Tunisie : persistance du questionnement sur l’égalité hommes-femmes face à la succession


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Tunisie : persistance du questionnement sur l'égalité hommes-femmes face à la succession

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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 18/07/2019 PAR Anna Bonnemasou

« Tunisie: attention chantier », ainsi était intitulée la dizaine de conférences qui se rapportaient au pays africain et qui se sont tenues lors du festival international de journalisme de Couthures-sur-Garonne. Un chantier, une reconstruction que le pays tente de mener simultanément sur tous les fronts. L’aspect sécuritaire, tout d’abord, avec un état d’urgence prorogé plusieurs fois suite aux attentats du 14 janvier 2018 et de la situation tendue de la Libye, Etat voisin ; un domaine qui impacte les autres aspects de la restructuration du pays, dont l’économie, largement basée sur le tourisme (13,8% du PIB national), et qui a souffert des périodes de troubles successives aux attentats. La politique enfin, avec une transition démocratique qui se poursuit et connaît, comme le veut le jeu politique, quelques aléas dans son déroulement, comme dernièrement le malaise du président Béji Caid Essebsi qui a révélé des fissures au sein de la classe politique. Et parmi ces grandes lignes directrices de la reconstruction tunisienne, il en est une, qui relève du plan social et qui tente de se faire une place parmi les grands dossiers du pays: l’égalité hommes-femmes.

Tunisie pays arabe précurseur sur le statut des femmes

Et sur ce plan, une loi, sur le point d’être votée par le Parlement, pourrait contribuer à ce chantier là. Depuis le 27 février, les 217 élus du Parlement tunisien planchent sur l’institution d’une égalité successorale entre les sexes. Validé par le Conseil des Ministres, le texte doit encore obtenir l’aval des parlementaires, avant de pouvoir prétendre à la promulgation. Porté par le Président de la République tunisienne, ce projet de loi reflète la volonté de ce dernier, à la veille de sa fin de mandat, de s’inscrire dans la lignée de son prédécesseur Habib Bourguiba. Le premier président tunisien, travaillait déjà à la réduction des inégalités hommes-femmes, notamment avec le Code du statut personnel, qui au lendemain de l’indépendance de 1956, interdisait la polygamie et facilitait le divorce. Ce texte de loi est encore inédit dans le monde arabe et conforterait la position du pays comme précurseur en matière de statut des femmes. Pour l’heure, la question successorale est réglée par des lois d’inspirations coraniques qui prévoient, qu’à même niveau de parentalité, un homme hérite du double d’une femme.

L’ambition d’une répartition successorale égale

Une législation actuelle qui s’applique par défaut, soit, dans les cas où aucune disposition n’aurait été prise en amont. En effet les tunisiens peuvent effectuer une démarche d’usufruit, également prévue par le Coran, qui leur permet de choisir au préalable le montant de la part laissée aux hommes et aux femmes de leur succession. Des mesures pré-existantes au projet de loi, sur lesquelles pourraient se reposer les partis religieux et conservateurs lors du vote en Assemblée, pour rejeter un projet de loi prévoyant l’application de l’héritage égalitaire par défaut, et la nécessité de démarches supplémentaires pour conserver l’inégalité successorale basée sur le sexe. Autre argument en défaveur du texte étudié, l’opinion publique. Pour l’heure les sondages réalisés révèlent une population tunisienne opposée au projet de loi, dont une importante part de femmes. Pour l’avocate et militante féminine Sana Malek* les résultats des enquêtes d’opinion s’expliquent par le fait que, pour l’heure, la population privilégie la religion et les normes qui en découlent, et souhaite accorder la priorité à d’autres thématiques telles que la politique, l’économie, et la sécurité du pays. Une réalité à laquelle se heurtent les aspirations féministes qui prônent une succession obligatoirement répartie de manière égale.

Complexité juridique et risques sociaux de la manœuvre

Pour l’avocate, effectivement, la priorité des parlementaires n’est pas à la résolution du calcul des successions. « Je respecte le choix militant de défendre ce texte. Si une loi comme celle-ci passe j’en serais heureuse. Mais, pour moi aussi, la priorité immédiate revient à d’autres sujets » explique Sana Malek. La juriste note également deux problèmes inhérents à ce projet législatif. Tout d’abord cette question pourrait renforcer, plus encore, le clivage ville-campagne, que l’on sait déjà très fort dans la pays. En effet tout le monde n’a pas quelque chose à léguer à sa famille, plus encore dans certains gouvernorats tunisiens comme Kairouan ou Médenine, où les taux de pauvreté restent importants. Ensuite, vient l’aspect juridique et ses conséquences. Sana Malek avertit sur la complexité à prendre des dispositions qui soient réellement égalitaires: « C’est très subtil. Il ne suffit pas de décréter que frère et sœur auront la même chose. De plus, vouloir appliquer une répartition de l’héritage fondée sur un modèle de famille nucléaire, telles que les familles occidentales, dans une société basée sur des familles larges, voire encore des tribus dans certaines régions, pourrait accélérer la nucléarisation des familles tunisiennes, et avoir un véritable impact sur l’ensemble de la société et son économie. » Une économie au centre des préoccupations et à laquelle, pour l’heure le gouvernement accorde la priorité.

 

* Le nom a été modifié

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