« Dans le contexte actuel, cette jurisprudence est courageuse et honore la magistrature » clame Me Pierre Landete, fondateur de l’Institut de défense des étrangers à Bordeaux et avocat de Monsieur K, un sans papier kurde. Il tient dans ses mains, une récente décision du tribunal correctionnel de Bordeaux, présidé par Alain Reynal, vice-président du tribunal de grande instance (TGI) de Bordeaux. Celle-ci relaxe Monsieur K, au motif « qu’il ne saurait être reproché au prévenu ce droit inaliénable à préserver sa vie ou son intégrité physique. » Le 22 mai 2007, ce sans papier kurde, a refusé d’embarquer dans un vol à destination de la Turquie, invoquant « avoir peur pour sa vie », se soustrayant de fait à un arrêté de reconduite à la frontière, qui lui avait été notifié par la préfecture de Gironde le 12 mai. Deux rapports psychiatriques attestent la sincérité de ses propos.
Pour justifier sa décision, ce juge s’appuie sur l’article 122-2 du code pénal, qui stipule, que « cette contrainte doit être irrésistible et extérieure », et relevée de « faits établis, dont il résulte qu’il était impossible d’échapper au péril imminent ». « Nous avons recours à cet article si, par exemple, on vous oblige à commettre un vol en menaçant de mort votre famille » explique Alain Reynal. Dans cette affaire, le vice-président du TGI l’a appliqué à la situation des kurdes en Turquie, en soulignant que Monsieur K, a été menacé de mort par les autorités turques et le PKK, « sans commettre d’acte terroriste » et « sans avoir de simples activités politiques ».
« La contrainte est extérieure et ce Kurde n’a rien fait pour créer cette situation »
Une situation, qui a amené ce jeune Kurde de 32 ans à quitter la Turquie pour la France, où il vit depuis trois ans, à Bordeaux en Gironde avec sa femme, une Kurde régularisée, avec laquelle il vient d’avoir un enfant. Bien installé dans la région, il travaille « clandestinement » comme carreleur, car, pour l’instant, l’asile politique lui a été refusé. Pour lui, retourner en Turquie est impensable.
Au regard du fait, que « la contrainte est extérieure et qu’il n’a rien fait pour créer cette situation », j’ai donc décidé de le relaxer, indique le juge Alain Reynal, qui reconnaît lui-même, que « cette décision est une première en France. » Elle intervient dans un contexte particulier. Nicolas Sarkozy a promis d’expulser cette année 25 000 étrangers en situation irrégulière et, le 20 mai prochain, doit être débattu au parlement européen un projet de directive, qui instituerait, si elle est votée, l’internement administratif des étrangers en situation irrégulière pour une durée allant jusqu’à 18 mois et une interdiction du territoire européen pendant cinq ans.
Se définissant lui-même comme un magistrat « audacieux », le juge Alain Reynal, 55 ans, marié et père de deux enfants, a déjà fait parler de lui à plusieurs reprises sur cette question des étrangers. « J’ai été sensibilisé très tôt au sort des étrangers. En 1936, mon grand-père a accueilli des espagnols, opposants à Franco, et en 1938, il a recueilli des allemands, qui fuyaient le régime nazi » rappelle t-il, avec une certaine émotion. Ainsi, l’été dernier, il a demandé la libération de 18 étrangers en situation irrégulière, car ils étaient privés au centre de rétention des moyens de communication prévus par la loi. « Il y avait une discrimination économique, ceux qui pouvaient payer avaient le droit d’appeler, les autres non » rappelle t-il. Son jugement avait, alors, été confirmé par la cour d’appel. Dans cette affaire du sans papier kurde, le parquet a, là aussi, fait appel. Il espère bien que la cour lui donnera une nouvelle fois raison.
Nicolas César