Après une première expérimentation réussie à Prignac-et-Marcamp en 2020, le département de la Gironde a décidé de récidiver et d’employer à nouveau des coquilles d’huîtres pour combler d’anciennes carrières souterraines. Débuté en mars dernier à Lugasson, le chantier a pour but de renforcer la Route Départementale 140 dont certaines tronçons menacent de s’effondrer. Une technique novatrice qui allie utilisation de matériaux de récupération et respect de l’environnement.
C’est à Lugasson, au lieu dit « Charron », qu’a débuté en mars dernier, un chantier de grande ampleur mais dont rien, en surface, ne laisse supposer l’importance : le comblement de carrières souterraines qui, situées sous la Route Départementale 140, menacent certains tronçons d’effondrement.
« En Gironde, l’architecture locale a abondamment puisé dans les ressources du sous-sol calcaire. Il en résulte aujourd’hui des millions de mètres cubes de vides souterrains. La faible épaisseur entre la surface de la voirie et le toit de ces galeries (de 3 à 4m) couplé à l’action du trafic routier, peut fragiliser le tronçon de route situé au-dessus », explique Cyrille Thomaidis, Chef du service des carrières souterraines au Département de la Gironde. Surtout qu’à une température ambiante de 12°C et avec 95% d’humidité, la pierre, déjà friable est mise à rude épreuve.
Test concluant
Un problème urgent que le Département, en charge de l’entretien et de la sécurité de la voirie départementale, a décidé de prendre en main en utilisant une technique pour le moins novatrice : l’utilisation de coquilles d’huîtres récupérées lors des dernières fêtes de fin d’année.
Déjà testée en 2020 à Prignac-et-Marcamp pour renforcer un tronçon de la Départementale 133, cette méthode semble avoir fait ses preuves. Pour l’occasion, c’étaient alors, 20 tonnes de déchets coquilliers (30% du mortier), mis à disposition par le Comité Régional de la Conchyliculture Arcachon Aquitaine qui avaient été injectées dans une cavité de 65m3. Le reste du coulis étant constitué de sable, de ciment et d’eau. Un test concluant qui a donc incité le Département à renouveler l’expérience. A plus grande échelle, cette fois-ci.
Sable et coquilles d’huîtres : des ressources locales et abondantes
Ce sont désormais 3000m3 de galeries qui seront donc intégralement comblés en utilisant ce même mortier ; le reste du mélange étant constitué de béton classique composé notamment de 1000 m3 de sable offerts par le Syndicat Intercommunal du Bassin d’Arcachon (SIBA). Un chantier d’importance majeure et pour lequel vont être utilisés 200 tonnes de coquilles d’huîtres concassées venues du Bassin d’Arcachon et 1000m3 de sable tirés du dragage annuel de la Leyre.
« Ce sable, impropre à la construction et retiré tous les ans de la Leyre pour favoriser son cours représente un problème de stockage. Son utilisation en mortier de comblement est une solution innovante de valorisation des sédiments, efficace et peu coûteuse. Quant aux huîtres, elles consomment du CO2 pour se développer. Elles ont donc un bilan carbone positif. En choisissant leurs coquilles pour composant de ce mortier, le bilan carbone des chantiers est ainsi amélioré. Ce choix évite également leur incinération (normalement pratiquée) et donc le rejet de CO2 dans l’atmosphère », poursuit Cyrille Thomaidis.
Fournies là encore par le Comité Régional de la Conchyliculture Arcachon, ces coquilles (3488kg collectés fin 2021 et valorisées par l’association Coquilles) représentent une ressource considérable puisque 130 000 tonnes d’huîtres sont consommées en France tous les ans, principalement lors des festivités de fin d’année. Des coquilles qui permettent, en plus de participer à la gestion des routes, de nourrir des poules et même de fertiliser des terres agricoles.
Un cercle vertueux du recyclage pour sécuriser les routes
Valorisation doublement vertueuse, ces opérations de comblement de carrière qui n’utilisent en grande partie que des matériaux recyclés, s’inscrivent dans le cadre de la politique de transition écologique du Département. « A l’heure où la résilience est présente dans toutes les démarches du Département, trouver une alternative au comblement classique (afin de limiter l’utilisation du sable, devenu une ressource rare), plus respectueuse de l’environnement et utilisant des éléments naturels recyclés et locaux considérés comme des déchets, était une priorité », poursuit Cyrille Thomaidis.
Une formule mise au point par le Bureau des carrières souterraines de la collectivité en partenariat avec le laboratoire Esiris. A noter qu’aucun brevet n’a été déposé, ce qui laisse la porte ouverte à d’autres départements pour copier la « recette ».
La Gironde ? Un gruyère par endroit !
Travail de précision (des coffrages en bois étanchéifiés et tenus par des étais ont été positionnés pour délimiter les zones qui vont être comblées grâce à des trous creusés en surface), le chantier devrait durer jusqu’à fin juillet. D’un coût total de 493 184 euros, il est intégralement financé par le Département. Au total, se sont 30 chambres et donc 30 forages (de 10 m de profondeur) qui vont être réalisés pour combler les 3000m3 nécessaires pour sécuriser la route.
Quant aux chantiers à venir, « cela sera fonction des intempéries et de la dégradation des sols », précise le responsable. Reste que la Gironde comporte 1400 carrières souterraines réparties sur 123 communes (sur les 537 du département). 25 kms de routes départementales cumulés, soit 110 tronçons et 2500 habitations (car situées sur carrières) sont concernés.