icone gens d\Aqui
icone points exclamationsGENS D'AQUI !
Christophe Gatineau, défenseur des droits du ver de terre
Il est des causes qui semblent perdues d’avance tant le combat paraît inégal. Depuis 8 ans, Christophe Gatineau a pris fait et cause pour le ver de terre au point de créer il y a un mois la Ligue de protection de ce si précieux habitant de nos sols.
Christophe Gatineau dans son potagerCorinne Merigaud | Aqui

Christophe Gatineau souhaite inscrire le ver de terre dans la loi pour le protéger et informer les agriculteurs sur la toxicité des pesticides et son impact sur l'animal et les sols cultivés.

Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 31/05/2024 PAR Corinne Merigaud

C’est un animal qui n’attire guère la sympathie alors qu’il nous rend de grands services. « Il faut savoir que 95 % de notre alimentation vient du sol, là où habite le ver de terre, voire à 100 % si on est est végétarien, et seulement 6,5 % des sols nous nourrissent, indique Christophe Gatineau, agronome et écrivain. Il permet de stabiliser les sols des surfaces cultivées. Grâce à ses galeries verticales, l’eau peut s’infiltrer. »

La petite bête se nourrit de matières organiques et ses excréments (les turricules) sont riches en azote, phosphore, potassium et magnésium qui vont nourrir les plantes. « Les prairies naturelles, le meilleur espace pour préserver le ver de terre, sont en voie de disparition » constate-il. Pour défendre l’animal, Christophe Gatineau a créé, le 22 avril dernier, la Ligue de protection du ver de terre à l’occasion de la journée de la terre. « C’est le prolongement de mon association « Le jardin vivant » qui ne parlait pas aux gens précise-t-il, il y a déjà une cinquantaine d’adhérents.»

« Une loi pour lui donner un statut juridique »

Le message est clair, il a demandé à l’Etat de prendre ses responsabilités en légiférant sur l’animal dans le cadre du processus d’homologation des pesticides. Il a adressé en 2021 une seconde lettre au Ministre de l’Agriculture après une première, envoyée à François Hollande et Nicolas Hulot, restée… lettre morte. « Le Ministre a reconnu dans une déclaration datée du 14 décembre 2021 que le ver de terre joue un rôle essentiel pour la fertilité ses sols et pour la souveraineté alimentaire ; la réponse a été publiée au Journal Officiel, précise-t-il. Maintenant, il faut qu’il existe dans la loi pour lui donner un statut juridique qui le préservera en obligeant à tester la toxicité des pesticides sur les sols et les vers de terre. Les agriculteurs auront ainsi accès à l’information et utiliseront les produits en connaissance de cause. » Ils connaissent leur impact sur les pollinisateurs et les milieux aquatiques mais pas tellement sur les sols cultivés et les vers de terre. Une urgence pour éviter que les sols en soient définitivement vidés.

Le lombric terrestre est indispensable dans l’écosystème pour la fertilité des sols et la souveraineté alimentaire.

Lorsque ce spécialiste parle du ver de terre, il vante le lombric terrestre. Ces gros et longs vers qui se terrent dans nos jardins. Des bestioles qui répugnent plus qu’elles n’attirent. Et pourtant, ce ver là ne manque pas d’atouts comme auxiliaires de culture. Tout bon jardinier le sait bien.

Un éloge qui fait écho

Pour réparer cette injustice et redonner à l’animal la place qu’il mérite dans l’écosystème, Christophe Gatineau en a fait son cheval de bataille depuis un fameux jour de 2016. Il raconte ce moment où tout a basculé dans son ouvrage « L’éloge du ver de terre » paru chez Flammarion en 2018. Un succès de librairie inattendu qui a déjoué les pronostics de vente avec 10 000 exemplaires écoulés. Ne le cherchez plus, il est épuisé.

« Je croise un matin un ver de terre, je remarque qu’il a un petit brin d’herbe dans la bouche. Et bêtement, je tire pour lui enlever. Et là, ça dure 1/100e de seconde, on a eu un contact: quand j’ai voulu lui prendre, en ayant un petit mouvement de recul, il m’a dit non. Moi, j’ai basculé et à partir de ce moment-là, je me suis mis à écrire sur les vers de terre et à défendre leur cause. » Il a fait la promo de son livre pendant un an, éveillant l’intérêt pour cette espèce qui a acquis une certaine aura « C’est incroyable reconnaît-il, mon discours est franc, je n’ai rien à vendre, sinon à faire comprendre que la terre de l’humanité dépend de ses sols. »

Le lombric passe alors de l’ombre à la lumière, occupant les médias nationaux et régionaux. Deux autres livres suivront, le quatrième sortira en octobre 2025 « pour montrer l’intérêt de préserver son habitat pour une agriculture durable et la souveraineté alimentaire. » Sur les 5 500 espèces de vers terrestres connus, moins d’une dizaine ont été étudiés. Celui qui a le plus scruté ses mœurs est Charles Darwin. Il y consacra 45 ans de sa vie publiant un livre en 1881 pour faire, déjà, l’éloge de la bestiole.

« J’aurais dû reprendre la ferme, j’ai fui »

Si le ver de terre est devenu « extrêmement médiatique », Christophe Gatineau y est donc pour beaucoup. L’homme qui défend le lombric qu’on aperçoit en donnant un coup de pioche dans son jardin ou traversant une allée bitumée, n’est pas un novice en agriculture. Il a grandi dans une famille d’agriculteurs saintongeais, dans une ferme en polyculture élevage. Il a suivi une formation agricole, exercé plusieurs métiers, d’abord berger puis vacher, opérant un virage professionnel pour devenir chef opérateur sur des documentaires et réalisateur. On lui doit notamment celui sur le peintre Sanfourche sorti en 2005.

« Cela a été un travail acharné de se mettre à écrire » concède-t-il. Son premier article est publié en réaction avec le mouvement de la permaculture. « Les gens vous vendent de l’abondance, c’est le même discours que les vendeurs de pesticides mais l’abondance est de courte durée. » Il se souvient de cette « révolution agricole, des promoteurs de glyphosates, des cours écrits par les firmes, j’ai eu une prise de conscience à 18 ans. Plus on augmentait les rendements et moins les agriculteurs étaient heureux. On les a pressés, stressés. J’aurais dû reprendre la ferme, j’ai fui.»

Des décennies plus tard, il aura envie « d’enquêter, de rétablir la vérité, de montrer un autre point de vue. » Avec à chaque fois le souci de donner accès à l’information. Son premier article Faut pas pousser mémé dans les orties paru dans le Nouvel Obs en 2012 traitait d’un sujet polémique alors, la mise sur le marché du… purin d’ortie.

Informer est devenu un sacerdoce pour celui qui a décidé de cultiver son jardin sans outils mécaniques, à la seule force de ses mains. « Si je rate un semis, il faut que je recommence » avoue-t-il. La rédaction de ses ouvrages, étayée de travaux scientifiques, lui prend une bonne partie de son temps . « Je n’ai jamais cessé d’étudier et depuis douze ans, je réfléchis sur l’agriculture de façon intensive 7 à 8 h par jour, 365 jours par an. » Au point d’écrire un article par semaine sur le ver de terre. Une revanche pour celui qui vénère ce grand-père paysan quasiment illettré qui lui a transmis cette sensibilité et cet amour de la terre. Du bon sens paysan finalement.

Ça vous intéresse ?
Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Laissez vos commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Découvrez plus de GENS d'AQUI