui affiche son militantisme en faveur de la licence libre des caractères. Invitant non seulement au partage mais aussi à l’appropriation voire au détournement de leur création par d’autres graphistes professionnels ou amateurs.
Une typographie vivante et en mouvement, c’est aussi le concept imaginée par Lucas Descroix et Benjamin Dumond qui eux mêlent typographie et numérique. Ils donnent ainsi rien de moins qu’une nouvelle dimension à la lettre qui n’est ainsi plus figée, mais se métamorphose progressivement et sans cesse au fil du temps. La police qu’ils ont créée, OMN, aux formes étranges et mouvantes, est projetée non stop sur plusieurs supports tout au long de l’exposition. Une métamorphose perpétuelles des lettres qui offrira donc des moments de lisibilité ou non au visiteur de l’exposition selon le moment de son passage.
Cette salle entre liberté et exploration aborde aussi le monde du tag, qui se caractérise bel et bien par la lettre stylisée… le focus est fait sur l’artiste Tomek, à travers des vidéos qui mettent à jour le travail de recherche mais aussi de gestuelle de l’artiste bien plus profond que bon nombre de préjugés sur ces graffitis de lettres.
Cadeaux d’amour aux visiteurs
Autre artiste mise à l’honneur Anne-Dauphine Borione, jeune étudiante en graphisme qui partage son travail un brin psychédélique sur les réseaux sociaux, ou encore Bye Bye Binary qui crée des formes graphiques et typographiques dont la vocation est d’interroger la langue française. Jeu avec les formes des lettres ou invention de nouvelles ligatures pour là aussi marquer un engagement : celui de la recherche d’une écriture non binaire et inclusive des lettres en elles-mêmes… Une salle qui se démarque aussi par ses supports et notamment une installation interactive, où chacun peut écrire et repartir sa lettre d’amour à partir d’une police de caractère créée par un autre graphiste Benoît Bodhuin.
Des lettres d’amour, justement, la dernière salle en est remplie du sol au plafond, ou presque (photo de une). Déclarations d’amour de graphistes et designeurs célèbres, moins célèbres, amateurs ou en devenir, aux caractères typographiques qui leurs sont chers. Tendres, sexy, drôles, parfois carrément osées, sous formes textuelles, mais pas que, elles répondent à la demande faite par l’équipe de la Maison des Éditions de leur envoyer ces missives. Dernier cadeau (d’amour) de la Maison des Editions au visiteur du Bel Ordinaire : on peut repartir avec le poster de sa déclaration préférée à choisir à la sortie de la dernière salle !
Un commentaire
Superbe projet, vraiment novateur et bravo de le faire connaître. Une itinérance de cette exposition serait très souhaitable.