Bee Cycle, l’autre « vélorution »


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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 28/07/2020 PAR Romain Béteille

On pourrait lui donner de multiples noms en fonction des interprétations, mais le « boost post-covid » de l’utilisation du vélo est réel. Selon le réseau de collectivités Vélos et Territoires, entre le 11 et le 31 mai, autrement dit durant la première phase de déconfinement, l’utilisation du vélo a bondi de 87% par rapport à la moyenne constatée entre le 1er janvier et le 17 mars et même de +156% le week-end. Dans un quatrième bulletin, plus récent (il date du 15 juillet), la réalité s’est un peu lissée mais la hausse de la pratique est toujours là : +32% de passages à vélo sur les 182 compteurs analysés dans toute la France, +35% en urbain, soit +4% par rapport à 2019, quand le périurbain et le rural sont plutôt à la peine (-12 et -14%) malgré une forte augmentation au moment de l’arrivée des congés d’été (+55% en une semaine en zone rurale). Les utilisateurs de vélos sont donc de plus en plus nombreux, et pas seulement du côté des particuliers. Dans les entreprises aussi, la pratique se démocratise. 

« M. Location »

C’est là qu’entre en scène Jean-Christophe Melaye. Il pourrait facilement avoir gagné son surnom de M. Location, tant cet entrepreneur de 49 ans, bordelais depuis une dizaine d’années, a su se forger un domaine de prédilection. Il a en effet passé une grande partie de sa carrière professionnelle dans des sociétés disposant de services de location (Société Générale, Canon, ECS). La dernière, H&A, dont il a été directeur général adjoint, est une entreprise spécialisée dans la location de barriques de vin qui réalisait en 2018 plus de 250 millions de Chiffre d’Affaires dans une dimension internationale. Depuis mai 2019, il est à la tête d’une jeune start-up dont le modèle est encore naissant. Bee Cycle (c’est son nom) propose à des salariés d’entreprises, quelle que soit leur taille, de louer des vélos électriques. La société ne traite pas avec chaque collaborateur, elle conventionne avec les sociétés en question.

L’idée est venue, comme souvent, d’une première expérience prometteuse. « Il y a cinq ans, Richard Ardiller, le fondateur d’H&A, circulait beaucoup à vélo. On a eu l’idée de proposer cinq vélos électriques à disposition des collaborateurs de l’entreprise. Ce choix a eu un impact très intéressant. On a vu toute la difficulté de gérer même cinq vélos, parce qu’on n’avait pas mis de règles. Entre ceux qui ne réservaient pas, qui avaient un problème technique sans le signaler, qui ne rechargeaient pas les batteries… on a bien vu qu’il y avait des règles à mettre en place. Mais les vélos étaient très utilisés. Certains sont venus nous voir au moment des augmentations de salaires pour négocier un vélo à la place. J’ai compris qu’il y avait une offre à faire autour de ça ».

Retour en selle

Alors, début 2019, Jean-Christophe, amateur de déplacements en petite reine (il fait environ 5000 kilomètres par an en vélo) à l’allure sportive, s’est lancé dans le grand bain. La location, encore une fois, mais de vélos électriques en B2B. « La location est un phénomène générationnel. Il y a de nouveaux usages, on ne veut plus être propriétaires. Le marché du vélo va beaucoup évoluer dans les années à venir, on va créer une offre d’occasion derrière. Les gens auront besoin d’un vélo toujours au top, en bon état, connecté parce que ce sera la norme. Le marché mondial est en train d’exploser, ça va beaucoup innover ». La Chine, plus grand producteur de bicyclettes dans le monde, 4000 vélos sont assemblés chaque jour sur les lignes de production, les commandes doublent et les ventes vers la France ont été « multipliées par six ». En France, le syndicat Union sport et cycle, enregistrait une hausse de 114% pour les trois dernière semaines de mai.

Bref, après le confinement, les gens remontent en selle. Et Bee Cycle, visiblement, a saisi l’importance de cette opportunité pour se développer un peu partout en France, où ses quelques concurrents, tous en mode start-ups comme elle, font de même. « D’abord, il y a une peur de reprendre les transports en commun, mais pas uniquement : il y a aussi un certain goût pour l’individualisation. Les villes s’adaptent et aménagent des kilomètres de pistes cyclables, parce qu’il faut que les gens se sentent en sécurité pour prendre leur vélo. Les centres-villes sont de plus en plus embouteillés, l’air de plus en plus pollué et les entreprises ont de plus en plus de problèmes de parkings pour leurs collaborateurs. Nous, on n’est pas là pour vendre des vélos mais un service », confie Jean-Christophe. En l’occurrence, il s’agit d’un « packaging », modulable en fonction des attentes des entreprises et de leurs employés. La location de base dure 36 mois et coûte environ 70 euros par mois (60 euros plus 10 euros d’assurance, « loyer » dont l’employé paie entre 25 et 30%). Au bout de ce délai de trois ans, trois options se présentent : l’option d’achat (à 10% de la valeur du vélo neuf), l’arrêt du contrat ou le renouvellement du vélo avec reprise de l’ancien en occasion (80% de la valeur à la revente).

Une dernière « incitation » à l’objectif évident : avoir des vélos rendus toujours en bon état et « fidéliser » la clientèle d’entreprise, toujours plus demandeuse d’adaptabilité et de solutions de mobilités alternatives, d’autant plus lorsqu’elles sont en environnement urbain. « En gros, on a adapté le modèle de la voiture de fonction au vélo à assistance électrique. La seule différence, c’est qu’il n’y a pas d’argus de vélo, je ne sais pas combien vaudra un vélo dans trois ans donc je ne peux pas calculer un loyer ». Pour Bee Cycle comme pour d’autres, « l’effet covid » est « très clair. Ça a d’abord arrêté notre activité pendant deux mois. J’étais dans la phase d’accélération commerciale, la société avait six mois. On a connu un stop total avec pas mal d’inquiétude sur les quelques gros clients que j’avais en vue, tout a été remis à plus tard. En gros, j’ai perdu un an. Mais au moment du déconfinement, on a gagné trois ans tellement la demande est forte. C’est le jour et la nuit. On était sur du long terme avant : le bien-être du collaborateur, l’environnement, la RSE. Aujourd’hui, les entreprises se demandent surtout comment faire revenir leurs collaborateurs de manière sécurisée au bureau, autrement dit du très court terme ».

Boost politique

L’entreprise, implantée au sein du Village du Crédit Agricole, en plein centre de Bordeaux, a déjà contractualisé avec une quinzaine d’entreprises, dont quelques-unes à Bordeaux. « On signe beaucoup de PME parce que ça va plus vite mais on discute avec des grands groupes parce que le sujet est là. On a fait beaucoup de devis en juin, les signatures commencent à arriver malgré des problèmes de délais dans la livraison des vélos. On va voir si on ne peut pas s’appuyer sur des magasins en plus de constructeurs ou distributeurs pour les raccourcir. Bordeaux a été long à démarrer, j’ai eu plus de clients sur Nantes au début. Aujourd’hui, mon portefeuille est assez bordelais ». Treefrog Therapeutics, Primobox ou le Clos d’Émile (chambre d’hôtes) font notamment partie de la liste locale. « Pour les grosses sociétés, j’ai déjà des oui de principe. Avec elles, il faut pouvoir avoir de la récurrence. L’effet boule de neige est assez important ».

La dernière piste (pas cyclable, celle-ci) qui indique que les voyants sont au vert pour Jean-Christophe est, plus que jamais, politique. Le 15 juillet dernier, le nouveau Premier ministre, Jean Castex, promettait dans son discours de politique générale devant l’Assemblée Nationale, un plan vélo « très ambitieux ». Si l’on se réfère aux objectifs affichés en 2018 par le plan « Vélo et mobilité actives », la volonté reste de tripler la part modale du vélo dans les déplacements du quotidien d’ici 2024 (de 3 à 9%). En mai, le gouvernement a annoncé un triplement de l’enveloppe nationale dédiée au développement du vélo, passant de 20 à 60 millions d’euros et annoncé le « Coup de pouce vélo« . Du côté de Bee Cycle, on l’assure, « l’année se terminera en positif. J’ai un salarié. Pour l’instant, on essaie de limiter les charges au maximum. On travaille avec Edicop (association) qui nous aide à réfléchir et à structurer nos offres pour remettre en question notre modèle et notre stratégie. Pour le moment, la levée de fonds n’est pas nécessaire, on va attendre de voir une autre phase d’accélération. Le boost covid n’est pas durable, l’orientation vers le vélo l’est. On va continuer à augmenter la part modale du vélo dans les années qui viennent. Ça correspond à un mode de vie. On ne peut pas répondre à tout le monde mais il va falloir trouver des solutions. Je discute avec beaucoup de sociétés qui ont des voitures de fonction, une partie de la nouvelle génération n’en veut plus. Ils veulent des indemnités de déplacements, multiplier leurs modes de transports ».

Perspectives

S’il avoue « s’être posé la question des particuliers », il avoue des complications dans l’offre de base. Il faut gérer et faire une étude de risques à la personne, ce n’est pas la même organisation. « Je fais une analyse de risques sur l’entreprise, qui bénéficie d’incitations fiscales et récupère quasiment 50% de son loyer en économies d’impôts. Un particulier n’a pas ça donc c’est moins intéressant. On s’adresse à des entreprises parce qu’elle a tout intérêt à le faire. Certaines ne veulent pas pour des questions de pratique, mais on offre un service alternatif ». Le côté non-coercitif des Plans de Déplacements des Entreprises, pourtant obligatoire depuis le 1er janvier 2018, a accouché récemment d’un « Forfait mobilité durable« , dans le principe plus incitatif (même si sa mise en place reste facultative), jusqu’à 400 euros par an et par salarié.

Là-dessus aussi, Bee Cycle a visiblement un coup à jouer. « Je crois que le forfait mobilités va mieux fonctionner que le PDE, qui n’a pas vraiment marché parce que l’obligation de faire un plan de mobilités, c’était juste un constat de la situation des employés par rapport aux transports. Ils ne sont pas obligés de proposer des solutions, donc ils n’en proposent pas. Les indemnités kilométrique vélo (2016) étaient trop compliquées : il fallait faire déclaration tous les mois et ça présentait des distorsions entre collaborateurs. On voit qu’une vraie politique vélo est en train de se mettre en place. Si la volonté est là, ça peut se faire ». Plus localement, les choix du nouveau maire écologiste de Bordeaux veulent clairement se désorienter du « tout voiture ». « Il a été un peu loin tout de suite en disant qu’il voulait interdire la voiture en centre-ville, mais ça va dans mon sens », ironise Jean-Christophe Melaye. Car si l’idée est là, le marché reste encore à construire. « On va clôturer notre premier exercice le 30 septembre. L’objectif pour 2021, c’est d’arriver à 1000 vélos, donc en gros deux millions d’euros de chiffre d’affaires. Ce n’est pas très ambitieux. En 2018, on a vendu 338 000 vélos à assistance électrique en France. L’augmentation va sûrement être de plus de 20% cette année. Si les grosses sociétés commencent à s’y mettre et jouent le jeu, 1000 vélos, ça peut être une société ». Dans le jargon, même s’il est très spécifique, c’est ce qu’on appelle un boulevard. Ou une autoroute pour vélos ! 

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