newsletter
Devenir annonceur
5 min
PUBLIÉ LE 09/11/2023 PAR Solène MÉRICAqui! : L’urgence de l’adaptation au dérèglement climatique est soulignée dans de nombreux secteurs. En quoi concerne-t-elle aussi la forêt et la manière de la gérer ? Et y-a-t-il des particularités propres à la forêt en Nouvelle-Aquitaine ?
Xavier Meynard : Dans notre région, la forêt est une filière dynamique, pourvoyeuse d’emplois en milieu rural, non délocalisable et pleine d’avenir. Mais en effet elle n’échappe pas au dérèglement climatique. En matière de gestion de la forêt, il va nous guider dans les années futures. Quitte à peut-être abandonner certaines manières de gestion acquises auparavant. En Nouvelle-Aquitaine, la forêt c’est un peu plus d’un tiers du territoire. Sa spécificité est d’être détenue à 90% par des propriétaires privés. Avec une surface moyenne de 3,7 ha, cette forêt est marquée par la prédominance des petits propriétaires forestiers (environ 650 000 ont moins de 10 ha) et par son morcellement. D’ailleurs un grand nombre d’entre eux ne savent même pas qu’ils sont propriétaires. Ce panel de propriétaires enchevêtrés dans un même massif, pose des problèmes de gestion, d’autant plus que le changement climatique impose une véritable urgence à intervenir dans ces petites propriétés.
@! : Quels sont les risques et enjeux de ce changement climatique sur la forêt néo-aquitaine ?
X.M. : La canicule avant même la sécheresse, pose de gros problèmes. Les forêts sont beaucoup moins résistantes aux attaques sanitaires, les peuplements dépérissent de plus en plus vite. En région, tout un panel d’essences est en souffrance : le chêne pédonculé, le châtaigner, l’épicéa commun, le pin sylvestre… Avec des forêts sans intervention, on va arriver dans certains cas, à des massifs mortifères. Il va falloir redynamiser ces forêts, intervenir dans les parcelles pour arriver à les maintenir ou les renouveler.
Diversifier les essences, mais pas comme des apprentis sorciers.
Il y a aussi les aléas climatiques qui deviennent récurrents : les tempêtes, la grêle, qui a fait d’énormes dégâts en Dordogne, ou même les tornades. Cette année, une tornade en Creuse a dévasté des forêts de façon impressionnante. Sans oublier les incendies bien sûr. La forêt est vraiment très impactée par le changement climatique, donc il faut absolument avoir une forêt résiliente et dynamique. Laisser vieillir les forêts n’est pas forcément idéal, il faut des forêts jeunes.
@! : Comment répondre à cet enjeu ?
X.M. : Le dérèglement climatique est un préambule incontournable à la gestion forestière. Il faut avoir dans le viseur un renouvellement de la forêt qui prendra en compte, plus qu’avant, les potentialités de sol et les versants. Les versants sud par exemple sont beaucoup plus sensibles à la sécheresse. On sera tenu aussi de diversifier les essences et d’adapter les techniques sylvicoles… mais pas comme des apprentis sorciers ! Il faut revoir les connaissances, s’appuyer sur les nombreux travaux de recherche menés par la filière, pour avoir une forêt qui va se renouveler et repartir de plus belle !
Solène MÉRIC | Aqui Xavier Meynard, gestionnaire de forêt professionnel, représentant des forestiers au
comité technique de la Safer en Creuse
@! : Comment y parvenir face au morcellement de la forêt que vous évoquiez ?
X.M. : Dans les massifs où les propriétaires sont avertis, c’est facile de mettre en oeuvre des techniques sylvicoles. Dans la petite propriété morcelée, ils sont beaucoup moins informés. Souvent c’est la non intervention qui prime avec pour résultat, de gros déficits de gestion. Or, certaines forêts mériteraient d’être valorisées et maintenues sur pied. À l’inverse, des parcelles sont vouées à l’échec, il va falloir les transformer et réussir à faire comprendre ça aux propriétaires.
Il y a de gros travaux de recherches, avec des parcelles d’essais, des relevés de terrain et beaucoup d’efforts de mutualisation et de publication des données autour du développement de nouvelles essences ou de nouvelles techniques sylvicoles. Et le schéma régional de gestion sylvicole du CRPF prend en compte chaque secteur forestier de façon multifonctionnelle : environnement, paysage, gestion forestière, production de bois… Ce schéma consultable par tous donne le cap de la rédaction, par les propriétaires ou gestionnaires, des documents de gestions durables des années à venir.
Face au morcellement des massifs, réussir aussi des regroupements fonciers.
@! : Concrètement quels sont ces documents de gestion durable ?
X.M. : Le plan simple de gestion planifie les coupes et travaux sur la propriété forestière pour au moins 10 ans, et peut être mis en place dès 10 ha. Ça responsabilise le propriétaire qui fixe ses objectifs économiques, patrimoniaux ou environnementaux à l’aune du potentiel et des contraintes de sa forêt. Il existe aussi le règlement type de gestion et le code des bonnes pratiques sylvicoles. Ce dernier satisfait de nombreux petits propriétaires. Simple, il est très intéressant pour les conseiller et les guider.
Face au morcellement des massifs, il faut aussi réussir des regroupements fonciers. Il y a moyen d’agir en s’informant auprès de la Safer ou du CRPF. Ensuite, on peut faire des regroupements informels. Par exemple, les associations syndicales libres peuvent mutualiser la gestion pour un ensemble de propriétaires. Et il y a d’autres outils pour agir de façon regroupée.
@! : En termes d’exploitation durable, quelles pratiques sont conseillées ?
X.M. : La technique d’exploitation dans les propriétés morcelées se solde souvent par une coupe totale ; c’est regrettable dans certaines forêts feuillues qui pourraient être améliorées pour produire du bois d’oeuvre de qualité. Le vieillissement des forêts a aussi des avantages de paysage, de biodiversité et d’accueil du public.
Permettre un renouvellement permanent de la forêt
Sur le risque incendie, la coupe rase peut ralentir la progression des feux dans un massif. Elle peut aussi être un allié pour les forêts en dépérissement, pour mieux repartir. Quant à la sylviculture en couvert continu qui permet un renouvellement permanent de la forêt, elle est encore peu connue en Nouvelle-Aquitaine. Il faut avertir sur la technicité de ce mode de gestion. Ça suppose un panel d’arbres différents à combiner parfaitement. Ce serait à développer mais le morcellement de la forêt pose ici aussi des difficultés.
L’inventaire Forestier National, c’est quoi ?
Les résultats de l’Inventaire Forestier National publiés en octobre 2023 par l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) contribuent à la connaissance et au suivi de l’état des forêts. Les données récoltés sur un échantillon représentatif de la forêt française permettent de connaître l’état et l’évolution dans le temps de la forêt en surface, en volume de bois, en carbone, en composition, en indicateurs de biodiversité, etc.
Pour 2023, l’IFN révèle des forêts de plus en plus affectées par le changement climatique, avec notamment une accélération de la mortalité des arbres, et une multiplication de crises entraînant un ralentissement du puit de carbone des forêts sur la dernière décennie.
Les peuplements actuellement dépérissants en France métropolitaine couvrent près de 670 000 ha. Le dépérissement est plus fréquent en forêt privée sans Plan Simple de Gestion (6 %) que dans les autres types de propriétés (forêt privée avec PSG ou forêt publique : autour de 4 %).
