Les chefs racontent souvent comment ils se tenaient près du téléphone quand il a sonné pour leur annoncer la bonne nouvelle. Rarement quand il n’a pas sonné. Dans l’ambiance feutrée d’Inima, son restaurant du centre de Bordeaux, Oxana ne cache pas qu’elle a attendu en vain. Des articles de la presse nationale soulignaient la qualité de son travail, l’une des rares cheffes féminines de Bordeaux attirait beaucoup l’attention, et surtout, tout avait été fait pour obtenir ce graal.
Le changement de nom de Cromagnon vers Inima en 2023 avait été une première étape visible, même si la mutation avait commencé à s’opérer bien avant. L’évolution de la carte vers des goûts plus complexes, la prise de risques mesurée d’une cuisine de saison et du marché, toujours avec beaucoup de délicatesse, une nouvelle vaisselle, une décoration sans accroc, un service parfait, une jauge petite de moins de 20 couverts et des prix correspondants (75 euros pour le premier menu), tout avait été
minutieusement policé dans le sens de l’obtention de la précieuse étoile.
Je veux faire découvrir la gastronomie de la Moldavie à mes équipes, leur partager mes souvenirs d’enfance, le goût des fleurs très utilisés en cuisine
De toute évidence, Oxana ne désespère pas de l’obtenir un jour. Mais en attendant, ce seul but est peut-être un trop gros sacrifice. Retrouver un peu de liberté, et notamment ses origines moldaves, voilà ce qui lui redonne une étincelle dans les yeux. “Je veux emmener mes équipes sur place, leur faire découvrir la gastronomie de la Moldavie, leur partager mes souvenirs d’enfance, les conserves de fraise de ma grand-mère que l’on pouvait déguster toute l’année, le goût des fleurs très utilisées en cuisine. L’idée est que nous puissions développer les emprunts à cette gastronomie dans notre carte, partager cela avec nos clients réguliers qui sont si importants pour nous.” La cuisine d’Oxana pourrait ainsi mériter mieux qu’une étoile, la possibilité d’affirmer sa différence, au travers d’une cuisine riche, multiculturelle, inventive.
Déjà, dans l’assiette, on est ému par cet amuse-bouche au caviar d’Aquitaine, traité très différemment des associations habituelles autour de ce produit de la mer. Ces magnifiques merlus pendus dans un séchoir révèlent ensuite une tendreté rare, mise en valeur par la justesse des cuissons et l’association avec le sureau ou l’ail noir. Et le safran, couplé à la fraise en sorbet et en crème brûlée, donne une intensité bienvenue au point final du repas. On ne peut alors qu’être avide de goûter aux prochaines étapes de ces nouvelles prises de risques et se réjouir de cette liberté retrouvée.
Et si dans l’assiette comme ailleurs, le véritable luxe était celui d’être libre de risquer de déplaire, pour mieux séduire par sa singularité ?