Alain Rousset : « Il faut être sobre, frugal. »


"On ne pourra pas réussir la transition agrobiologique s'il n'y a pas un effort financier et si la nouvelle économie, la nouvelle définition de la croissance, y perdent", estime Alain Rousset.

Alain Rousset, Président du Conseil Régional Nouvelle-AquitaineRégion Nouvelle-Aquitaine_Francoise Roch

Alain Rousset, Président du Conseil Régional Nouvelle-Aquitaine

Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 25/07/2022 PAR Solène Méric et Cyrille Pitois

Dans un long entretien accordé à Aqui, mi juillet, le président de la Région Nouvelle-Aquitaine, fait de l’économie circulaire un axe fort de la politique économique régionale, avec la priorité sur la transition climatique et environnementale. Un prisme qu’il applique de l’agriculture à la santé en passant par l’industrie.

@! : Nous nous rencontrons alors que les feux brûlent des hectares de forêts en Gironde…

Alain Rousset : Les conditions sont malheureusement réunies pour un « méga feux ». Et le réchauffement climatique n’y est pas pour rien. On rentre dans un mode survie, avec beaucoup de retard pris en Europe et singulièrement en France sur le sujet. La Région fait travailler 450 scientifiques depuis plus de 10 ans, sur l’objectivation et la connaissance.

Il y a des décisions à prendre par l’Etat, qui devrait nous confier une responsabilité et des moyens. Les pays d’Europe du Nord qui sont de la taille des régions françaises, réussissent des avancées remarquables dans ce domaine.


@ ! : Directement impactées aussi par ce réchauffement, l’agriculture et viticulture, sont un peu écartelées entre ceux qui veulent poursuivre des modèles conventionnels qui permettent de produire la nourriture des populations tout en étant plus vertueux, et un certain nombre d’acteurs, de plus en plus nombreux, « purs et durs » de l’écologie, qui appellent à des modèles plus résilients et plus économes. Comment, en tant que pilote de la région, arrive-t-on à composer avec ces deux tendances de fond ?

AR : D’abord il faut embarquer et convaincre autour de notre feuille de route Néo Terra et autour de l’agroécologie, les 90% d’agriculteurs conventionnels, et avec eux les chambres d’agriculture et la coopération agricole. Ensuite, il faut lever un certain nombre d’impasses dont celle des pesticides. Avec NéoTerra, je propose de sortir des pesticides d’ici 2030. Pour ça il faut trouver des alternatives à ces intrants chimiques de synthèse et de chimie fossile. Des produits alternatifs biosourcés et de biocontrôle existent! Le problème c’est qu’ils ne sont pas homologués ou dans un délai monumental, par l’ANSES. On a un traitement par exemple contre le mildiou et l’oïdium, à base de micro algue ; mais il n’est pas homologué. On peut faire des expérimentations, mais on ne peut pas s’en servir !

A Agen, il y a une entreprise remarquable, De Sangosse, qui a mis au point une quantité de produits alternatifs et qui commence à les développer. Dans certains cas, il faut aller chercher l’homologation à Bruxelles ou dans un autre pays. Tout ça est surréaliste! On a entre les mains de quoi rassurer nos agriculteurs, avec des produits efficaces, mais on ne peut pas les utiliser…

Indispensable, l’irrigation restera


@ : Il y a les produits chimiques, et il y a aussi la question de la ressource en eau

A.R : Une autre impasse à lever, en effet, c’est l’accès à l’eau. C’est une vraie inquiétude, et le ciel se rappelle à nous si j’ose dire, donc il faut accélérer. Bien plus d’agriculteurs qu’on ne le pense sont persuadés qu’il faut bouger sur le sujet. Mais comment assurer l’accès à l’eau alors que les étiages sont en déficit ? Dans le Bassin Adour-Garonne, il y a 220 millions de m3 de déficit ! Et les systèmes d’irrigation resteront parce qu’ils sont, pour un certain nombre de cultures, indispensables. Nous travaillons sur l’idée de savoir filtrer les eaux usées au sortir des stations d’épuration pour remonter ces eaux et les utiliser en arrosage. Donc créer une économie circulaire autour de l’eau, en parallèle d’une transition agro-écologique.

Je pense aussi que face aux conséquences du réchauffement climatique, notamment les épisodes de grêle dramatiques récents, il y a besoin de développer le système assurantiel. Pour un agriculteur, passer d’un mode agricole à un autre, alors que l’économie de l’agriculture est une économie annuelle, c’est psychologiquement une vraie difficulté. Il faut un système d’assurance beaucoup plus large, sur le revenu par exemple.

@ ! : Où en est-on du projet d’ouverture d’une école vétérinaire à Limoges par la région?

A.R : On avance à petits pas. Le ministère de l’agriculture ne me dit ni oui ni non. Je ne peux pas financer les profs, parce que je n’ai pas d’homologation, mais je suis prêt à financer le projet : les bâtiments, les équipements. On a un grand projet scientifique à Limoges autour de la théorie « One health » _ une seule santé_ qui rapproche santé animale, santé humaine et santé végétale. En santé végétale, une entreprise installée en Charente, Elicit Planta met au point à partir du soja, un produit qui resserre les pores des plantes, ce qui limite le stress hydrique et le risque d’attraper des maladies. Avec ce produit on supprime quasiment tous les traitements chimiques. 


@ ! : Ce sont des initiatives et des développements que la région accompagne financièrement?

A.R : On ne pourra pas réussir la transition agrobiologique si on n’engage pas un effort financier et on ne pourra pas réussir la transition si la nouvelle économie, la nouvelle définition de la croissance, y perdent. Et je n’appelle pas ça de la décroissance, ce terme ne me plaît pas. Oui il faut être sobre, frugal mais c’est une autre croissance : des modes de vie plus sobres dans lesquels on ne jette pas, et où l’on recycle.

Pour ce qui concerne la région, 25% des crédits à l’agriculture vont à l’agriculture biologique.


La région accompagne une économie décarbonnée


@ ! : Mais on constate régulièrement que ces impératifs de transition et de « nouvelle croissance » buttent vite sur d’autres réalités contradictoires. Par exemple, La Rochelle qui porte l’image d’une ville en transition, profite aussi des retombés économiques d’un tourisme lié aux paquebots, qui ne sont pas sans conséquence d’un point de vue environnemental…


A.R : Quand on discute avec le club des ETI (entreprise de taille intermédiaire, ndlr), la décarbonation fait partie de leurs priorités : toutes les entreprises, y compris du monde alimentaire, et d’une manière accélérée avec la crise en Ukraine et la hausse du prix de l’énergie, viennent nous voir pour que la Région les accompagne sur une économie et des fabrications décarbonnées. Et il y a une revendication de la société d’avoir des produits dont on est sûr des effets sur la santé.

@! : En termes de soutien à l’économie, réindustrialisation, innovation… La Région intervient dans tous les secteurs. Comment lire les priorités de votre collectivité ?


A.R : La priorité c’est la transition climatique et environnementale. Il y a une feuille de route sur le biostimulant et le biocontrôle mais l’industrie est aussi dans notre viseur. Par exemple j’ai lancé au début de la pandémie en 2020, un groupe de travail sur le biosourcing des médicaments, afin d’être capable de concevoir des médicaments à partir du végétal, de la résine de cellulose. Je suis effaré que 98% des principes actifs des médicaments viennent de Chine.
Aujourd’hui avec la résine, l’entreprise DRT (Landes) fait des cosmétiques et des produits de nettoyage des maisons. Elle pourrait très bien faire des principes actifs de médicaments.

A Brive, il existe un laboratoire, qui travaille sur les propriéts du végétal liées aux médicaments ou aux cosmétiques. Il y a aussi Toopi Organics qui transforme l’urine en engrais, Optim aéro, une entreprise canadienne qui déconstruit des hélicoptères à Biarritz ; IMET Alloys en Corrèze va régénérer les chutes de métaux nobles ; Envie à Saint-Loubès va déconstruire des cellules photovoltaïques et récupérer des métaux rares, mais aussi remettre sur le marché les cellules en bon état. Et encore l’entreprise Caresten à Lacq qui va déconstruire des aimants pour récupérer des terres rares. Toute cette dynamique, c’est de l’économie circulaire !

Par-delà l’automatisation, la numérisation, l’organisation des postes de travail, le développement de l’usine du futur qui analyse à 360° l’entreprise, démontre que la qualité de vie au travail est le premier ressort de la compétitivité avec des bonds de 30 à 50%. L’homme de gauche que je suis, est à la fois amoureux des usines et attentif aux conditions de travail !

L’économie circulaire ne se décrète pas

@! : Ce prisme de l’économie circulaire, c’est une approche assez récente des politiques régionales ?

A.R : Non, on a financé il y a 15 ans une chaire universitaire sur l’économie circulaire. Au départ, c’était plutôt une préoccupation de l’Economie Sociale et Solidaire et maintenant tout le monde s’y met. La France a pris du retard. Aujourd’hui, si on ne mobilise pas les élus et les professionnels sur le terrain on n’y arrivera pas. Je pense que ce sont les entreprises, PME, ETI qui feront le chemin le plus vite. C’est un travail que l’on fait à bas bruit. Ca ne se décrète pas. Les entreprises qui viennent ici, le font sur la réputation de la région au regard de l’innovation et des relations de confiance qui sont nouées au travers des plates-formes technologiques. Mon souci aujourd’hui dans le secteur de la santé, c’est de mettre en place deux plates-formes technologiques, une sur les biotechnologies et une autre sur les maladies émergentes, suite au Covid.


@!: Justement l’actualité sanitaire se rappelle à nous, avec une ixième vague de Covid en France. Dans un scénario de reconfinement, la Région Nouvelle-Aquitaine pourrait-elle à nouveau intervenir en soutien des acteurs économiques et associatifs, à la hauteur de ce qu’elle a pu faire en 2020 et 2021 ?


A.R : On a triplé notre appel à l’emprunt notamment pour aider les associations culturelles ou sportives qui ne pouvaient pas tenir, pour éviter qu’elles coulent, ainsi que les entreprises bien-sûr. Notre inquiétude aujourd’hui vient du prix des énergies: on fait rouler 5000 bus par jour, on fait rouler les TER, il y a des fluides dans les lycées : c’est 80 M€ de dépenses supplémentaires sur un budget à 3,3 milliards d’€. Des hausses que l’on subit.

Dans le domaine de la santé nous avons accompagné les problèmes liés au confinement comme l’achat de masques et d’équipements de protection individuelle. C’était assez hallucinant d’ailleurs de voir que l’Etat était dépourvu, quand la pandémie fut venue, de produits de première nécessité. L’absence de masques et l’appel à la responsabilité des collectivités avec des circulaires de 63 pages pour savoir comment on place des jeunes dans un car et comment on les assoie dans une école… C’est humiliant ! Même dans un cadre dramatique comme le Covid, le modèle centralisé est humiliant et insupportable !

@! : L’été est là, quel est conseil touristique du président de la Nouvelle-Aquitaine ?

A.R : Le lac de Vassivière, Collonges-la-Rouge… Il faut se rapprocher de zones de fraîcheur !

Ça vous intéresse ?
Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Laissez vos commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

On en parle ! Nouvelle-Aquitaine
À lire ! POLITIQUE > Nos derniers articles