Rendre visible, l’invisible, tout un programme ! Et même un programme universitaire des plus sérieux pour la vingtaine d’étudiants de cette formation de niche qu’est le master en droit, gestion et commerce des spiritueux de l’Université de Poitiers, un master qui existe depuis 1988, délocalisé dans les vignes de Grande Champagne à Segonzac, premier cru de Cognac, où les bars étudiants sont plus rares qu’à Poitiers.
Comme l’aurait désigné Montaigne, les étudiants y font leurs humanités. Une majorité provient du cursus de droit de l’université de Poitiers et se destine à postuler dans des maisons de cognac, de négoces de vins ou encore chez des producteurs pour devenir des experts juridiques ou des spécialistes de l’oenotourisme, du marketing, de l’export.
Au cours d’un séminaire chaque mois, ils réfléchissent à la notion de terroir culturel, à la prise en compte les paysages, de l’histoire d’un lieu, sa cartographie, ses savoirs faire, ses traditions, en lien avec son passé. Pour mieux se projeter dans l’avenir.
De Segonzac au Japon en passant par le Val de Loire
Le mois dernier, c’était dégustation parcellaire de vins de Bordeaux, en présence de vignerons. Dans deux semaines, voyage en Val de Loire pour étudier l’impact du fleuve sur le travail de la vigne hier, aujourd’hui et demain. Ce 1er mars, la journée de séminaire est consacrée au Japon avec l’intervention de plusieurs spécialistes: un paysagiste architecte de l’Université de Bordeaux ou un professeur émérite de l’Institute of technology de Tokyo en visio. A Segonzac, les étudiants vont aussi accueillir un professeur de l’Université de Kyoto en amont d’un voyage d’étude sur l’île de Kumamoto et l’élaboration du saké. En ligne de mire, des échanges entre universités pour confronter les traditions et les savoirs faire autour du saké et ceux autour du cognac. Les futurs « masters » pourront même découvrir et goûter du vin japonais et pas seulement du vin de prune.
Des objectifs croisés
Cette formation décloisonnée est rendue possible grâce au mécénat de la Fondation Terroirs et Paysages culturels (sous l’égide de la Fondation de France) implantée sur la Juridiction de Saint-Emilion, patrimoine mondial de l’humanité. Elle soutient des programmes culturels, scientifiques et éducatifs en lien avec le paysage, les terroirs, leur patrimoine immatériel et leur devenir au sens du développement durable.
La Fondation Terroirs et Paysages a été créée en 2018 par Catherine Grebault Artaud. Historienne de l’art, spécialiste de la classification de biens immatériels au Patrimoine mondial de l’Humanité (Unesco) et elle-même vigneronne, elle a créé la Fondation pour défendre la notion de communauté viticole solidaire qui a été l’un des fondamentaux de l’inscription au patrimoine mondial de l’humanité de la Juridiction de Saint-Émilion.
Trois femmes à la manœuvre
Sa rencontre avec Gabrielle Rochdi a fait le reste. La co-directrice du Master à Segonzac, chercheuse en agroécologie, travaille sur les notions de territoire de vigne durable. Elle aspire aussi à associer ses confrères chercheurs de l’Université de Bordeaux à l’aventure de Ségonzac pour développer les échanges avec d’autres terroirs.
La troisième intervenante de cette expérience éducative est Blandine Giambiasi, charentaise d’origine qui a posé son baluchon à La Rochelle, après avoir vécu en Gironde et travaillé sur les paysages et les terroirs auprès de producteurs de vins. Elle est la coordinatrice des séminaires. Ces femmes parlent la même langue de la transmission.