L’école : le bilan un brin désabusé de François Dubet


François Dubet se penche depuis trente ans sur cette école que l'on éreinte mais dont on attend tout - et souvent son contraire. Il a aimé le film "Entre les murs" de Bertrand Cantet. Il publie "Faits d'école", une reprise de ses travaux, ne cache pa

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L'école : le bilan un brin désabusé de François Dubet

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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 30/09/2008 PAR Marie Paule Memy

« Pour savoir ce que fait véritablement l’école, il faut savoir ce qu’elle fait aux élèves et aux enseignants et ce que, à leur tour, les élèves et les enseignants font à l’école. » Comment on apprend, comment on stresse, comment on se sent respecté ou au contraire méprisé. Florilège de paroles entendues chez Mollat où François Dubet présentait son dernier livre « Faits d’école »

Le mérite est une fiction dont on ne peut se dispenser.
Est-ce que vraiment le mérite, ça existe? Suis-je plus responsable de mon goût pour les mathématiques que de mon goût pour la sieste? Je crois que le mérite est une fiction dont on ne peut pas se dispenser. Il faut des fictions; mais tout construire sur une fiction comme le mérite, c’est dangereux. Il y a des élèves qui travaillent beaucoup pour peu de résultats et inversement. Et dans un système très méritocratique, tout le monde est en guerre contre tout le monde.

Est-il juste que le talent scolaire détermine les positions sociales?
Est-ce que je dois être mieux payé parce que j’étais bon à l’école? J’ai envie de dire  » oui » … mais pas trop! Bourdieu disait que les diplomes sont des biens de salut. Des sacrements. L’école est notre église! Dieu a fait une première distribution des cartes, l’école en fait une autre; elle fabrique une deuxième hiérarchie dont on considère qu’elle est plus juste. Oui mais… Il serait encore plus juste de faire une troisième, une quatrième distribution, pouvoir travailler, revenir se former. Comme au poker: plus il y a de parties, plus il y a de répartition.

L’école en France est affaire de religion
L’école française a été construite comme une contre-église afin que la République arrache les enfants – les filles notamment – à l’influence de l’Eglise anti-républicaine. Du coup, l’école au eu d’emblée le même statut que l’église. Durkheim – dont par parenthèse aucune rue ne porte le nom à Bordeaux et je trouve ça assez minable – il disait, donc, que l’instituteur est aussi sacré que le prêtre. Ce sont des sanctuaires, qui affirment l’un et l’autre: si tu veux te libérer, il faut te soumettre. Prie et tu obtiendras le salut. Apprends tes leçons, et tu réussiras. L’école a donc eu une incroyable légitimité. Prenez le bac: si vous touchez au bac, vous touchez au symbole de l’unité de la nation. Donc on n’y touche pas! Prenez les études supérieures dont on dit qu’elles sont gratuites. Tout le monde sait qu’elles ont un coût, ce n’est pas gratuit. Mais on est là encore dans le religieux!

Nous avons trop tendance à croire que l’école est éternelle
Elle aurait atteint sa perfection sous Jules Ferry et depuis serait envahie par des gens qui n’ont rien à y faire, nuls, sauvages, barbares. Quand vous passez de 6% de bacheliers dans les années 50, à 15% en 65, puis 35% en 85 puis 70% aujourd’hui, ce n’est plus un pique-nique familial, c’est une cantine.
L’école s’est massifiée et ça change tout. Elle était perçue comme un monde assez juste dans une société très injuste; ceux qui n’y entraient pas critiquaient le fait de ne pouvoir y accéder; alors qu’aujourd’hui,elle est critiquée de l’intérieur. L’injustice était en dehors de l’école, elle est aussi maintenant dans l’école.La massification a en quelque sorte désenchanté l’école. Que disent les jeunes qui brûlent l’école? Cette machine nous intégre pour nous dire qu’on est nuls et qu’on n’y a pas notre place.

Que serait une école juste?
Tous ces changements ne constituent pas une crise de l’école. On dit, l’école pourrait fonctionner mieux. Que serait une école juste? Une école, ça fabrique des inégalités, ça classe, ça range, ça hiérarchise. La question est de savoir dans quelle mesure ces inégalités sont justes. On dénonce les inégalités soclaires qui reproduisent les inégalités sociales. On se rend compte que la promesse d’égalité soclaire est une blague. L’école ne parvient pas à neutraliser l’origine sociale. On se rend compte aujourd’hui que les sociétés qui ont l’école la moins inéglitaire sont celles qui sont, globalement, les moins inégalitaires. Demander à l’école de compenser les inégalités sociales , c’est très difficile. Moi je pense qu’l faut un système qui traite mieux les faibles que les bons. Aujourd’hui, c’est le contraire qui se passe. Les profs les plus expérimentés sont dans les établissements socialement favorisés. Les pauvres paient pour les riches.
Si nous n’avons pas la capacité politique à organiser le jeu, les lois de la nature sociale s’en chargeront. Et ces lois sont celles du libéralisme et de la concurrence. Le discours républicain devient alors une sorte de décors dans lequel personne, véritablement, ne croit.

Je suis inquiet de certaines dérives
Les propos de Xavier Darcos sur la maternelle? Ce n’est pas malin et je serais plus nuancé. Mais je suis aussi inquiet d’une dérive qui consiste à scolariser trop tôt. Un enfant de deux ans, c’est un bébé. Laissons les enfants être des enfants, ils seront bien assez tôt des élèves. Les propos de Darcos ont soulevé un tollé, moi j’aurais aimé que le monde enseignant s’indigne beaucoup plus sur la semaine de quatre jours. Il a pris le cadeau sans broncher. On concentre les apprentissages sur 140 jours de classe. Ceux auxquels on va coller deux heures supplémentaires de soutien vont se trouver étiquetés. C’est indigne. Je suis également très inquiet de cette évolution qui prétendrepérer dès la maternelle, voire avant, les comportements asociaux. Moi j’étais un bagarreur, un teigneux, un asocial; il aurait fallu me piquer! Je suis inquiet de cette tendance.
Quant à l’ancienne « y’a du laisser aller » à la manière de mon ennemi intime Alain Finkelkraut, je dis non. Du laisser aller? Mais il n’y a jamais eu une telle pression sur les élèves. La réussite scolaire! Une famille sur deux a recours à de l’aide scolaire en s’adressant au secteur privé pour ceux qui peuvent, aux mairies et associations pour ceux qui n’ont pas les moyens de payer.

Au fond, on ne veut pas toucher à l’école
Le fait que l’école soit plus favorable aux favorisés fait que ceux qui y réussissent n’ont pas intérêt à ce que ça bouge.La courtoisie des gens d’en haut à faire de la place à ceux d’en bas n’existe pas. Et ceci tout au long de la chaîne. La France est un pays qui dit aux gens: ce qui fait que vous serez employés, ou ouvriers, c’est que vous êtes intellectuellement nuls. Alors on bourre des filières générales – au lycée – d’élèves moyens dont on sait qu’ils ne vont pas trouvger leur voie. Mais on est persuadé qu’on sauve leur dignité! Si ce n’est pas de la religion, ça…Ce monde est compétitif, cruel, vachard; les vaincus de l’école , qui ne méritent pas le sort que leur fait la société, ont intériorisé leur infériorité, et ils considèrent souvent qu’ils n’ont pas leur mot à dire.
Alors tout le monde est d’accord pour dire que le système ne va pas. Mais lorsque vous voulez changer, tout le monde est d’accord pour ne pas toucher au Mikado! C’est là un bilan, j’en conviens, un peu tristounet sur le système scolaire ».

Photos MPMémy
Faits d’école, collection Cas de Figure, aux éditions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales;16 euros

Recueilli par Marie-Paule Mémy

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