« Sad Sand », un regard sur l’érosion du littoral


Le photographe rochelais Yves Salaün présente Sad Sand au musée maritime, jusqu’au 31 mars

Yves SalaunAnne-Lise Durif | Aqui

Yves Salaun

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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 07/03/2022 PAR Anne-Lise Durif

Entre le 26 février et le 1er mars 2010, la tempête Xynthia frappait durement plusieurs pays européens, dont le littoral atlantique français, causant la mort de 59 personnes et de nombreux dégâts matériels. Que reste-t-il de ce passage, douze ans après ? Quelle conscience en avons-nous gardé, en tant qu’être humain ? Que faisons-nous pour nous y adapter ? Tels sont les questionnements qui jalonnent le travail photographique d’Yves Salaün, entamé en 2016, de La Rochelle à Mimizan. Rencontre sur les lieux de l’exposition, au Musée Maritime de la Rochelle.

@qui !: Où étiez-vous lors du passage de Xynthia en 2010 ? Quel souvenir en gardez-vous ?

Yves Salaün : « J’étais lycéen à La Rochelle, j’étais donc chez mes parents et j’en ai le souvenir d’une forte tempête. Sur le coup, je n’avais pas l’impression qu’elle était particulièrement inhabituelle ou plus forte que d’autres, comme on peut en avoir ici en hiver. C’est lorsqu’on a commencé à parler des dégâts, le lendemain et dans les jours qui ont suivi, que j’en ai pris la mesure. A l’époque, je faisais un peu de photo amateur, mais je ne songeais pas encore à en faire mon métier. Cette envie de travailler sur l’évolution du littoral pour en faire un motif récurrent est venue plus tard, après mes études de graphisme à Nantes. »

@!: Pourquoi avoir commencé ce travail photographique en 2016, six ans après le passage de Xynthia ?

Y.S : Pour moi, c’est l’affaire de l’immeuble Le Signal, en Gironde, qui a déclenché cette réflexion sur le littoral. La situation était complètement inédite, tout en étant édifiante. En parallèle, une ville comme Lacanau se posait sérieusement la question de délocaliser une partie de ses habitations un peu plus à l’intérieur des terres, pour la première fois de son histoire.

 » Un fatalisme rigoureux « 
J’ai voulu poser un constat : voilà ce qui nous arrive aujourd’hui et les paysages du littoral actuel sont là pour nous rappeler ce qui peut se passer demain. Les mêmes causes provoquent les mêmes effets. A partir de cette prise de conscience, que fait-on ? Mon travail est à la fois un constat à visée documentaire, un appel à la résilience et un fatalisme rigoureux qui se traduit dans le graphisme de mes images. J’ai volontairement choisi de montrer des scènes un peu surréalistes, dont le noir et blanc grossi le trait, avec des compositions très graphiques et un format carré qui évoque une forme d’enfermement, qui empêche toute fuite. L’idée, c’est de faire ressentir le fait que la situation ne va pas aller en s’arrangeant.

@!: Comment avez-vous travaillé ?

Y.S : Je travaille sur cette problématique uniquement en basse saison, quand les plages sont désertées de toute activité touristique, car on se retrouve avec des zones relativement vierges de traces de pas. Le rapport à la nature, au monde sauvage, est davantage présent. De l’automne jusqu’au mois d’avril, plusieurs jours par mois, je sillonne le littoral, de La Charente-Maritime au Pays Basque pour photographier les mêmes endroits, d’une année sur l’autre.

@!: Quel regard portez-vous sur l’évolution du littoral ces dernières années ?

Y.S : Selon les secteurs, je constate que la côte ne subit pas l’érosion de la même façon. Le rapport des habitants au recul du trait de côte n’est pas non plus le même. Le phénomène est très clair, très évident, sur la Côte Sauvage en Charente-Maritime, ou à la pointe de Gatseau sur l’île d’Oléron : chaque année le vent et la mer découpent le sable des plages comme des lames ou lui donne des formes curieuses comme des vagues, comme le montre un de mes clichés réalisé à la pointe Espagnole. Sauf que dans ces zones, il n’y a pas d’habitat. C’est de fait un tout autre rapport aux éléments que celui des habitants de Chatelaillon-Plage, par exemple, dont la plage est amputée d’une partie de son sable chaque hiver – ce phénomène était d’ailleurs particulièrement marquant l’année dernière.

 » Illusion de sécurité « 
A côté de ça, dans certains endroits, comme à Saint-Girons Plage (Landes), les riverains ne se sentent ni concernés ni menacés, alors que toutes les expertises classent la zone dans le rouge. Cela se vérifie particulièrement dans les territoires où des digues ont été rehaussées ou renforcées, notamment dans le cadre des programmes d’actions de protection contre les inondations (PAPI) déployés après Xynthia. Il y a un vrai décalage entre cette illusion de sécurité et le contenu des rapports des spécialistes. Dans le Pays Basque, certaines résidences secondaires du front de mer se retrouvent ensevelies sous le sable à chaque tempête, l’hiver. Je les ai photographiées car pour moi elles sont le symbole même du manque de résilience de l’être humain face à la force de la nature.

@!: Quel est la visée de votre travail ?  

Y.S : J’explore le rapport de l’Homme à cette nature, qui oscille entre résilience et affrontement. D’un côté, on prône le vivre avec la nature, de l’autre, on continue d’artificialiser pour se prémunir de ses assauts, c’est-à-dire pour répondre à un problème écologique que nous avons nous-mêmes engendré. Nous en arrivons à une lutte quasi schizophrénique, ou du moins absurde, entre la volonté d’accompagner une évolution naturelle et le maintien à tout prix d’infrastructures à visée économiques. A mon sens, les choix sociétaux d’aménagements du territoire qui ont été fait ces dernières années, ne font que retarder le problème. C’est reculer pour mieux sauter. Il nous faut rester humble par rapport à la force de la nature, car elle reprendra toujours ses droits.


> Exposition Yves Salaün, « Sad Sand », au musée maritime de La Rochelle, jusqu’au 31 mars.

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