Agriculture et centrales solaires, un mariage électrique ?


Optimiser la production d’énergie solaire, sans empiéter sur les surfaces agricoles, c’est possible ? C’est le défi que doit relever l’agrivoltaïsme, la nouvelle tendance de production d’énergie solaire.

Valorem

L'agrivoltaïsme continue de se développer en Nouvelle-Aquitaine

Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 07/05/2024 PAR Artur Bucaille

L’agrivoltaïsme, c’est comme un petit pansement que l’on collerait sur une énorme plaie. C’est une bonne idée, mais difficile d’attester de son efficacité. Avec 18% de ménages agricoles qui vivent sous le seuil de pauvreté, l’agrivoltaïsme se veut être une solution gagnant-gagnant entre transition énergétique et revenu agricole sans trop de dommages collatéraux à la production agricole.

En implantant des centrales solaires sur les terrains agricoles, les énergéticiens promettent de payer un loyer onéreux à celles et ceux qui accepteront de l’adopter. Mais avec des milliers de m2 de panneaux solaires, la question s’est posée de savoir, quel peut être en être l’impact sur les cultures. La Cour des comptes elle même dévoilait en 2021, que 282 000 hectares de superficies agricoles avaient été perdues entre 2010 et 2018, pour faciliter l’implantation de ces centrales.

Pour tenter de conforter une solution rendant les choses compatibles, deux nouveaux projets agrivoltaïques ont récemment vu le jour dans la région. Tous deux portés par des entreprises différentes, leur objectif est de répondre à ces controverses, tout en apportant une nouvelle manière de concevoir les centrales solaires, dans un contexte législatif lui aussi renforcé.

Définition : L’agrivoltaïsme est une pratique qui consiste à associer, sur une même surface, une production agricole et une production d’électricité permise par des panneaux solaires photovoltaïques.

 

Des projets ambitieux…

Mettre des vignes sous des panneaux solaires, c’est possible ? Ambitieux de développer l’agrivoltaïsme pour répondre aux objectifs du gouvernement en matière de développement de l’énergie solaire, EDF Nouvelle-Aquitaine a lancé en septembre 2023 le projet Vitisolar. Située à Villenave d’Ornon, à quelques kilomètres de Bordeaux, la centrale solaire a pour objectif d’étudier l’adaptation du vignoble lorsque ce dernier est placé sous des panneaux photovoltaïques.

 » Ce projet démarre d’une seule question, comment travailler avec ce nouvel outil, tout en préservant l’agriculture du changement climatique. Le principe global de l’agrivoltaïsme est que les panneaux photovoltaïques doivent rendre un service à la parcelle : au bien-être animal sur les élevage par l’ombre apportée, sur les cultures, en protection contre les aléas climatiques », appuie Jean-Baptiste Goisque, chef de projet chez EDF Nouvelle-Aquitaine.

Les vignes, pour bien se développer, n’auraient pas besoin de recevoir beaucoup d’eau de pluie. On peut donc imaginer qu’avec ces panneaux solaires, elles seront mieux protégées des intempéries, permettant au viticulteur d’avoir un meilleur contrôle sur la pousse de son vignoble. « Ce sont bien les panneaux qui doivent être au service du projet agricole et pas l’inverse »

©EDF RENOUVELABLES/MON PETIT FILM

Le projet Vitisolar, lancé en 2023 à Villenave d’Ornon, doit encore faire ses preuves

Mais les vignes ne sont pas les seules à faire l’objet de tests agrivoltaïques. Un peu plus loin, dans les Landes, les framboises, les kiwis, les asperges et la luzerne poussent sous les panneaux solaires du projet agrivoltaïque DEM&TER, mis en place par l’entreprise VALOREM. Lancé en 2023, dans la commune de Losse, ce projet a récolté pas moins de 100 000€ dans le cadre d’une campagne de financement participative. Une somme qui souligne l’intérêt suscité par l’agrivoltaïsme, et les ambitions placées dans cette centrale solaire.

« Avec la mise en place de ce projet, on veut vérifier que les cultures soient compatibles avec ces nouvelles structures agricoles. » explique Thomas Di Franco, chef du projet DEM&TER. Les framboises par exemple, qui ont besoin d’une exposition avec un peu d’ombre, peuvent voir d’un bon œil l’installation de panneaux photovoltaïques au-dessus de leurs feuilles. DEM&TER permettra aussi des retombées économiques locales, via des retombées fiscales qui seront redistribuées aux collectivités locales sur toute la durée d’exploitation du parc.

Valorem

Le projet DEM&TER, dans les Landes, créé en 2023, vise à joindre expérience scientifique et aide aux entreprises locales.


… qui se heurtent à la réalité

Pour autant, l’agrivoltaïsme, de par l’installation de centrales solaires, peut-elle poser un problème de taille ? Le projet Vitisolar, par exemple, se développe sur 1300m2, dont 700m2 de panneaux photovoltaïques. DEM&TER s’étend quant à lui sur 2 hectares. Ces surfaces occupées  par les centrales solaires sur les terrains des agriculteurs pourrait-elle, à terme, faire baisser le rendement agricole ?

Autres questions à laquelle a du faire face l’alliance du photovoltaïque et de l’agriculture, quid des dérives liées à l’équipement en panneaux solaires de bâtiments agricoles, pas toujours nécessaires à leur activité ? Ces installations permettent d’implanter des ressources photovoltaïques, sans qu’il s’agisse d’agrivoltaïsme. L’agriculteur reçoit un loyer conséquent, sans produire des denrées agricoles. En 2018, la Direction départementale des territoires et de la mer des Pyrénées-Orientales expliquait que sur 60 serres construites, “les deux tiers ne représentaient aucune activité agricole, ou tout du moins une activité réduite” et l’avaient été que pour le projet photovoltaïque.

Un décret pour ne plus naviguer à vue

Pour réguler ces tendances frauduleuses, et éviter qu’elles s’étendent à l’agrivoltaïsme, le législateur s’est emparé du sujet et le gouvernement a publié le 9 avril dernier un décret fixant un cadre à l’implantation de ce nouveau type d’installations. Ce dernier prévoit des sanctions pour les projets dont la baisse de rendement agricole dépasserait les 10%.  Si c’était le cas, l’installation devra être démontée.  “Ce décret est positif pour nous, ça nous permet de ne plus naviguer à vue concernant nos objectifs. Ça va permettre d’adapter le suivi, et de savoir quel rendement respecter”, se réjouit pour sa part Thomas Di Franco.

Malgré ce décret, les installations photovoltaïques continuent d’être au centre de nombreuses controverses. Reprenons l’exemple des vignes. Il y a la question de l’altération de l’exposition qui peut être incompatible avec des nombreux cahiers des charges d’appellations. Avec son projet, EDF  vise là aussi à apporter des réponses. « On va capitaliser de la donnée agronomique jusqu’en 2026, pour ensuite savoir vers quel type d’agriculture il faudra se tourner, précise Jean-Baptiste Goisque, Vitisolar est un expérimentateur scientifique qui nous permet d’étudier les effets des panneaux sur les vignes, le vin et non pour l’heure, une solution ayant vocation à être déployée partout », insiste-t-il. Ce démonstrateur est par ailleurs réalisé en partenariat avec les acteurs du monde viticole, scientifique, énergétique et industriel, soutenu par la Région et l’Ademe notamment.

L’intérêt énergétique peut aussi être questionné. Le projet DEM&TER fournit en besoin électrique l’équivalent de 70 foyers par an. La commune de Losse, à titre d’exemple, compte 258 habitants. DEM&TER ne pourrait fournir qu’un tiers de la commune, pour une emprise de 2 000m2. Pour l’heure là n’est ps vraiment la question “L’objectif de ce projet, c’est d’abord de voir si l’agrivoltaïsme est vraiment viable”, souligne lui aussi Thomas Di Franco. 

Quant aux résultats de ces expérimentations, un peu de patience sera nécessaire. Si VALOREM promet que “les premiers résultats scientifiques devraient arriver entre octobre et novembre prochains », du côté d’EDF “analyser une année pour une année, ce n’est pas pertinent. Pour obtenir des données fiables, il faut attendre 2026″, indique Jean-Baptiste Goisque. Des résultats analysés par l’INRAE de Bordeaux et l’Université.

Lancé en 2011, l’agrivoltaïsme doit donc encore aujourd’hui faire ses preuves, technologiques, techniques, culturales, financières. Même s’il suscite l’intérêt, tant du côté du monde agricole que des producteurs d’énergie, il reste en effet la question de l’acceptation des populations à voir pousser ci et là de nouveaux paysages agricoles. Question éternelle de l’acceptation des technologies nouvelles.

Ça vous intéresse ?
Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Laissez vos commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

On en parle ! Nouvelle-Aquitaine
À lire ! AGRICULTURE > Nos derniers articles