Un psychiatre face au manque de moyens, de lits, de personnel. Le documentaire « État Limite », réalisé par Nicolas Peduzzi, suit Jamal Abdel-Kader, le seul psychiatre de l’hôpital Beaujon, à Clichy (Hauts-de-Seine). Et ses patients, atteints de troubles mentaux ou en grande détresse médicale ou sociale. Troisième long-métrage du réalisateur, le film a bénéficié d’une subvention de la Région Nouvelle-Aquitaine de 50 000 euros au titre de l’aide à la post-production, et a été accompagné par ALCA (Agence Livre, Cinéma et Audiovisuel en Nouvelle-Aquitaine). Après avoir obtenu plusieurs prix au cours de l’année 2023, il est sorti en salles ce mercredi 1er mai.
Pendant deux ans, en 2020 et 2021, Nicolas Peduzzi a suivi le quotidien de Jamal Abdel-Kader. Une façon de rendre hommage à cet hôpital, où son père avait été transplanté dans les années 1990. « C’est un hôpital que je connaissais. J’y suis d’abord retourné pour entreprendre un travail plus global sur les soignants », raconte le réalisateur. « Je me suis rendu compte qu’il y avait une part de souffrance et de manque de sens énorme ». Au bout de deux mois à arpenter l’hôpital, équipé de son Alpha 7, il rencontre Jamal Abdel-Kader. « À travers lui, je me suis dit : ça peut être ça, un portrait de l’hôpital public aujourd’hui. Et directement ou indirectement, de l’état de la psychiatrie dans notre société. »
Avec ce tournage, Nicolas Peduzzi prend conscience des difficultés auxquelles fait face aujourd’hui l’hôpital public en France, en particulier la médecine psychiatrique. « Où est l’endroit de la psychiatrie aujourd’hui ? […] Le seul psychiatre que je trouve, qui est vraiment dévoué, et en plus très jeune, se retrouve à faire un burn-out. Je me dis : Mais comment c’est possible qu’on en soit arrivés là ? », se remémore-t-il. « Il y a un décalage entre les gens qui prennent les décisions et ceux qui sont sur le terrain, et ça c’est hallucinant ».
« Le mal-être est partout »
Si le décor du documentaire prend place en région parisienne, la détresse qui y est mise en lumière concerne tout le pays. « Tous les territoires sont touchés à plus ou moins grande échelle. Le mal-être est partout », se désole Yannick Jacobson, secrétaire général de l’Union Syndicale Départementale CGT de la Santé et de l’Action Sociale des Landes. « L’état de l’hôpital public, et de la santé en général, est délabré, avec des restrictions budgétaires et des plans de limitation de dépenses en cours de route », explique-t-il.
« On accompagne beaucoup de personnel sur des burn-out, qui sont en détresse, perdus, qui ont un mal-être au travail », explique le représentant de la CGT. Ce dernier pointe du doigt les conditions de travail, les horaires et journées à rallonge, « les douze heures de travail par jour qui sont jamais respectées », ou encore le non-respect des jours de repos.
« Psychiatrie : l’oubliée de la santé publique »
Conséquence : moins de personnel, moins d’embauches, davantage d’arrêts de travail, et une fuite en avant des professionnels, qui changent de métier ou démissionnent de l’hôpital public. Au-delà d’un accès aux soins restreint, c’est aussi la sécurité des patients qui finit par être atteinte. « Avec des effectifs réduits et épuisés, automatiquement, on institue une maltraitance non volontaire », regrette Yannick Jacobson.
Et en première ligne de ces défaillance : la médecine psychiatrique. « C’est un peu l’oubliée de la santé publique en France », regrette le secrétaire général. « On est en manque cruel de psychiatres. Il n’y en a quasiment plus dans les établissements. Ça aboutit à des fermetures de services, parce qu’on ne peut plus accueillir les patients dans des conditions optimales ».
Un documentaire postproduit en région Nouvelle-Aquitaine
Une fois le tournage fini, « État Limite » a bénéficié d’une subvention de la Région Nouvelle-Aquitaine de 50 000 euros au titre de l’aide à la post-production. « On a envoyé un gros brouillon du montage au FIFIB [Festival international du film indépendant de Bordeaux, ndlr] », raconte Nicolas Peduzzi. « Ils ont un programme génial qui s’appelle le Work in Progress, pour des films qui peuvent être envoyés en post-production ». Après avoir été visionné par un comité de réalisateurs et réalisatrices, il est sélectionné pour que sa post-production, qui représente « ce qui coûte le plus cher dans le documentaire », soit financée. « On a fait toute la post-prod dans la région », raconte le réalisateur. Les studios de montage l’Alhambra Studios à Rochefort (Charente Maritime) et Lily Post-Prod à Bordeaux y ont ainsi participé.