Lorsque l’on évoque l’opéra, on ne pense pas forcément au recyclage. C’est pourtant la démarche qu’a entrepris l’Opéra National de Bordeaux, en proposant pour la deuxième fois une production 100% zéro achat. La Bohème, chef d’œuvre de l’opéra italien, est actuellement en représentation au Grand-Théâtre. Et contrairement aux apparences, les décors, costumes et accessoires font tous l’objet de réutilisation.
« On puise dans nos stocks pour pouvoir créer », explique Emmanuel Hondré, directeur général de l’Opéra National de Bordeaux. Les éléments réutilisés peuvent provenir d’anciennes productions, de stocks partenaires, ou de dons et de prêts. « Par exemple, nous avions besoin de sacs à main. Donc au lieu d’en acheter 30, nous avons fait un appel au personnel pour qu’ils puissent savoir si dans le grenier, il y en avait qui pouvaient être utilisables pour cette production ».
« C’est un projet qui m’a beaucoup intéressé », affirme de son côté Emmanuelle Bastet, metteur en scène de La Bohème. « C’est une réflexion, je pense, qui va devoir être généralisée ». Cette dernière relève d’ailleurs « le challenge » qu’a été la mise en scène de cet opéra. Mais aussi la « liberté et la créativité » dont les ateliers de création de costumes et de décors ont pu bénéficier grâce à cette initiative.
Une contrainte qui doit rester invisible
Les seuls achats qui ont été effectués pour cette œuvre sont les éléments de sécurité obligatoires, notamment « les attaches ou quelques huisseries, pour ignifuger des tissus ». L’Opéra National de Bordeaux avait déjà proposé une production 100% zéro achat en janvier 2023, avec Le Requiem de Mozart. Une initiative peu commune, qui permet la création sous un autre angle. « Ce qui est très intéressant, c’est que ça fait travailler nos équipes d’atelier différemment », soutient Emmanuel Hondré.
Ce dernier a cependant tenu à ce que le résultat « soit absolument le même », et que la démarche ne « soit pas un moins pour le public. Il ne faut pas que ce soit dévalorisant pour le spectacle et sa beauté. Donc la règle du jeu, c’est que ce soit invisible » »
10 000 costumes en stock
Cette initiative prend place dans une démarche éco-responsable, dans un contexte où ces institutions remettent de plus en plus en question leurs modes de fonctionnement, selon Emmanuel Hondré. « Durant les décennies précédentes, les maisons d’opéra étaient ambitieuses, mais quelques fois consommaient trop, stockaient trop et jetaient trop. Bordeaux a pu interroger ces processus », explique le directeur général, qui rappelle qu’il y a par exemple 10 000 costumes dans leur stock. « Il y a une forme de responsabilité de notre part en tant qu’artistes, et même de message à la société et aux autres opéras qui est très important aujourd’hui à faire passer ».
Au-delà de l’aspect écologique, l’Opéra National de Bordeaux a également eu des retombées économiques positives grâce à cette démarche. Avec Requiem, l’institution a « économisé 41 000 euros d’achats de matériel ». « Mais on a constaté que l’on a passé plus de temps à travailler sur la réalisation du décor, que si on avait acheté des matériaux de production, affirme Emmanuel Hondré. C’est souvent d’ailleurs plus long de défaire et de refaire à partir de l’existant ».
Une œuvre plus facile à aborder ?
Emmanuel Hondré n’a pas choisi La Bohème dans ce contexte par hasard. Cet opéra, composé à la fin du XIXe siècle par Giacomo Puccini, raconte la misère d’un groupe d’étudiants à Paris. Cette pièce était donc plus facile à mettre en scène avec cette contrainte. « Je pense qu’il y a des opéras avec lesquels ce serait très difficile de le faire. Des opéras dans lesquels la décoration, le faste, la richesse, vont compter beaucoup. C’est aussi mon choix de directeur de trouver des sujets qui sont en accord avec cette démarche ». De son côté, Emmanuelle Bastet relève « le lien pertinent » qui a pu être fait entre l’œuvre et la façon dont elle est abordée.