C’est avec émotion et fierté que le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, découvre l’oeuvre originale de Michel de Montaigne, présentée pour l’occasion à l’auditorium de la Bibliothèque municipale de Bordeaux. « Bien plus qu’un simple manuscrit », les Essais de Montaigne, écrits en français (plutôt qu’en latin), « s’adressent à nous tous » déclare-t-il. Pierre Hurmic voit en cet ouvrage un moment de confession intime dédié au plus grand nombre. Ces écrits témoignent d’une grande liberté de l’auteur.
Pierre Hurmic souligne le courage et la modernité de l’écrivain qui fut aussi maire de Bordeaux de 1581 à 1585. « C’est une charge qui doit sembler d’autant plus belle, qu’elle n’a ni loyer, ni gain autre que l’honneur de son exécution » disait le philosophe maire. A ce discours, Pierre Hurmic ajoute : « je suis véritablement honoré d’être le gardien de cet exemplaire ».
Il aura fallu attendre six ans avant d’aboutir à ce travail de recherches et d’analyses réalisé par des chercheurs du laboratoire de l’université de Montaigne en collaboration avec des conservateurs, mentionne Lionel Larré, président de l’Université Bordeaux Montaigne. Véritable histoire d’amitié entre cet établissement d’enseignement supérieur et l’auteur, « Montaigne illustre la tolérance et l’ouverture sur le monde, tout comme notre faculté ».
L’inventeur d’un nouveau genre littéraire
Homme du 16ème siècle, Montaigne semble pourtant plus proche de nous qu’il n’y parait. Mort, amour, relations humaines, un panel de thématiques sont abordées dans cet ouvrage, véritable éloge à la vie. Montaigne est un « homme d’aujourd’hui » assure Marc Daniel, directeur adjoint de la DRAC (Directions régionales des affaires culturelles) Nouvelle-Aquitaine.
Écrivain d’un nouveau genre, Montaigne invente les essais littéraires ; « s’approcher de la réalité par l’expérimentation » explique Marc Daniel. À la lecture de l’exemplaire, et des annotations de son auteur, le lecteur suit le cheminement de la rédaction de l’auteur. Grâce à l’étude des encres, « nous savons que Montaigne est repassé plusieurs fois, qu’il s’est relu, qu’il a apporté des corrections » détaille Violaine Giaccomotto-Charra membre du comité scientifique Montaigne UNESCO.
Une œuvre inachevée
L’exemplaire de Bordeaux n’est pas le seul exemplaire des Essais existants. Le plus connu est celui de Marie de Gournay en 1595. C’est elle qui a complété l’écrit de l’auteur en rendant célèbre le passage sur l’amitié de Montaigne avec la Boétie : « parce que c’était lui, parce que c’était moi… ». La version initiale de 1588 ne contient pas cette partie. Il s’agit en réalité d’un exemplaire qui aurait dû être détruit car annoté.
Les lecteurs entrent dans l’intimité de l’auteur, ils peuvent y lire des commentaires, y voir des ratures. « Il s’agit d’indications données aux imprimeurs » commente Mathieu Gerbault, conservateur à la bibliothèque de Bordeaux. Généralement, ces exemplaires annotés étaient ensuite détruits une fois édités confie Violaine Giaccomotto-Charra. « Cet exemplaire s’apparente vraiment comme un manuscrit de l’époque » assure-t-elle. Celui-ci a été réalisé en vue de la rédaction d’une nouvelle édition qui n’a jamais vu le jour en raison du décès de l’auteur avant qu’elle ait pu avoir lieu.
Dans cette œuvre originale, Montaigne décrit par exemple sa fameuse bibliothèque personnelle, son échappatoire, là où il se retire, explique Mathieu Gerbault. Des passages son manquants.
Au regard de cette œuvre inachevée, les lecteurs « trouvent ce qu’ils cherchent » confie Violaine Giaccomotto-Charra. « J’écris mon livre à peu d’hommes, et à peu d’année » disait Michel de Montaigne.
L’histoire d’un manuscrit vieux de 5 siècles
Restauré depuis 2019 par l’atelier Coralie Barbe à Paris, « l’exemplaire de Bordeaux » voyage de main en main à travers les époques avant de revenir, là, sous nos yeux. Une fois Michel de Montaigne décédé, son manuscrit est remis au couvent des feuillants (actuel Musée d’Aquitaine). L’auteur vouait une attache particulière avec les religieux. C’est à ce moment-là de l’histoire, que ses écrits sont reliés, et massicotés. « Nous avons perdu quelques-unes de ses annotations à cause de ce massicotage » complète Yoanne Bourion, directeur de la Bibliothèque municipale de Bordeaux. Pendant 150 ans, les historiens perdent la trace de l’ouvrage. Ce n’est qu’en 1803, grâce à François Neufchateau, que l’ouvrage est retrouvé. Il devient alors la propriété de l’Etat. En 1807, « l’exemplaire de Bordeaux » est remis aux mains de la ville.
3 commentaires
j’ai relu pour la deuxième fois cet article passionnant, clair et très bien rédigé
Merci; n’hésitez pas à le partager sur les réseaux sociaux!
Excellent article