Nouvelle-Aquitaine : un club des financeurs pour les entreprises bio


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Nouvelle-Aquitaine : un club des financeurs pour les entreprises bio

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Temps de lecture 12 min

Publication PUBLIÉ LE 05/06/2018 PAR Romain Béteille

Une croissance exponentielle

Le bio est revenu dans l’actualité cette semaine avec des chiffres plutôt spectaculaires délivrés par une étude de l’Agence bio. On y découvre que fin 2017, la surface cultivée en bio au niveau national était de 1,77 millions d’hectares, soit une augmentation de 15,6% par rapport à 2016. Et la tendance n’est apparemment pas prête de subir un revers : selon les premières estimations tenant compte des exploitations actuellement en reconversion ou attendant la sacro-sainte certification, ce chiffre pourrait grimper de 23% supplémentaires par rapport à 2017. Dans le détail, les autres données sont elles aussi positives, notamment au niveau de la commercialisation du bio en Europe, qui dépasse les trente milliards d’euros dont huit provenant du seul commerce français. Bref, le bio décolle visiblement très fort, et la région Nouvelle Aquitaine prend sa part dans ce nouvel essor. Ce mardi 5 juin s’est tenue, à Saint-Martin de Laye (Gironde) une assemblée générale un peu spéciale : celle d’Interbio Nouvelle Aquitaine, l’association interprofessionnelle bio régionale, un groupe qui rassemble près de 200 organisations et 3000 producteurs spécialisés dans l’agriculture biologique, cumulant un chiffre d’affaire annuel de plus de 800 millions d’euros. Dans leur rapport d’activité dévoilé ce jour, on retrouve des données plus locales que celles de l’Agence Bio.

Là non plus, les chiffres ne démentent pas la bonne santé d’une filière en plein boom. La Nouvelle Aquitaine est ainsi au deuxième rang national en termes de surfaces en bio et ses récoltes 2017 sont 50% supérieures en volume de collecte à celles de 2016. Au premier semestre 2017, 934 transformateurs supplémentaires ont été recensés, dont un quart de boulangers et 18% des industriels agroalimentaires produisant du pain et des pâtisseries. Le bio se porte aussi bien du côté des fruits et légumes : près de 1,3 milliards d’euros en termes de ventes en France, quasiment 6400 hectares de surfaces fruitières et 2800 en surface légumière en région (notamment les légumes plein champ dans les Landes). Côté viande et oeufs, 82% des poulets de chair et bovins sont destinés à la production de viande bio (contre 5,5% pour les oeufs et 12,5% pour le lait). Le bio se niche aussi dans des secteurs moins visibles mais très actifs comme les plantes à parfum aromatiques ou médicinales : en Nouvelle Aquitaine, ces cultures représentent près de 4% de la surface nationale, en progression de 44% par rapport à 2015 (chiffres de 2016), principalement dans les Deux-Sèvres et le Lot-et-Garonne. Côté lait en revanche, c’est un peu plus timide : en 2016 selon le CNIEL, France Agrimer et Agence Bio, le lait de Nouvelle-Aquitaine représentait 2,6% de la collecte nationale en lait bio, 115 fermes en lait de chèvre (2,4% des exploitations bio de la région soit +15% par rapport à 2015 et 75% des producteurs en vente directe), et seulement 57 fermes en lait de brebis (1,2% des exploitations bio de la région en 2016, dont 75% dans les Pyrénées Atlantiques). Côté vins, enfin, l’Agence Bio recensait, fin 2016, 841 exploitations viticoles en bio, avec le département de la Gironde en tête de pont en termes de nombre d’exploitations et deuxième en termes de surfaces (8010 hectares, dont 75% vendus par des vignerons indépendants). 

Une dynamique locale

Une fois ces données assimilées, l’Assemblée générale d’Interbio était aussi une occasion idéale pour avoir de nombreux représentants de cette filière réunis au même endroit.  Et de constater que les initiatives régionales se multiplient : marque Bio Sud Ouest, présence dans des salons, renforcement de la marque Vin Bio Équitable, forum régional dédié aux artisans bio (dont le dernier s’est tenu à Mussidan le 27 mars dernier) mais aussi, de manière beaucoup plus concrète, des travaux en commission interprofessionnelle pour, dit-on, développer des « contrats pluri-annuels visant à assurer des prix rémunérateurs pour les producteurs ». Car c’est là que le discours soulève encore quelques incertitudes. Si le bio se porte bien en France et en région, il est encore face à des freins bien réels. Pour Jérôme Orvain, conseiller régional EELV de Creuse, il existe encore des défis à relever pour « structurer la filière », objectif que l’on a entendu tout au long des débats. « Quand on va sur le marché, chez les producteurs, on arrive à trouver des produits. Quand on passe à une collectivité locale, la cantine d’un lycée, d’un collège, d’un hôpital ou d’une maison de retraite, ils ont besoin de régularité, de confiance et de volume. Très peu d’acteurs peuvent fournir cette demande là : il manque des produits, du volume ou ce n’est pas en proximité. Ce qu’Interbio permet, en tant qu’interprofession, c’est justement d’aider à structurer chaque filière, les productions et les territoires pour aider à fournir les collectivités en local. Pour ça, il faut que chaque département fasse des démarches de rencontre des acteurs, c’est ce qui manque actuellement. Depuis deux ans, la région a initié une rencontre régionale, mais on voudrait que ça se démultiplie sur les territoires. Il y a quelques initiatives locales qui existent. En Creuse par exemple, il y a des dynamiques qui répondent à ça. Mais une fois qu’on a mis tout le monde en contact, il faut pouvoir rentrer dans la régularité. Il y a besoin de créer des genres de foires locales. Il y a des contraintes spécifiques à certains produits et il faut que le producteur et le consommateur s’adaptent aux conditions. Typiquement, un éleveur qui veut vendre une vache ne va pas vendre que les biftecks, il va falloir qu’il trouve des intermédiaires pour valoriser tout son animal. La Région aide à travers l’animation qu’elle met en place pour chacun des acteurs présents ici, mais c’est aussi de la compétence des communautés de communes qui la partagent depuis la loi NOTRe et qui doivent aussi prendre en compte l’économie sur leur territoire. L’échelle des agglomérations est adaptée à cette dynamique », note l’élu.

Il y a bien un secteur qui est particulièrement en demande pour de plus en plus de repas bio, c’est la restauration collective. Selon les derniers chiffres publiés par l’Agence Bio (en 2016), « 58% des établissements de restauration collective déclarent proposer des produits bio à leurs convives ». Pourtant, les achats bio étaient alors estimés à 225 millions d’euros, soit seulement 3,2% des achats de la restauration collective. Si, depuis, des efforts ont été faits, on reste tout de même loin des objectifs nationaux d’au moins 50% de produits issus de l’agriculture biologique « ou tenant compte de l’environnement » dans la restauration collective publique d’ici 2022, dont l’Assemblée nationale a donné l’agrément le 26 mai dernier. L’autre objectif gouvernemental validé en avril, c’est 15% de surface agricole utile en agriculture biologique ou en cours de conversion dans le même horizon. Selon Jérôme Orvain, « aujourd’hui, il doit y avoir une ou deux collectivités en Nouvelle-Aquitaine qui sont 100% bio, parce qu’elles ont construit leur réseau et que ce sont de petites unités qui ne sont pas obligées de passer par des systèmes d’appels d’offre parce qu’ils sont au dessous des seuils. Les collectivités qui arrivent à être en bio avec les appels d’offre sont entre 40 et 60% de produits bio, notamment les collèges dans les Pyrénées-Atlantiques. Il n’y a pour l’instant ni la quantité de production ni les outils de distribution pour pouvoir être fournis régulièrement en produits bio et locaux sur une dynamique de qualité de territoire. Plus c’est organisé, moins c’est cher et plus les élus accompagnent ce surplus. Les territoires où ça marche, c’est ceux ou tout le monde est convaincu et où chacun à sa place dans cette dynamique là ». 

Sous perfusion (?)

Plus facile à dire qu’à faire, diront certains. D’autant que pour aider les agriculteurs à passer au bio, les aides à la conversion servent souvent de perfusion publique nécessaire au maintien de l’activité : en France, ces dernières représentent 1,1 milliards d’euros de crédits pour la période 2018-2022 contre 0,7 milliards sur la période 2013-2017. La Région Nouvelle-Aquitaine donne aussi largement sa part dans l’affaire : en juin 2017, elle a fixé un objectif de 10% de surface agricole utile en conversion biologique en 2020 (soit deux fois plus qu’en 2017) et validé le seuil des aides, notamment pour la conversion en bio (« 18000 euros par exploitation et par an. Ce montant sera porté à 21.000 € pour les nouveaux installés et à 20.000 € en zone à enjeu eau ») et les aides au maintien (10000 euros par exploitation et par an pour les agriculteurs ayant 100% de leur Surface Agricole Utile en Bio ou situés dans les zones à enjeu eau; 1.500 €/exploitation/an pour les autres). Phillipe Leymat est agriculteur à Branceilles, dans le sud de la Corrèze. Au sein d’un GAEC (Groupement Agricole d’Exploitation en Commun), il produit aux côtés de quatre associés des noix, oeufs, volailles, boeufs et veaux à la Ferme des Gariottes. Le GAEC est créé depuis 2011 mais Philippe est en bio depuis quinze ans. Et pourtant, le constat est plutôt amer quand on lui demande de nous parler des aides publiques. « On a optimisé tous les coûts, on a tout mutualisé, fusionné les cinq fermes existantes, passé les 250 hectares en bio et comprimé toutes les charges. Pourtant, aujourd’hui, sans aides, aucun de nous cinq n’aurait de revenus. Elles représentent environ 8% de notre chiffre d’affaire ». Pour lui, le bio, ce n’est pas que l’affaire de la filière agricole. « Tous les ministères devraient s’y intéresser. Peu importe si on passe par les subvention ou la répartition des marges, peu importe où l’argent va, l’enjeu c’est le social. Aujourd’hui, on oppose presque le bio et le local, mais l’enjeu est le même : une agriculture plus propre dans sa globalité. Pour cela, il faudra nécessairement passer par une augmentation du budget alimentaire dans les ménages ».

L’image du label bio a beau être l’une des plus sûres, elle doit quand même faire face à certains paradoxes à la dent dure : les grandes enseignes qui vendent certains produits quasiment au même prix que l’agriculture conventionnelle ou le fait que, même en tant que premier producteur européen, la France doit quand même importer des céréales bio pour faire face à la demande. Le mot fait vendre, et si possible au prix le plus bas. Pour Florent Ghul, directeur de l’Agence Bio, « c’est important de montrer que le bio est une forme de développement d’un secteur (…) Concernant les aides publiques, il est important de savoir à quoi elles servent : est-ce qu’on envisage des aides pour aller aider des secteur en déprise ou en baisse d’activité, ou est-ce qu’on peut aussi, et c’est le cas du bio aujourd’hui, les flécher vers un secteur apprécié du consommateur ? Jusqu’où faut-il aller dans ce développement là ? On est de plus en plus en train de se dire que les aides publiques pourraient par exemple payer les services que rend l’agriculture biologique à l’environnement, à la santé, ça pourrait être des aides pérennes qui ne seraient pas remises en cause. Si on ne permet plus ces aides là, un jour on aura une agriculture biologique qui ne dépendra plus que du marché et on sait bien que la suite logique des choses serait une course au produit le moins cher ou à des produits d’importation. Si on prend l’exemple des oeufs, en grande surface on observe régulièrement un prix moins élevé sur une boîte de six oeufs bio que sur des oeufs Label Rouge, ce modèle là n’est pas pérenne ». D’où, sans doute, l’accueil plutôt chaleureux de la filière bio réservé à l’article 11  de la loi Agriculture et Alimentation, adoptée le 30 mai. « Les objectifs sont tenables, c’est un bon seuil que l’on va sans doute réévaluer en 2022. On sait très bien que certaines collectivités en Nouvelle-Aquitaine vont déjà bien plus loin et ont déjà dépassé les 20%, il ne s’agit pas de dire que l’on s’arrête là, c’est un objectif intermédiaire pour structurer l’offre alimentaire bio dans les territoires. De toute façon, il faut que le levier public reste présent, on ne peut pas estimer que le secteur bio serait mature, ça ne veut rien dire de toute façon. Les politiques publiques sont là pour soutenir des changements de modèles, il y a une implication des acteurs régionaux et nationaux là dessus, mais il faut le compléter par des financements privés ».

Un club pour les financer tous

Pour aider à « structurer cette filière », en suivre les bons vents et « prendre en compte ses spécificités », donc, Interbio Nouvelle- Aquitaine a dégaîné une nouvelle arme : un Club des financeurs des entreprises bio en Région (la Nouvelle-Aquitaine n’est pas la seule à en bénéficier, l’objectif est d’en lancer un dans chaque région). Parmi les premiers financeurs privés figurent notamment Crédit Mutuel Arkea, le Crédit Coopératif, et la NEF. Trois banques, ce qui peut surprendre si on ignore que la règle pour intégrer ce club des financeurs, c’est seulement d’avoir une part de son activité consacrée au développement de la filière bio. La question que vous vous posez sans doute maintenant, c’est : à quoi ce club va bien pouvoir servir ? Florent Ghul a la réponse. « Il a un double rôle : d’une part, il permet aux agriculteurs et aux entreprises alimentaires en bio de connaître des offres de prêt, d’accompagnement, d’investissement qu’ont ses financeurs. D’autre part, il permet à ces financeurs de mieux connaître les spécificités du monde bio, notamment d’un point de vue montage de projet : pourquoi, par exemple, la période de conversion en agriculture biologique a un impact financier. L’important », continue ce dernier, « c’est qu’il y ait une articulation entre le niveau national et local et qu’au niveau régional voire de chaque département, on ait des interlocuteurs qui se fassent le relais. Tout le monde dans ces organismes bancaires a envie d’aider d’avantage au développement du bio parce qu’on voit des chiffres de croissance intéréssants et on sent que c’est une agriculture qui est en train de prendre de la place, mais ce relais doit aller jusqu’à chaque caisse locale pour qu’un interlocuteur qui veut être aidé ait un accueil à la hauteur de son projet ». Mais attention, pas question d’avoir des investisseurs espérant une rentabilité courte : « Ce n’est pas l’objectif. Il faut des gens qui investissent sur du temps long ». Le fait est que le Club régional a déjà avancé dans ses projets. « Aujourd’hui, en Nouvelle Aquitaine, les en cours de projets représentent des investissements à hauteur de 40 millions d’euros (pour une quinzaine d’entreprises en tout), on est vraiment sur quelque chose qui est déjà en cours. Le fait d’en faire un club, ça va permettre d’aller plus loin, plus vite et d’avoir plus de cohérence dans le projet, puisque l’enjeu c’est d’investir dans le bio en en respectant les valeurs ».

Enfin, deux sociétés de crowfunding spécialisées dans les domaines agricole et alimentaire (Mimosa et Bluebees) se sont déjà jointes à l’aventure, et ce pour une raison simple. « Associer le consommateur citoyen à la démarche de financement se développe beaucoup. Historiquement, il y a des projets de financement participatif qui existent en agriculture, souvent en bio, mais c’est aussi important d’en trouver pour les entreprises qui sont moins connues des consommateurs. On commence à avoir des projets où les gens font du don qui leur est par exemple restitué sous forme de produits ou du financement participatif sous forme de prêt. Les deux vont se développer. Il existe déjà des offres bancaires comme les prêts de développement durable. Là, il s’agit d’être encore plus concrets, ça peut devenir un vrai outil et je pense que le volume financier du participatif finira par peser. La plupart des structures de financement participatif dans le milieu agricole s’associent d’ailleurs à des groupes, pour les épauler et les rendre plus solides ». Et le Club des financeurs ne compte pas s’arrêter là : l’en-cours d’investissement annoncé, s’il « sera apporté par les fonds propres des entreprises mais aussi par ces financements trouvés auprès du club des financeurs », est « destiné à grossir. Si on veut répondre à la demande des consommateurs qui veulent de plus en plus de produits bio par des produits de qualité, il va falloir que les entreprises augmentent leur volume de production ». Plus qu’un secteur juteux, le bio est donc un investissement dont les principaux acteurs témoignent un fort désir de croissance et d’échanges. Pour Phillippe Leymat, « l’avenir du bio ne se fera pas en circuits courts. On ne répondra pas à la demande politique par ces modèles d’exploitation. Ce n’est pas tous les petits maraîchers qui s’installent qui vont remplir les cantines scolaires, c’est ceux qui pourront cultiver cinq hectares de patates en bio. La filière bio a les clefs, il faut juste que les paysans suivent ». Si le bio est à la mode, les bons chiffres d’Interbio et cette nouvelle structuration de financeurs est en revanche tout sauf altruiste. En 2016, les français ont dépensé sept milliards d’euros pour acheter des aliments labellisés « sans produits phytosanitaires ni OGM » soit 20% de plus par rapport à l’année précédente, et deux milliards d’euros en 2007, soit une croissance de 278%. Vouloir consommer mieux et savoir où chercher n’est donc pas qu’une question de point de vue. 

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