En manière d’hommage à Jef Runel Belliard


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En manière d'hommage à Jef Runel Belliard

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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 07/02/2016 PAR Romain Béteille

30 ans, c’est un cap. Encore plus pour une association. Cette année, il sera franchi par la Banque Alimentaire de Bordeaux et de la Gironde, et elle compte bien le fêter humblement avec les 188 bénévoles et 17 salariés qui la composent jour après jour. Des bénévoles qui sont justement répartis par la direction de ce gigantesque grossiste social ; 50% sont des retraités et 40%  des chômeurs ou des gens en attente de régularisation de leur situation. Autrement dit, des réfugiés. Ce reflet de l’aide sociale que la Banque apporte chaque jour aux plus démunis en aidant pas moins de 17 000 personnes par semaine depuis trente ans, Jeff Runel Belliard en est fier.

Un chef discret

A 69 ans, il en est le discret et chaleureux directeur depuis 2014, mais son engagement est plus ancien. Lunettes noires, cheveux gris, front large et sourire avenant, il se souvient des raisons pour lesquelles il est rentré dans le rang en octobre 2011. Elles passent principalement par le Rotary Club de Nérac dont il faisait partie dans l’une de ses vies professionnelles, à l’Agropole d’Agen, qui participait chaque année à la collecte de novembre. « Je trouvais ça intéressant et je ne me voyais pas passer une retraite à lire le journal, taper trois balles de golf et boire des pots. J’ai donc commencé par voyager comme tous les jeunes retraités », avoue-t-il en souriant. « Au Canada, aux Etats-Unis. En rentrant ça s’est déclenché par un coup de téléphone. Un de mes anciens voisins et ami, actuel vice-président de la Banque Alimentaire, m’a demandé de venir donner un coup de main. La personne qui s’occupait de la communication était souffrante et avait quitté son poste ».

Alors petit à petit, Jeff relance la communication de l’association avec la presse pour la collecte post-hivernale, l’une des périodes les plus importantes pour lui permettre de renouveler les stocks. « J’avais surtout de bons relais dans la presse locale, j’ai trouvé que c’était plus facile de vendre sa soupe à la banque alimentaire qu’à l’Agropole. Ici, tout le monde est sensible à cet aspect humain de la misère, on est là pour essayer d’aider les plus démunis à s’en sortir. C’est plus social, plus humain ». S’il a été engagé en tant que responsable de la communication dans cette structure qui noue des relations particulières avec l’industrie de l’agro-alimentaire, ce n’est pas vraiment par hasard. En fait, le secteur a toujours été lié à sa carrière. Ses parents, agriculteurs, lui ont transmis le virus pendant sept ans, dans le Gers. Alors tout jeune, Jeff raconte des défis et la colère des agriculteurs de l’époque, pas si différente d’aujourd’hui. « Je me souviens d’avoir occupé la sous-préfecture de Mirande avec les jeunes agriculteurs en 1972. Certains avaient scié des poteaux téléphoniques. Le problème, c’est que l’agriculture française est en pleine mutation. A l’époque, il y avait 8% de population dans les métiers agricoles, aujourd’hui il ne doit plus y en avoir que 2 ou 3% ». 

Un virage important

Il quitte le métier, non pas par désamour mais probablement par désir d’émancipation, la jeunesse de ces années voulant pour la plupart un destin différent de leurs aînés. Après une longue remise en question de six mois, il profite d’une opportunité et arrive à la Foire de Bordeaux. Son Président cherchait un spécialiste du milieu agricole pour nouer de nouvelles relations. Cet engagement, sorte de première reconversion, durera jusqu’à la fin des années 90. « Je me suis occupé du lancement de nouveaux salons, dont un particulièrement qui avait été initié par la Chambre d’Agriculture du Lot-et-Garonne : les « Journées Fruits et Légumes d’Agen ». On les a développées à la demande de Guy Saint Martin, président de la FNSEA et de ce salon qui est devenu ensuite le SIFEL ». C’est là que tous les wagons se raccordent, et que la jeune Agropole lui ouvre les bras. Là aussi, il sera un lanceur : celui d’un concours national de la création d’entreprise agro-alimentaire en 1994. En 2015, les deux jeunes fondateurs de Wise Pack, une société spécialisée dans la création de packagings innovants, en ont été les lauréats.

Une précarité galopante

Aujourd’hui, Jeff Runel est, même retraité, à la tête d’une grosse machine sociale qui redistribue à 144 associations, laïques ou confessionnelles, toutes religions confondues. Avec une devise qui est restée la même depuis sa création par un collectif d’associations locales en 1986 : on n’achète rien, on ne revend rien ». Il dirige le deuxième plus gros volume des Banques Alimentaires au niveau national, et la première structure en masse de produits frais. Son boulot, il ne le fait pas qu’en période hivernale. Comme tous ses collègues, il est sur la brèche toute l’année. Et comme toutes les associations, la BABG est confrontée à un effet ciseau toujours plus important : la baisse des dons et l’augmentation de la précarité. Pour la dernière collecte effectuée dans 330 magasins du département, elle a récolté 390 tonnes de denrées alimentaires contre 409 l’année précédente.

« Aujourd’hui, on connaît un trou qui m’inquiète un peu. Nos frigos sont vides alors qu’ils devraient être à moitié pleins. Les conditions climatiques ont changé, la grande distribution fait très attention à éviter le gaspillage. Contraints par la loi des bio-déchets, ils ne peuvent plus jeter que dix tonnes par an dans leur magasin, le reste devant être transformé ou donné. Ils commandent donc moins. Les quantités ont diminué, pas les demandeurs, qui sont 5 à 6% plus nombreux chaque année ». Sans être en relation directe avec eux – la Banque Alimentaire étant plus en lien avec les associations qui sont, elles, en contact direct-, Jeff ne peut que déplorer le nombre toujours croissant de femmes seules, de chômeurs célibataires, de jeunes sans emplois et de retraités pauvres, lui qui avait appris à vivre avec sa grand-mère et ses parents dans la même maison. 

Engagé jusqu’au bout

Quant à son poste de Président, il assure ne pas vouloir faire plus d’un mandat. Le sien se termine en avril 2018, et il a déjà un successeur en tête. On lui dit qu’il pourra peut-être alors prendre une vraie retraite, partagée entre ses passions pour l’art, la belle chanson française et le sport, rugby et foot en tête. Mais il n’en démord pas : il compte bien rester dans l’organisation, même s’il se fond dans la masse des bénévoles. « Je ferai autre chose. Je peux conduire un camion… ». Non, vraiment, Jeff Runel n’est pas là par hasard. C’est d’ailleurs ce que l’on constate en lui demandant ce qui constitue pour lui ce dont il est le plus fier en s’asseyant chaque jour dans son fauteuil d’opérateur en chef. « C’est cette mixité sociale que l’on y trouve qui rassemble ces bénévoles de tous milieux et permet à certains d’entre eux de retrouver des raisons d’espérer. On essaye de les faire avancer et bon nombre d’entre eux, après des accidents de la vie, reviennent ici comme bénévoles. C’est assez incroyable ».

Ces bénévoles, justement, organisent un pot en bas, histoire de partager un verre tous ensembles. On a oublié de poser une question essentielle à Jeff avant de partir et de le laisser organiser les futures festivités pour le trentième anniversaire de la Banque : préfère-t-il le rubgy ou le football ? « Le rugby. Il y a trop d’argent dans le foot ». 

 

Jeff Runel Belliard from Aquipresse on Vimeo.

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