A Cachen, dans les Landes, Vincent Saffores, la petite trentaine, est un homme occupé. L’espace de vente soigneusement aménagé à l’entrée de son bâtiment agricole, à l’écart « du bazar » et de la ligne de tri des asperges tout juste cueillies, ne désemplit pas. Il faut dire que notre visite se fait à la veille du week-end de Pâques, autant dire en plein coup de feu sur le ramassage et la vente de ses asperges blanches. Agriculteur, éleveur, commercial, gestionnaire, communiquant, et par obligation aussi, un peu mécano sur les bords… Autant d’occupations qui font que le temps passe vite à la tête de la Ferme des Sables Blancs où il s’est installé en 2013. Bien que fils d’agriculteurs, c’est sa formation à l’école d’ingénieur de Purpan à Toulouse, qui lui a donné envie à son tour de reprendre une ferme et lancer ses propres projets.
« Aujourd’hui on peut dire que la ferme est à mon image » se satisfait Vincent Saffores. Il aura fallu près de 10 ans et l’installation en cours de sa compagne, pour y parvenir vraiment. Quand il l’a achetée en 2013, elle avait pourtant tout de « la ferme idéale » que le jeune ingénieur agricole d’alors cherchait à reprendre. « 94 ha de SAU, dont seulement 16 en propriété, le reste en location et pas de gros matériels à racheter, puisque les cédants adhéraient à une CUMA. Côté productions il y avait environ 80 ha de maïs conso, un atelier volailles en liberté et 2 ha d’asperges ». Une culture pas vraiment envisagée dans ses plans initiaux mais dont la nouveauté l’a clairement attirée. L’aspergeraie est d’ailleurs désormais un axe fort de son exploitation.
Désormais aussi, Vincent a troqué le maïs conso, contre du maïs semence, et aux asperges blanches, passées de 2 à 6 ha, s’ajoute un élevage de 6000 poulets à l’année, contre 60 000 au début du projet. Autre caractéristique marquante de la Ferme des Sables blancs version 2021: la vente directe de 10% de sa production d’asperges (le reste partant en coopérative) mais aussi de la transformation des produits de la ferme en bocaux gourmands grâce à l’installation en cours de sa compagne Camille à ses côtés. Lui le terrien, elle la créative…
Chassez le naturel…
Si Vincent est aujourd’hui un agriculteur accompli, « l’agriculture n’était pas une vocation » avoue dans un sourire, celui qui est pourtant né dans la marmite agricole sur la petite ferme familiale de Biaudos dans le Sud des Landes. « Depuis petit, je voyais et je vivais les contraintes d’une petite agriculture pas forcément très rémunératrice… ». Et les parents Saffores eux-même, ne poussent pas particulièrement leurs enfants vers la reprise de la ferme…
Mais, chassez le naturel, il revient au galop ! Car Vincent choisit pourtant, une fois son bac en poche, de s’orienter vers l’école d’ingénieurs agricoles de Purpan, à Toulouse. « C’est un hasard, plaide-t-il. L’école communiquait sur le fait qu’elle pouvait donner accès à plus de 300 métiers différents. Moi qui ne savais pas quoi faire, ça m’a bien plu. », résume-t-il. Le début en fait d’un retour à la terre, jamais vraiment quittée.
Car, pour le jeune landais parti à Toulouse, le hasard aura bien fait les choses : « Purpan ça a été une révélation ! J’ai de suite senti que j’étais à ma place ! ». Si tous ses camarades de promo ne sont pas issus du milieu agricole, loin de là, c’est bien avec ceux-là que Vincent crée le plus d’affinités et découvre à travers eux la variété des modèles agricoles. « J’ai découvert une autre agriculture que celle que je connaissais. Il y avait de tout : des petits agriculteurs comme moi, des grands céréaliers du centre de la France, plein de types d’agricultures différents: des bios, des éleveurs en montagne… Partir de chez soi et rencontrer une telle variété de profils, c’est une ouverture d’esprit incroyable ! »…
» L’envie et le besoin d’entreprendre «
De l’ailleurs et du terrain, sa formation lui aura aussi beaucoup donné l’occasion d’en connaître. A travers des stages sur des exploitations aux profils variés, de la Gironde à l’immensité canadienne, en sein d’une Chambre d’agriculture, d’une concession agricole (« ça m’a donné quelques bases en mécanique ») ou encore par la visite de nombreuses fermes ou autres magasins de producteurs… Autre point fort aussi de sa formation : « nous avions 2 à 3 projets d’études à mener chaque année, seul ou en groupe sur des thématiques qui nous intéressaient ». Outre un tronc commun d’enseignements obligatoires, la commercialisation et la vente directe se sont vite imposées comme ses thèmes de prédilection.
« C’était mon truc parce que je voulais aller plus loin dans le métier d’agriculteur, ne pas m’arrêter à produire pour ensuite tout vendre en vrac à une coop ou un organisme, mais bien donner de la finalité au métier en allant au contact direct avec les consommateurs. Et c’est aussi une manière de capter la valeur ajoutée des productions ». Concrètement « Purpan nous a aussi permis d’avoir à disposition les outils des grands groupes, et gros distributeurs, que n’a pas forcément le petit agriculteur du coin qui voit bien l’intérêt de faire de la vente directe mais qui ne sait pas trop à quel prix ou comment mettre en valeur le produit ».
Au sortir de son école, Vincent est donc incollable sur la technique et sur la commercialisation, mais il veut combler un manque dans ses connaissances : la transformation. De Toulouse, il part donc pour un CDD de 4 mois dans un atelier de découpe à Limoges où, en marge de son travail de responsable de ligne, il est formé à la découpe… C’est là bas qu’il apprend qu’une ferme visitée 2 ans plus tôt à Cachen se libère à nouveau, celle qui deviendra la sienne. Un parcours non stop donc, du baccalauréat à l’installation. Celui qui ne voulait pas être agriculteur, est finalement très pressé d’entreprendre, « j’en avais l’envie et le besoin », analyse-t-il avec le recul.
Banque, Chambre d’agriculture, Safer
Avec l’achat de la ferme, commence un parcours d’installation « classique » : entre rencontres avec les banques et accompagnement par la Chambre d’agriculture dans le cadre de la dotation jeunes agriculteurs. Dans son parcours de hors cadre familial il croise aussi un autre partenaire de l’installation agricole, la Safer qui mettra en œuvre à son profit le dispositif du portage foncier en lien avec le Conseil régional. La structure achète alors une partie des terres pour les revendre dans 5 ou 10 ans au jeune installé, selon un système de location vente.
Vincent Saffores trouve alors le dispositif « attrayant », mais c’est dans un second temps qu’il en mesurera réellement l’intérêt reconnaît-il. « Mon emprunt initial étant moins important que prévu grâce au portage, les banques m’ont prêté plus facilement dès la deuxième année pour développer des projets qui me tenaient à cœur pour l’orientation de ma ferme, comme le développement de l’aspergeraie de 2 à 6 ha. Ca m’a donnée des marges de manoeuvre et une liberté que je n’aurais pas eu sans le portage ». S’ajoute aussi dans ces toutes premières années d’installations : le renouvellement non prévu de 14 cabanes à poulets ou encore la construction du hangar agricole.
Maintenant que le portage touche à sa fin, « je me sens beaucoup plus apte à racheter du foncier. J’ai quasiment fini de rembourser tous les emprunts d’achat de la ferme… » reconnaît l’agriculteur. « Et maintenant la ferme a une orientation bien définie autour du maïs semence, de l’asperge, du poulet, et avec l’arrivée de ma compagne, le développement de la vente directe et de la transformation ».
Adaptation permanente
Si les choses semblent se poser, Vincent Saffores a aussi connu son lot de difficultés. « 2016 et 2017 ont été des années assez dures », entraînant une remise en question, non pas de sa, désormais, vocation, mais de la stratégie à mettre en œuvre sur son exploitation… Résultat d’une étude de marges salvatrice, réalisée grâce à ses connaissances d’ingénieur et avec l’accompagnement de la Chambre, il a choisi de se concentrer sur les productions qu’il a lui même mises en place ou développées, écartant du même coup les productions historiques « héritées » de l’achat de la ferme.
Mais la ferme reste en évolution et en adaptation permanente… Toujours plus en phase avec les préoccupations de Vincent. En effet, 4 ha d’asperges bio viennent d’être plantés et il s’est lancé dans l’agroforesterie et dans l’agroécologie. Si sur ce dernier point Purpan lui a bien fourni quelques compétences qu’il complète de recherches personnelles, il s’est appuyé sur les formations et les conseils de l’Association régionale d’agroforesterie pour planter une cinquantaine de fruitiers tous les 5 rangs d’asperges. De la même manière, pour la culture des asperges et désormais des asperges bio, il ne s’est pas lancé seul ; il suit les précieux conseils techniques et formations de sa coopérative, la Coopadax. « Par rapport à des indépendants on est très bien accompagné quand on est adhérent à une coopérative. Pour moi, c’est l’aspect le plus important, avec la vente de la production bien sûr. »
Des formations qu’il reconnaît suivre davantage aujourd’hui qu’à ses débuts où « il avait vraiment le nez dans le guidon ». Pour autant, pas de regret sur cette installation au sortir de l’école. « J’ai gagné du temps je crois, en m’installant jeune. De 25 à 30 ans j’ai pu me consacrer quasiment qu’à ma ferme, j’ai pu essuyer les plâtres de bonne heure… » Il est vrai désormais qu’ entre l’installation de sa compagne, porteuse du projet d’un laboratoire de transformation sur la ferme et l’arrivée il y a quelques mois d’un premier bébé, l’organisation du temps du couple est plus que précieux… Et les challenges encore nombreux !