Un porteur d’eau aux Reclusiennes


Joséphine Duteuil

Un porteur d'eau aux Reclusiennes

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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 13/07/2016 PAR Joséphine Duteuil

C’est une année anniversaire. La fondation France-Libertés, créée en 1986 par Danielle Mitterrand, fête trente ans de lutte pour la défense des Droits de l’Homme. A l’origine centrée sur le droit des peuples à l’autodétermination, elle diversifie maintenant ses actions ; toujours avec les droits fondamentaux comme fil directeur. Le combat pour disposer de leurs richesses naturelles, la lutte contre la spoliation de leurs terres ou la préservation de leurs savoir-faire et savoir-vivre sont au cœur d’un engagement plus large. L’eau en fait partie.

 Pour Emmanuel Poilanne, c’est un combat constant. L’ancien expert-comptable a vécu en Afrique, où il a travaillé pendant 17 ans sur des projets de développement « Là-bas, le partage de l’eau est une évidence, car c’est une problématique qui se pose pour chacun, tous les jours » martèle-t-il « Chez nous, c’est beaucoup moins vrai» En 2009, il rentre en France à la demande de l’Agence France-Libertés, qui fait de lui son directeur.

 Un million de familles menacées de coupure

Quel rapport entre eau et liberté ? Pour Emmanuel Poilanne, la découverte est un peu fortuite. Il constate, au moment de sa prise de fonction, que si les coupures d’eau en cas d’impayé sont interdites en France, elles touchent en réalité des centaines de familles chaque année. L’agence France-Libertés lance un appel à témoins. En un an et demi, ils rassemblent près de 1000 témoignages. Le nombre total est difficile à estimer, mais les chiffres donnés par les régies et les multinationales le situe d’emblée au-dessus des 100 000 par an.

 S’y ajoute pour beaucoup d’autres la peur d’être coupé, et le sentiment d’insécurité qui en découle. « On s’est rendu compte alors de la violence de notre beau pays. A la fois dans la privation de dignité que cela implique, et dans la violence d’un monde économique qui ne s’occupe que d’économie et oublie de regarder les gens» La menace planerait sur près d’un million de familles.

 Au cœur du problème selon lui, une poignée d’entreprises qui se partagent un marché captif en édictant leurs propres règles. « En France, le marché de l’eau est divisé entre deux à trois multinationales qui n’ont de cesse de penser le droit à l’eau pour tous… ceux qui peuvent payer » Malheureusement, les régies publiques ne font, d’après lui, pas beaucoup mieux.

 A partir de là, le combat est simple : les Porteurs d’eau entendent faire valoir le droit. « Aujourd’hui, on se retrouve obligé de déployer une énergie impensable pour simplement faire appliquer la loi » regrette-il, un peu usé. L’ONU elle-même a reconnu le droit à l’eau potable en 2010, mais celui-ci reste surtout théorique. En France, une loi tout aussi théorique est régulièrement violée. Pour Emmanuel Poilanne, il est temps de passer au concret.

 « Quelque part, on a planqué l’eau »

 Si la bataille est difficile, c’est peut-être parce que l’eau n’est justement plus, pour beaucoup d’entre nous, une réalité tangible. Nous n’allons plus la chercher au puits, n’en stockons pas chez nous. Ne l’économisons pas. « L’eau n’est plus une évidence car elle a disparu » assène Emmanuel Poilanne. « Quelque part, on a planqué l’eau. Et ce faisant, on oublie qu’elle est au cœur de la vie ». Le geste de tourner le robinet comme la température optimale de la douche sont devenus des réflexes, une routine.

 Après des années de combat, le droit à l’eau est finalement à nouveau discuté à l’Assemblée en juin 2016. Le texte poussé par les Porteurs d’eau et le rapporteur Michel Lesage prévoit un contrôle de l’interdiction des coupures, mais aussi des aides préventives moins stigmatisantes pour les familles en difficulté. L’article 2 prévoit même la réintroduction des fontaines, et des douches publiques dans les villes de plus de 15 000 habitants. Car le droit à l’eau, justement parce qu’il est universel, s’applique aussi à ceux qui sont privés de domicile .

 Malgré tout, l’opposition résiste. Au terme de débats émaillés de déclarations d’intention et d’hommages répétés à Danielle Mitterrand, aucun accord concret sur l’origine des financements n’est trouvé. Les 50 millions nécessaires, « dérisoires » pour Emmanuel Poilanne, qui les compare aux 650 millions consacrés aux chèques énergie, manquent encore. Et les entreprises ne se résignent pas. Aujourd’hui encore, deux multinationales continuent d’après lui à couper l’eau, et se mobilisent auprès des parlementaires pour obtenir un changement de législation. Il y voit un « cynisme invraisemblable » :  «Que doit-on penser lorsque des entreprises marchent sur une loi pour laquelle elles ont déjà été condamnées ? »

 Le chef de file des Porteurs d’eau n’entend pas abandonner pour autant. Sa « feuille d’eau » – une bouteille dessinée par Philippe Starck, vendue pour 5 euros en soutien à l’association – entre les mains, il est catégorique : « Si on n’est plus capable de partager l’eau, on n’est plus capable de vivre ensemble. D’où l’importance de rester mobilisés, pour préserver une sphère des biens communs qui ne soit pas noyée dans la sphère économique ». Dans cette lutte-là, hors de question de s’arrêter en chemin.

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