Réforme du lycée professionnel : une copie à revoir?


Annoncée par Emmanuel Macron à Saintes, avec un milliard d'euros à la clé, la réforme du lycée professionnel ne serait pas loin du hors-sujet, selon l'universitaire de Poitiers, Séverine Depoilly, sociologue de l'éducation.

DR Depoilly

Séverine Depoilly, enseignante-chercheuse à l'université de Poitiers, en sociologie de l'Education.

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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 05/05/2023 PAR Cyrille Pitois

Emmanuel Macron a annoncé ce jeudi à Saintes, faire de l’enseignement professionnel une cause nationale en injectant un milliard d’euros supplémentaires par an pour ces lycées. Il prévoit notamment de renforcer l’attractivité de ces formations en instaurant une rémunération des temps de formation en entreprise. Pour Séverine Depoilly, enseignante chercheuse à l’université de Poitiers en sociologie de l’éducation et membre du laboratoire GRESCO, ce plan passe une nouvelle fois à côté de l’objectif. Entretien.  

@qui! : Quel est l’état des lieux de l’enseignement professionnel aujourd’hui ?

S.D. : C’est une espèce de constante en particulier pour le lycée professionnel qu’il convient de distinguer des filières par apprentissage des CFA. Les lycées professionnels continuent d’accueillir un public scolaire relégué sur la base d’un échec à accéder aux filières générales ou même technologiques. Il faut préciser que le champ des formations est extrêmement vaste et que les quelques filières liées à l’artisanat d’art que l’on met souvent en valeur concernent, en réalité, de très petits effectifs.

Des emplois peu attractifs

@! : Quelles sont les filières qui recrutent massivement ?

S.D.: Les métiers de la gestion administration, les services à la personne et l’industrie. L’image est peu valorisée aux yeux des élèves comme de leurs familles, ce qui ne veut pas dire que les jeunes ne vont pas finalement y connaître une scolarité qui va bien se dérouler. Cette voie permet peu la poursuite d’études mais les élèves peuvent vivre positivement leur formation. Les annonces gouvernementales visent à revaloriser le parcours en pensant surtout à ce qui se joue pendant le temps de formation. Mais le problème n’est pas là. Les emplois qu’on propose à un titulaire d’un bac pro sont mal rémunérés, avec des contraintes de flexibilité et de conditions de travail peu attractives. Les élèves ne sont pas dupes. La solution qui vise à massifier les périodes en entreprise vient en décalage de la question de fond. Les jeunes qui se destinent à travailler auprès des personnes âgées en ADMR ou les Ehpads ont avant tout besoin d’une revalorisation des conditions de travail.  

@! : La rémunération du temps de formation passé en entreprise est pourtant attractive ?

S.D.: Ça va être attractif et important pour les ados et leurs familles, car ils sont majoritairement issus des milieux populaires.  Mais on le voit bien dans la filière apprentissage : ce n’est pas ce qui empêche la rupture de contrat. Ce n’est pas ça qui va les retenir et ne garantit rien de la qualité de la formation en entreprise.  C’est un gadget si on ne pose pas la problématique du lycée pro. Aujourd’hui, avant de densifier les périodes en entreprise, le premier problème c’est de trouver une place en stage, avec un stage qui soit réellement formateur. Ils ont 14 ou 15 ans. Il faut une personne dédiée pour leur accueil, une personne qui soit formée à former. Aujourd’hui, le cauchemar des enseignants et des chefs d’établissements c’est de trouver des entreprises qui accueillent les jeunes en stage. Même si ils ne sont pas friands du modèle scolaire, ces ados en classe de seconde, ont peut-être plus de temps à passer au lycée pro, la densification des heures en entreprise montant progressivement au fil du parcours, à condition qu’elle soit bien accompagnée.

Il y a peu de considération pour le travail ardu des enseignants qui requalifient des élèves dont les comportements sont parfois difficiles à gérer.

Les plans et les réformes se succèdent avec la même idée: passer toujours plus de temps en entreprise en délégant toujours plus aux professionnels, sans savoir s’ils en ont envie. En fait, il y a une ambivalence : le lycée pro est une filière d’insertion tout en affirmant que c’est une possibilité de poursuivre des études.

@! : La réforme prévoit aussi de valoriser la fonction des enseignants.

S.D.: Ce qui est saisissant, mais pas spécifique à la voie professionnelle, c’est que la revalorisation salariale n’est envisagée qu’en contrepartie d’autres tâches à prendre en charge, comme si ils n’étaient pas déjà engagés au maximum. C’est porter peu de considération au travail ardu de requalification des élèves, qui sont souvent très absentéistes et dont les comportements sont parfois difficiles à gérer.

@! : La copie est à revoir ?

S.D.: Un milliard d’euros pour si peu ! On passe à côté des vrais problèmes. Comme avec la réforme Blanquer de 2018, il y a de quoi être sceptique tant qu’on nous présente des choses nouvelles qui ne le sont pas, tant qu’on cherche des objectifs à marche forcée, sans donner aux enseignants et aux chefs d’établissement des moyens qui leur donneront enfin le sentiment de ne plus mal faire leur travail.

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1 Commentaire

Un commentaire

  • Rubio, le 6/5/2023 à 09h31

    Bonjour, je suis prof d’ébénisterie dans un lycée professionnel.
    Nous avons perdu une année de formation alors que nous formions nos élèves sur 4 ans (2 CAP + 2BMA).
    Bien évidemment le niveau attendu de formation de mes élèves en souffre cruellement et par conséquent, leur insertion professionnelle aussi. Alors au lieu de faire croire à tout le monde que la future rémunération des PFMP sera le levier de la motivation des élèves et aussi celui de la qualité de leurs apprentissages, il aurait été bien plus sage d’aller jeter un œil sur les conditions dans lesquelles les stages se déroulent.
    Ayant été artisan par le passé, je peux sincèrement attester qu’un patron n’est pas un enseignant et réciproquement.
    Certes il nous arrive parfois de tomber sur une exception, seulement parfois.
    Nos élèves sont issus de milieux assez modestes, ils ont besoin de plus de temps à passer au lycée pour enfin se construire un avenir plus ambitieux posé sur des fondations solides.
    Et pour terminer je rappelle toujours à mes élèves que plus tard ils seront des parents qui auront la responsabilité en terme d’éducation de savoirs, de culture entre autres de leurs propres enfants et que tout se passe ici et maintenant au lycée.


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