Retraites: pourquoi tant de colère dans les petites villes?


De villes moyennes en petites villes, la mobilisation ne faiblit pas contre la réforme des retraites. Pourquoi les territoires sont-ils aussi engagés dans la contestation? Les retraites sont-elles le seul motif de colère? Décryptages et témoignages.

Carte de la mobilisation dans les villes de la région Nouvelle-Aquitaine à l'occasion des manifestations du 7 mars contre la réforme des retraitesInfographie Aqui.fr
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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 10/03/2023 PAR Cyrille Pitois

Thouars en Deux-Sèvres, Loudun en Vienne, Brive-la-Gaillarde en Corrèze, Oloron-Sainte-Marie en Pyrénées-Atlantiques, la liste des petites villes qui se mobilisent contre la réforme des retraites n’en finit pas de s’allonger au fil des journées de mobilisation.

Une dimension particulière dans l’histoire de la contestation chère aux Français et qui laisse entrevoir un virage en épingle à cheveux dans le mode d’expression politique. « Là où on se retrouve d’habitude à 150 pour bloquer un rond-point, on peut atteindre plusieurs milliers de personnes dans la période,» s’étonne Thierry Rousseau secrétaire de l’union locale CGT de Brive-la-Gaillarde. Et même si le syndicat est historiquement bien implanté et organisé dans le département, « c’est quand même un petit département avec de petites villes. »

Pour le leader syndical, qui connait tous les militants de sa ville, ce mouvement contre la réforme des retraites est l’occasion de voir arriver de nouvelles têtes aux rendez-vous de mobilisation. « Beaucoup de retraités, mais aussi des personnes qui ne sont pas tout à fait de la même origine sociale que nos militants habituels. D’ailleurs, ils n’ont pas l’habitude des manifestations. Ils s’arrêtent pendant un quart d’heure, discutent un peu, laissent une contribution financière et repartent. »

J’ai même repéré des médecins retraités de l’hôpital dans la dernière manifestation. Des gens qui vivent relativement bien, mais sont aussi pères ou grands-pères.

Autrement dit, des Français qui ont des salaires un peu plus élevés que les employés et ouvriers qui font d’habitude le gros des manifestations. « Il y a davantage de cadres qui viennent défiler. J’ai même repéré des médecins retraités de l’hôpital dans la dernière manifestation. Des gens qui vivent relativement bien, mais sont aussi pères ou grands-pères.»

Manifestation à Brive, le 7 mars lors de la mobilisation contre le réforme des retraitesUL CGT Brive

A Brive, le 7 mars 2023, un cortège important est venu nourrir les rangs de la protestation contre la réforme des retraites

Si le représentant de l’organisation se félicite de l’ampleur du mouvement, il y détecte un sentiment qui va au-delà du rejet du projet de réforme des retraites. « On partage des casse-croûtes, on discute et systématiquement, au bout de quelques minutes il est question de pouvoir d’achat, de prix, d’inflation. Les retraites c’est la goutte d’eau en trop. Le mouvement dit beaucoup sur le mépris du gouvernement vis à vis de cette souffrance au quotidien. »

Le ressenti d’une France archipellisée

Pour le politologue bordelais, Jean Petaux, ces mobilisations relèvent d’un phénomène quasi mécanique : « Quand un mouvement mobilise entre 1,3 et 1,5 million de personnes en France, ça ruisselle forcément un peu partout sur le territoire. » Mais il décode aussi un effet multiplicateur de l’expression d’une crise déjà identifiée « de la part d’une France archipellisée. Ça n’est pas statistiquement avéré : il y a des chiffres assez étonnants d’injections de financements dans les territoires. Mais le ressenti est plus important que la réalité. »

Et de pousser l’analyse : « Les manifestations contre les retraites existent parce qu’il y a une hostilité contre cette réforme, mais il y a aussi un effet déclencheur lié à un ressenti négatif sur plein d’autres choses autour d’une forme de précarité et du non-accès des populations à la totalité des services auxquels elles aspirent. Les retraites jouent le rôle de la locomotive. » 

Un mouvement qui dépasse le cercle de ceux dont la manifestation est un moyen habituel d’expression politique. La participation croissante de la classe moyenne n’est pas une surprise pour Jean Petaux. « Elle s’associe car elle se sent elle aussi en voie de marginalisation. La dépréciation des classes moyennes est perceptible depuis longtemps, comme elle existe aussi au Royaume-Uni ou en Allemagne. Ce sentiment d’être pris en étau, de payer pour tout et de gagner pas grand-chose. »

La mobilisation du 7 mars 2023 en Nouvelle-Aquitaine par départementinfographie Aqui.fr

La mobilisation du 7 mars en Nouvelle-Aquitaine par département.

La syndicalisation remonte en flèche

Mouvement social historique ? Le politologue reste prudent. « C’est vrai que le coté « transclasses » et transgénérationnel est marqué. Mais en mai 1968, dans une société structurée tout autrement, avec une grève générale d’une dizaine de jours, on avait déjà cette diversité dans les catégories sociales et les générations en colère. Qu’on a aussi pu retrouver en 1995 avec un mouvement très populaire. C’est rare mais il y a bien en gros tous les trente ans, l’expression consensuelle d’une protestation collective. Ce qui n’empêche pas d’ailleurs des revirements brutaux. En juin 68, les Français élisent une chambre à majorité bleu horizon. »  

De cet enracinement du mouvement, les syndicats tirent pour l’instant un bénéfice direct. « Tous les jours on a de nouveaux adhérents, se réjouit Thierry Rousseau, à Brive. Les gens poussent la porte et se renseignent. » Alors que le taux de syndicalisation chutait depuis les années 80 avant de se stabiliser dans les années 2000, le responsable syndical corrézien est formel : « Ça repart en flèche ! »

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