« Dordogne », souvenirs et liens aux manettes


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"Dordogne", souvenirs et liens aux manettes

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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 22/04/2020 PAR Romain Béteille

Imaginez. Vous retournez à l’occasion d’un évènement particulier dans la maison qui vous a vu grandir et a forgé une partie de votre enfance : celle de votre grand-mère. C’est un havre de paix en plein cœur du Périgord, qu’il soit blanc, vert, noir ou pourpre. A l’intérieur de cette masure désormais vide, les souvenirs chantent mais les portes sont closes. Pour les ouvrir, il vous faudra utiliser la seule arme à votre disposition. Elle est éphémère, volatile et a tendance à vous jouer des tours, mais elle est aussi très puissante. Cette arme, c’est votre mémoire. La nostalgie d’une enfance disparue et d’un territoire changeant sera sans doute l’un des thèmes centraux de « Dordogne », un jeu à la frontière entre le jeu vidéo et l’animation dont les premières images ont été dévoilées au début du mois d’avril.

Dordogne 2020

Dordogne mettra en scène Mimi, une jeune femme de 32 ans, qui revient dans la maison de sa grand-mère décédée. Mais l’aïeule est facétieuse : elle a laissé un peu partout des lettres et des énigmes à résoudre. Pour en trouver les solutions, Mimi va devoir puiser dans son enfance périgourdine. Le voyage initiatique se fera dans un terroir en aquarelle vivant et animé où les dandelions murmurent, où chaque son est un indice précieux et dont les chemins serpenteux forment le singulier relief. 

Réduire la frontière

Cette création, qui devrait voir le jour fin 2021/début 2022, est le fruit de la collaboration entre deux bordelais qui ont décidé d’allier leurs spécialités pour arriver à un même but : rendre plus poreuse encore la frontière entre le monde de l’animation et celui du jeu vidéo, tout en se servant des deux pour raconter une histoire. L’auteur du coup de crayon qui va donner vie à Mimi et à cette Dordogne fantasmée s’appelle Cédric Babouche, a 43 ans et de multiples casquettes. Tour à tour professeur, auteur, artiste, directeur artistique, Cédric a connu, en quinze ans de carrière, plusieurs « actes fondateurs », dont un court-métrage sélectionné à Cannes, Imago, tournant déjà autour du lien entre deux générations. 

Arrivé sur Bordeaux récemment, Cédric avoue avoir un attachement particulier pour le département auquel il va donner vie, tout comme pour l’histoire qu’il veut y raconter. « J’adore cette région. Jusqu’à mes 14 ans, j’ai passé tous mes étés dans la maison de famille de mon arrière-grand-mère, qui habitait pas loin de Labastide-Murat et de Cahors. J’ai passé beaucoup de temps là-bas. En descendant sur Bordeaux il y a bientôt deux ans » (après une longue escapade parisienne), « le premier réflexe que j’ai eu a été d’y retourner. Je suis allé dans des coins que je connaissais beaucoup moins comme Les Eyzies ou la Roque-Gageac. Ma belle-famille avait une maison au Nord du Tarn, des fois on remontait jusqu’en Dordogne (…) La grand-mère du jeu est une métaphore de mes grands-parents en général. J’ai eu des rapports magnifiques avec les uns et les autres, ma grand-mère habitait dans les Cévennes, on y trouve un peu le même esprit : on a aussi cette chaleur, cette gentillesse des gens, cette topographie typique, ces rivières enclavées et ce rapport à la gastronomie, à l’humain. Le personnage de la grand-mère est une métaphore de tous mes grands-parents regroupés », avoue-t-il. « Mimi, c’est aussi un condensé de mes deux filles, qui sont mes deux principales références à la fois sociologiques et comportementales mais aussi dans l’animation ».

Tiroirs et terroir

On l’a dit, le travail de Cédric se base beaucoup sur la nostalgie de l’enfance. « J’ai mis longtemps à en faire quelque chose qui m’était vraiment très personnel. Dordogne est pas loin d’être le premier projet sur lequel je ne me travestis pas ». Initié en octobre 2018 par une équipe réduite, principalement issue de l’animation, le jeu a pour ambition d’utiliser toutes les composantes de son expérience au service de son histoire. « Je voulais avoir quelque chose de narrativement bien écrit, d’assez fort. Ce sont les aspects qu’on aimerait retrouver plus souvent dans les jeux vidéo. On voulait d’abord se confronter à une écriture liée à notre métier de l’audiovisuel et on a greffé petit à petit des personnes qui viennent du jeu vidéo, qui ont travaillé sur Assemble With Care par exemple. Explorer la limite entre le jeu vidéo et la narration animée, c’est quelque chose qui ne va pas être évident à mettre en place ». En guise de référence, Cédric cite plus volontiers Fumito Ueda et sa trilogie poétique made in Playstation que l’expérience cinématographique d’un Metal Gear Solid auquel on a souvent reproché le verbe à rallonge. « On est aussi dans l’esprit d’Inside : on joue tout le temps et quelques scènes nous font comprendre le contexte. On se compare plus à What remains of Edith Finch, mais en version joyeux. C’est une histoires à volets, on y verra le personnage de Mimi adulte et enfant, à travers différents contextes qui nous amèneront à des expériences différentes ».

Le cœur du système sera donc basé sur des flashback, mais ces derniers se méritent. « On ne pourra aller dans le passé qu’en résolvant des puzzle que la grand-mère nous aura donné dans le présent. Ces puzzle permettent à la fille de se rappeler. Ce sera un pas vers la découverte, la contemplation. On pourra capturer des mots pour les transformer en haïkus, des vidéos, des sons. Tout ça va permettre de créer une page du carnet de Mimi qui sera une réponse au puzzle. Les joueurs auront tous la bonne réponse mais pas forcément la même chose dans leurs carnets ». Pour l’instant divisé en sept chapitres, le projet « Dordogne » va aussi comporter des mini-jeux, tous ayant plus ou moins un rapport avec les joies retrouvées d’une enfance perdue : lancé de galets, course aux têtards, construction d’une cabane… autant de mémoires personnelles qui devraient occuper le joueur pendant les quelques heures visées et permettre une relative liberté géographique, histoire de ne pas faire de la maison de la grand-mère la seule aquarelle mouvante du vaste terrain de jeu. « On n’a pas de nécessité absolue de graviter autour d’un seul et même lieu grâce aux flashbacks. On aimerait bien aller à la Rocque-Gageac, aux Eyzies visiter des grottes, à Domme dans la forteresse, dans les rues de Sarlat, ou faire une ballade près de la Vézère. On ne va pas se donner de contraintes, mais il faut qu’on écrive encore pour savoir comment on va organiser ça ». 

Technique et transmédia 

Quoi qu’il arrive, Dordogne devrait mettre à profit une des nombreuses spécificités régionales, en plus de ses paysages : la langue. Peu importe la localisation, le doublage sonore se fera en occitan, comme une signature supplémentaire de sa propre singularité. « D’une part, ça localise encore plus, c’est un langage que beaucoup de français ne connaissent pas. Dans l’esprit, on peut donc comparer ça au langage des Sims ou d’Animal Crossing, sauf que là ça ne sera pas du charabia ! Ça a un vrai sens culturel et artistique, ça donne une identité encore plus marquée », confie Cédric. 

Pour l’aspect technique et la structure de la production de Dordogne, l’entreprise de Cédric Babouche, baptisée « Un je ne sais quoi », pourra compter sur Aymeric Castaing, ancien dirigeant de la société I Can Fly (et déjà à fond sur les légendes locales) et désormais tête pensante d’Umanimation depuis 2017. « Le but pour nous, c’était d’avoir une société qui développe l’intégralité de son contenu sur un moteur de jeu vidéo, en l’occurrence Unity, dans l’idée de développer des contenus interactifs et de fusionner le monde du jeu vidéo et celui de l’animation », ajoute Aymeric. L’un des premiers exemples est une série de dix épisodes diffusée sur Arte, Globozone où l’ambiance et le décor sont bien plus totalitaires que la vallée bergeracoise.  

« Avec Cédric, on s’est rendus compte qu’on était compatibles. On avait la même envie de casser cette frontière, ce qu’on veut, c’est de l’histoire interactive ». Car le projet Dordogne qui devrait employer une fois sa réelle phase de production débutée (dans quelques mois) une quinzaine de personnes, n’a pas vocation à être « seulement » un jeu vidéo. « Je travaille aussi sur un court-métrage qui raconte l’histoire d’une famille qui déménage de Paris et va vivre dans une région qui pourrait être la Dordogne. J’ai fait le parallèle, et je me suis dit que la petite fille dans ce court pourrait être la grand-mère du jeu. Pour trouver son équilibre, la recette compte mêler plusieurs saveurs et faire du contenu « transmédia » (un même univers décliné en plusieurs supports différents, à l’image de ce qui peut être fait avec les jeux d’Ubisoft, par exemple) un élément important de son identité. « En tout cas, on va essayer de vendre Dordogne comme ça », résume Cédric. « Le jeu et le court vont exister, ils seront liés et ce sera une seule et même entité ». Les deux gérants avouent aussi « réfléchir à rajouter une potentielle expérience en réalité virtuelle » (et pourquoi pas une ballade en kayak ?) ou une autre en réalité augmentée à la découverte du territoire présent dans le jeu. « En fait, c’est un prétexte pour explorer différents types de média ».

Exutoire 

À Cédric la charge de rester fidèle à l’aquarelle, sa « signature » et celle du jeu, à Aymeric la tâche de transformer toute cette création en jeu vidéo qui tourne, d’abord sur Switch et PC. A la tête de deux entreprises différentes dans le souci de « garder une liberté totale de création », les deux créateurs de Dordogne, encore en phase de réflexion et d’investissement, évoquent aussi un projet très personnel pour Cédric. « Si on se débrouille bien dans le financement, on peut passer deux ans sur un projet qui nous fait 100% plaisir, sans y laisser des plumes et en se payant correctement. Le confinement rend encore plus évidemment les sacrifices qu’on est prêt à faire. Depuis Bordeaux : réduit mon salaire quasiment de deux tiers, voire certains mois ne pas me payer du tout et rester sur mon statut d’intermittent mais faire pleinement ce que je veux. Cette honnêteté qu’on peut traduire dans ses projets finit toujours par payer ». Finira-t-elle par donner à « Dordogne » ce petit relief supplémentaire qui fait parfois d’un jeu indépendant un succès ? En tout cas, Aymeric en est convaincu, le meilleur vecteur d’écriture non-linéaire pour la création d’un jeu vidéo transmédia, ça reste l’animation ». Pour savoir si Mimi parviendra à « retrouver la connexion avec ses racines », il faudra encore attendre un peu. Et imaginer. 

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