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L'ÉDITO

 par Cyrille Pitois Cyrille Pitois
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26/01/2024

Qu’avons-nous fait de nos paysans?

Les tracteurs encerclent Paris et bloquent plusieurs axes majeurs du Sud de la France. Pas pour obtenir une mesure phare. Mais pour défendre une pluie de revendications éparses qui concernent aussi bien les viticulteurs, les céréaliers que les éleveurs.

Le gouvernement, sous pression, sort l’extincteur et l’aspirine des fonds publics pour tenter de faire baisser la fièvre. D’autant plus timoré qu’il est beaucoup plus facile d’envoyer des forces de l’ordre déloger n’importe quel manifestant piéton que de diluer un barrage de tracteurs qui pèsent plusieurs tonnes et sont aussi solides que des chars d’assaut.

Autre difficulté pour la puissance publique : derrière ce mouvement collectif et relativement informel, façon gilets jaunes, de grandes organisations syndicales et autres lobbies du vin, des céréales ou de l’agro alimentaire attendent en embuscade. Sans négliger la puissance de tir des grands distributeurs qui vont aussi finir par perdre leur calme et continuer à imposer les règles du jeu qui préservent leurs marges.

La marge de manœuvre de l’État est encore plus délicate depuis le décès sur un barrage, d’une agricultrice et de sa fille dès le début du mouvement. Ce drame a provoqué un symptôme supplémentaire de gravité à cette poussée de fièvre.

Pour historique qu’elle soit, notamment du fait de la convergence des filières qu’elle touche, cette colère ne tombe pas du ciel.

Depuis des années, la profession agricole tire la sonnette d’alarme sur l’érosion de son modèle. Ceux qui ont été les pionniers de la filière biologique ont connu une parenthèse enchantée avec de meilleurs revenus avant de subir à leur tour un effritement du marché, au point de les inciter, pour certains, à revenir dans le modèle conventionnel.

Les maires ruraux alertent eux aussi depuis plusieurs années. Car derrière chaque agriculteur se cache une tranche de vie de nos campagnes. De l’entretien et la qualité des paysages, au maintien d’une organisation sociale du tissu rural largement délaissé par les autres professions, sans la population agricole, l’effritement va s’accélérer. Pour exemple la problématique des déserts médicaux ou vétérinaires qui se répand dans les départements plus vite encore que les effets du réchauffement climatique.

En réalité nous n’avons fait qu’étouffer les difficultés de nos campagnes au fond de la poche de nos indifférences, en les enfouissant sous le mouchoir toujours plus épais des subventions. L’agriculture est préservée sous la serre de l’argent public. Il ne faut pas être grand prévisionniste pour deviner qui si cette situation est conjoncturellement nécessaire, elle ne peut guère offrir une solution pérenne.

L’État va devoir à nouveau sortir le carnet de chèques pour que les tracteurs quittent les autoroutes et retournent sur les exploitations. Jusqu’au prochain point de rupture entre une consommation ultra libéralisée qui adore, quoi qu’elle en dise, les prix les plus bas et une production qui persévère sur un marché qui se moque d’elle.

La chaine agro alimentaire est à démonter pièce par pièce pour extraire le superflu, l’onéreux et l’inutile, avant de réinventer un modèle qui renoue avec le bon sens et le respect de chacun des acteurs. Et ça demande beaucoup plus de travail qu’une déclaration au coin d’un échangeur d’autoroute.

1 Commentaire

Un commentaire

  • Anne C, le 26/1/2024 à 17h15

    « … Réinventer un modèle qui renoue avec le bon sens et le respect de chacun des acteurs. »
    Bravo pour ce regard, cette lecture de notre actualité si vive. Merci.


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