Djihadisme et réseaux sociaux : « La cyberguerre est devant nous »


Aqui
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 04/12/2017 PAR Alizé Boissin

Après les attentats qui se sont multipliés en Europe,  les Etats et les acteurs privés du Net ont décidé de riposter. Question d’image pour les uns, d’efficacité dans la lutte contre les djihadistes pour les autres. Mais de quels outils disposent-ils ? Quelle est leur efficacité ? 

2015, une année charnière ?

Début novembre, le reporter Soren Seelow publiait dans Le Monde le portrait d’Hamza « le sniper », l’éclaireur du chef de commando des attentats du Bataclan en 2015. Cette enquête met en avant comment ce groupe terroriste est parvenu à communiquer via de gros réseaux sociaux comme Facebook, malgré les contrôles opérés par l’Etat. 

Pour l’ancien ministre de l’Intérieur, Matthias Fekl, l’année 2015 n’est pas celle de la prise de conscience mais bien le début du basculement. A la suite des attentats de 2015, l’Etat investit aussi internet pour contrer la propagande des terroristes. 2015 marque donc la mise en place du site internet « Stop Djihadisme », ou encore le déplacement de Bernard Cazeneuve dans la Silicon Valley pour mettre en place les outils nécessaires.  Très vite, les politiques se trouvent confrontés à « l’enfermement algorithmique » selon Matthias Fekl. La difficulté pour l’Etat de travailler sur les réseaux sociaux est de cerner les personnes concernées, alors que les préférences algorithmiques continuent de jouer leur rôle : proposer du contenu en fonction de vos centres d’interêt, un système qui peut faire basculer des utilisateurs dans la sphère terroriste. L’ancien ministre explique que certains utilisateurs de Facebook, qui ont des préférences pour l’humanitaire, peuvent se retrouver confronter face à du contenu djihadiste. Un danger difficile à maîtriser.  

2015, est aussi une année charnière pour Facebook. Le responsable des affaires publiques à Facebook France, Anton’Maria Battesti explique que jusqu’à cette date là, les réseaux s’appuient majoritairement sur des ressources humaines. Aujourd’hui l’intelligence artificielle est mise au service de la lutte contre le djihadisme. D’après ses chiffes, « 99% des contenus djihadistes sont retirés pro-activement et 83% dans l’heure ». Un travail possible grâce à la technologie mais aussi grâce à l’expertise. « Chez Facebook 150 personnes sont chargées de l’expertise concernant le djihadisme ». Un chiffre que Nicolas Beau, journaliste et directeur du site d’information Mondafrique, animateur du débat du jour, juge « faible au niveau mondial ». De son côté Romain Caillet, historien de formation et chercheur/consultant sur les questions islamistes apporte son analyse sur le basculement de 2015. Les djihadistes sont passés des forums aux réseaux sociaux en quelques années ; auparavant très actifs sur Twitter, c’est en 2014 que bon nombre d’entre eux quittent la plateforme à cause du renforcement de la censure. Des réseaux sociaux qui sont d’ailleurs une aubaine pour les journalistes en contact avec les djihadistes : « c’est le cas de David Thomson, qui a vu son compte bloqué quelque temps à cause de ses entretiens et ses recherches ». Une expertise qui, selon lui, est nécessaire et indispensable.

« Parler avec des djihadistes »

Dans la salle, le métier de l’expert Romain Caillet intrigue. Ancien chroniqueur pour BFMTV, il a été remercié en 2016 car il est désormais « fiché S ». Lui qui dit « communiquer avec bon nombre de djihadistes » suscite les questions : » ça veut dire quoi exactement communiquer avec ces gens là ? » interroge Nicolas Beau. En réalité l’historien explique: « J’ai eu un pied dans la mouvance djihadiste dont je me suis séparé violemment à partir de 2007. » Il se justifie d’avoir gardé certains anciens contacts qui lui permettent de réaliser des entretiens afin de mieux comprendre les mécanismes de la radicalisation. Un passé « trouble », qui semble déranger Matthias Fekl; en témoignent les quelques tacles du débat. Ce dernier lui reprochera d’ailleurs les propos tenus lors d’une audition de 2008 où il affirmait « je ne suis plus pour le djihad parce que je m’oppose au fait d’entraîner des jeunes pour se sacrifier à mourir sans avoir acquis au préalable les bases de l’islam ». Des propos que l’ancien ministre de l’Intérieur juge « ambigus ». De son côté, Romain Caillet se défend vivement. Il accuse l’ancien ministre de « tronquer ses propos » et lui reproche son manque d’expertise sur le sujet. D’accusations en accusations le débat vivifie la salle et Nicolas Beau est obligé d’interrompre les échanges pour se recentrer sur le sujet.

Quelles coopérations ?

Mais alors comment lutter contre la radicalisation face aux messages codés ? Pour le responsable des affaires publiques à Facebook, l’intelligence artificielle n’est pas capable de tout régler « d’où le rôle fondamental de l’être humain ». Il assure que l’Etat et Facebook travaillent activement ensemble pour fournir des données aidant les services d’enquêtes « on ne va d’ailleurs pas tout dire ici, pour des raisons évidentes de sécurité » ajoute-t-il. L’objectif des prochains mois ? Lutter contre les faux comptes, nouvelle technique des djihadistes.

Ce contrôle à outrance inquiète pourtant quelques spectateurs: « comment concilier cette politique et la démocratie ? ». A cette interrogation, Matthias Fekl tente de rassurer: « Il faut sur les réseaux une réactivité absolue, des capacités d’interception pour détecter des contenus dangereux ». Pour appuyer son propos, il rappelle qu’un attentat a été déjoué à Marseille à quelques jours du scrutin présidentiel. « Coopérer est indispensable, sans ça rien n’est possible » concluera Matthias Fekl, largement applaudi. 

Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
On en parle ! Gironde
À lire ! SOCIÉTÉ > Nos derniers articles