Le dialogue, au centre de la relation entre les agriculteurs et les riverains


Aqui.fr
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 20/05/2020 PAR Clément Bordenave

« On a une opinion positive de l’agriculture dans la société qui ne correspond pas à l’écho qui en est fait dans les médias, car il est toujours plus facile de faire passer des choses préoccupantes plutôt que des propos positifs », s’insurge en préambule de ce débat auour du « Bien vivre ensemble » Brigitte Laquièze, membre de l’Académie d’Agriculture de France et professeur d’université. Les agriculteurs sont selon Brigitte Laquièze, en grande majorité bien vus par la population française et selon elle il n’y aurait qu’une faible minorité des citoyens français hostiles aux agriculteurs. L’agri-bashing, cet anglicisme utilisé depuis 2016 n’aurait en fait pas tant d’importance que cela selon Brigitte Laquièze, puisqu’il ne trouverait que peu d’écho chez les citoyens, « je pense qu’il faut effectivement modérer l’importance de ces propos, et ne pas trop utiliser ce mot-là, car il ne correspond pas à une réalité d’aujourd’hui ». Bien que marginal selon la professeure, ce conflit pose tout de même un problème au monde agricole qui souhaite pouvoir pratiquer sainement son métier sans crainte de problème de voisinage.

Une fracture entre la ville et la campagne  

Sur l’origine de cette fracture entre monde rural et urbain, Brigitte Laquièze a une explication, « il y a une urbanisation extrêmement rapide dont on n’a pas forcément eu conscience. Au début des années 2000, il y a eu ce basculement très important de la population qui a dépassé la barre des 50 % de citadins. On est passé d’une France rurale qui avait au XVIIe siècle 90 % de population rurale à une situation quasiment inverse aujourd’hui », s’alarme Brigitte Laquièze. Ce phénomène est d’autant plus préoccupant qu’avec l’exode rural, les connaissances sur l’agriculture chez les populations urbaines se sont progressivement perdues, « il y a encore quelques générations, les citadins avaient encore des contacts avec leur famille restée à la campagne, ils allaient faire des moissons et des vendanges, aujourd’hui cette population n’a plus aucun contact avec le monde rural » affirme Brigitte Laquièze.
Un constat partagé par Christiane Lambert, agricultrice et présidente de la FNSEA, qui s’alarme du manque de connaissance du monde rural et de la nature de la part des populations urbaines « Je me souviens de Michel Serres disant : « Une société qui est de plus en plus urbaine aura des conséquences sur la perception de la nature et du métier de notre alimentation ! » » raconte la présidente du FNSEA. Cette méconnaissance se traduit par des conflits dès lors que les deux mondes se rencontrent dans des espaces périurbains, « il y a bien une déconnexion visible aujourd’hui entre villes et campagnes avec l’arrivée des néoruraux. Ces personnes qui vont s’installer en périphérie de ville pour rechercher de la tranquillité, mais qui du même coup ne supportent pas le chant du coq Maurice », ironise Brigitte non sans rappeler que cette situation peut avoir des conséquences bien plus importantes, « l’opposition entre les deux groupes peut être violente. Mais le paradoxe aujourd’hui c’est que si l’agriculture venait à disparaître elle serait remplacée par de grandes firmes, ce que les détracteurs de l’agriculture ne veulent surtout pas » explique Brigitte Laquièze.

Ces « détracteurs » que fustige Brigitte Laquièze sont d’autant plus virulents lorsqu’il s’agit de combattre l’agriculture conventionnelle qu’ils jugent trop productiviste.  Mais Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, souhaite rappeler la position des agriculteurs dans ces conflits d’idées, « que nous soyons questionnés sur les possibilités de faire plus de signes officiels de qualité, de circuits courts, de produits locaux, que nous soyons sollicités pour ouvrir nos exploitations et montrer comment vivent nos animaux, ça c’est un questionnement normal dans une société qui a besoin d’être rassurée sur ces sujets », reconnait-elle. Mais la présidente de la FNSEA souhaite que les confrontations parfois violentes cessent et que le dialogue soit apaisé. C’est seulement dans ce cadre-là que les agriculteurs pourront répondre aux inquiétudes des consommateurs. Mais la réponse seule ne suffira pas pour apaiser les conflits selon Christiane Lambert, « il y a des critiques tous les jours, que ça soit dans les médias ou même dans les livres scolaires », déplore-t-elle. « Il y a des présentations de l’agriculture qui sont outrancières et partisanes. Pourtant nous arrivons à discuter avec des associations comme celle de Brigitte Bardot, et nous évoluons bien souvent par le biais de comités d’éthique dans lequel nous travaillons tous ensemble. Nous prônons donc le dialogue et l’on ne peut pas nous reprocher d’être fermés » clame la présidente de la FNSEA qui espère une transformation de la perception de l’agriculture dans notre société.  

Les agrosolutions, une réponse adaptée à l’agri-bashing ? 

Christiane Lambert, présidente de la Fnsea

La discussion et le dialogue s’ils sont mis en avant par les agriculteurs ne doivent-ils pas trouver un écho dans les actions menées sur le terrain afin de rassurer les consommateurs et les riverains ? Les préoccupations des consommateurs sont nombreuses, que cela soit autour du climat, du bien être animal, ou de la qualité des produits. L’innovation est donc primordiale afin de rassurer tant les consommateurs que les habitants sur la qualité de la production qui jouxte leurs habitations. Les agriculteurs agissent depuis longtemps dans ce sens selon Christiane Lambert, « il y a 15 ans, personne ne parlait du tri des déchets, on n’avait pas 3 ou 4 poubelles différentes, mais déjà depuis 21 ans les agriculteurs trient tous leurs déchets. L’agriculture française est championne d’Europe du tri des déchets avec 78 % de nos déchets triés. Nous avons donc fait beaucoup de choses, mais nous n’avons pas suffisamment communiqué sur ce que nous faisions », constate-t-elle. Il revient donc aux agriculteurs de faire de la pédagogie afin de rassurer sur leurs méthodes de travail, tout en n’oubliant pas le fossé qui les sépare des urbains. « Nous sommes dans une société très citadine, éloignée des métiers du vivant, il nous revient donc d’expliquer chaque geste de l’agriculture. On va donc leur parler du risque pour nous de voir un insecte ravageur décimer nos cultures, on va leur parler de l’importance des produits phytosanitaires » explique Christiane Lambert qui estime qu’il revient aux agriculteurs de faire le premier pas vers les habitants.

Pour sa part, Christian Daniau, président de la chambre d’agriculture de la Charente est plus mesuré sur le rôle des agriculteurs et il souhaite rappeler que le premier pas doit être conjoint « nous souhaitons reprendre en main notre communication, il y a tellement d’idées reçues sur notre métier qu’avec 10 minutes de discussion avec un vrai producteur qui explique son métier, le consommateur ou le riverain part avec de vraies réponses » assure-t-il. « Si l’on veut des réponses sur l’agriculture, il faut venir à la rencontre des agriculteurs », affirme le président de la chambre d’agriculture de la Charente tout en rappelant que ce rôle de vecteurs d’informations incombe aussi à tous les maillons de la filière agricole.  

Les élus locaux garant de la quiétude de la relation avec les riverains

« La plus grande difficulté c’est de mettre en relation les agriculteurs et les riverains, car souvent les habitants se sont fait un rêve du monde agricole et ils ne considèrent plus l’agriculture comme une grosse entreprise et pensent que seul doit exister le petit agriculteur qui élève des vaches dans son coin », explique Roger Gervais, maire de Saint-Médard-d’Aunis et vice-président de la Communauté d’agglomération de La Rochelle. La source de conflits majeure actuellement, se situe dans un espace tampon de 5 mètres baptisé ZNT ( Zone de non-traitement ) qui cristallise la colère des exploitants, « il revient à nous de travailler pour que l’agriculteur n’ait plus à répondre de l’extension urbaine et que ça soit aux habitants et aux villes de régler ce problème », assure le maire de Saint-Médard-d’Aunis. L’arbitrage autour de ces zones de non-traitement fait débat et les élus locaux gèrent différemment cette question épineuse. Pour Roger Gervais, la balance penche en faveur des exploitants et de la nécessité de ne pas les priver de cette zone, une prise de position qui ravit la présidente du FNSEA, Christiane Lambert. « Monsieur Gervais est l’exemple parfait d’un maire qui organisent le vivre ensemble » félicite telle. « Ces espaces de cohabitation, au lieu de devenir des espaces de friction, peuvent être des lieux de dialogue et de bien vivre ensemble », explique l’agricultrice. Selon elle, ces zones de non-traitement peuvent être la cause de nuisances pour les riverains qui subiraient les conséquences d’une faune et d’une flore non maitrisée devant leurs habitations. La solution privilégiée pourrait donc être celle d’une co-construction entre les riverains et les agriculteurs qui pourrait voir le jour avec la nouvelle loi EGALIM.

La loi EGALIM et « les chartes de bon voisinage », un espoir d’apaisement ?

C’est Christian Daniau, président de la Chambre d’Agriculture de Charente qui prend la parole pour défendre cette démarche, « les chambres d’agriculture ont été missionnées au niveau national pour rédiger l’écriture de ces chartes et s’assurer de leur mise en application. Aujourd’hui, la plupart des départements ont déposé des chartes qui sont en consultation jusqu’au 15 juin, à la suite desquelles on va organiser des réunions avec tous les élus du territoire. S’en suivront des débats qui seront ouverts au grand public et moi je mise beaucoup sur ces échanges pour avoir un débat et un dialogue avec les élus et les concitoyens » assure Christian Daniau. Durant ces débats, de nombreux exemples ont permis de démystifier le monde agricole, « grâce à une nappe blanche, on a montré que si l’épandage est fait avec du matériel performant comme il en existe aujourd’hui dans les exploitations, il n’y avait aucun risque de dérive des produits au-delà de 24 centimètres », promet Christian Daniau. Le premier objectif de cette charte c’est donc de rassurer les concitoyens et de les reconnecter au monde de l’agriculture.

Cette reconnexion difficile et d’autant plus importante que le fossé entre le monde agricole et les grandes villes se creuse. Bien que les concitoyens français soient en grande majorité favorables à l’agriculture comme l’a montré cette crise du covid-19, la colère qui monte chez une partie de la population doit s’apaiser afin de permettre une compréhension mutuelle. L’agriculture de demain, consciente des enjeux qui l’entoure ne pourra évoluer que dans un cadre apaisé et dégagé des pressions parfois violentes. Les quatre intervenants de ce débat sont unanimes sur la clé qui permettra de sortir de ces conflits, le dialogue. Une arme importante pour lutter contre l’image négative qui circule encore parfois auprès de certains concitoyens et que les agriculteurs doivent gommer comme le rappelle Brigitte Laquièze, « un agriculteur m’a récemment raconté qu’il était allé dans une école à la demande d’une institutrice pour expliquer son métier et qu’il y avait un petit garçon qui était arrivé en demandant « c’est toi qui mets du poison dans mon assiette ? » ce à quoi l’agriculteur avait répondu, « non, c’est moi qui mets quelque chose dans ton assiette ! » 

Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
On en parle ! Nouvelle-Aquitaine
À lire ! SPÉCIAL > Nos derniers articles