Claude Lévi-Strauss : des Landes aux « restes » du monde…


Sagabardon

Claude Lévi-Strauss : des Landes aux "restes" du monde...

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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 22/12/2009 PAR Joël AUBERT

De l’agrégation de philosophie à Victor Duruy
On sait mieux maintenant, grâce à Sud-Ouest (édition du vendredi 28 novembre 2008, édition des Landes) et au défrichage du globe-trotter landais Jean Harambatqu’il a fait étape dans la région et que ce passage semble avoir été déterminant dans sa trajectoire. Au sortir de l’agrégation de philosophie, il rejoint le lycée Victor Duruy de Mont-de-Marsan. Son ample foulée, qui balayera tous les coins du globe, traverse pour la première fois la cour de l’établissement landais le 1er octobre 1932, alors qu’il n’a pas encore 23 ans. Il est en pleine activité militante en qualité de contributeur régulier de la revue L’Etudiant Socialiste et vient juste de fonder un pôle intellectuel au sein de la SFIO. Il se voit bien en intellectuel de parti, comme il le confessera plus tard. Il est d’ailleurs candidat socialiste aux cantonales landaises. Mais un accident de voiture met un terme à sa campagne. Les tracts finissent dans le fossé et lui avec. Il fera d’ailleurs de la botanique un usage hautement heuristique au cours de ses recherches ethnologiques…

Dans les Landes, le jeune homme fait feu de tout bois ethnographique avant même d’en recevoir la formation académique : « Claude Lévi-Strauss sait analyser le rituel de l’échange du vin dans les petits restaurants du Sud-Ouest de la France aussi bien que les grands rituels scénographiques des peuples autochtones de la région de Vancouver » rappelle la philosophe Catherine Clément, proche de lui. Il utilisera même ces premières observations de pratiques locales de dons et de contre-dons (formalisées avant lui par l’anthropologue britannique d’origine polonaise Bronislaw Malinowski) dans sa thèse intitulée Les structures élémentaires de la parenté (1948), coup d’envoi du courant structuraliste qui aura tant d’influence sur le milieu intellectuel d’après guerre…

L’observation microscopique du mode de fonctionnement de groupes d’hommes restreints peut aider l’ethnologue à comprendre des processus plus globaux comme le prétendait Levi-Strauss lui-même. Ainsi quand devant l’Unesco, il prononce en 1952 cette fulgurance : « L’humanité est constamment aux prises avec deux processus contradictoires dont l’un tend à instaurer l’unification tandis que l’autre vise à maintenir ou à rétablir la diversification », on serait tenté d’y retrouver les vicissitudes identitaires d’une Gascogne qui se sent trop faible pour vivre en dehors d’un cadre républicain universaliste mais en même temps inquiète de la préservation de sa langue vernaculaire et de ses expressions culturelles traditionnelles à l’heure de la mondialisation.

L’Aquitaine entre « unification » et diversification »
Or, d’un rapide coup d’œil, l’Aquitaine semble avoir relativement bien géré cette tension entre « unification » et « diversification » par rapport à de nombreuses autres parties du globe. Eh quoi ? Notre région n’a-t-elle pas connu depuis l’installation durable des peuples germaniques (païens ou christianisés) entre les Ve et VIIIe siècles, jusqu’à la récente présence musulmane en passant par l’émigration des juifs marranes du Portugal et d’Espagne après la Reconquista (1492), une intrication complexe de relations intercommunautaires ? Dont l’un des moments fort est la conversion du protestantisme au catholicisme du roi béarnais Henry IV en 1593 avant de contribuer au règlement des tensions entre les particularismes religieux .

Les Landes comme modus vivendi exemplaire de l’homme moderne ?
En revanche les cohabitations contemporaines (entre la Nature et les hommes, entre les hommes et les hommes) laissaient Claude Lévi-Strauss bien pessimiste, lui qui n’avait de cesse de rappeler à la fin de sa vie qu’il ne se sentait plus appartenir à ce monde abritant 6,5 milliards d’habitants quand 2,5 milliards seulement se partageaient les ressources de la planète au moment de sa naissance en 1908. Lui qui fût, également, l’un des premiers à pressentir la destruction de l’Amazonie et après elle de nombreux écosystèmes, aurait-il trouvé dans les Landes d’aujourd’hui, s’il y était revenu, un modus vivendi exemplaire de l’homme moderne avec la nature qui l’environne ? Son regard comparatif serait-il plus amène avec notre Côte qu’avec les îles polynésiennes qu’il constate « noyées de béton » et « transformées en porte avions pesamment ancrés au fond des mers du Sud » dans Tristes Tropiques (Plon-Terre Humaine, 1955)? Plus délicat : son pessimisme radical quand à la capacité de l’homme à préserver son environnement le conduirait-il à soutenir des opérations comme celles des activistes basques qui détruisent un certain nombre de villas en construction sur le littoral ? Ou encore attribuerait-il à la « bataille du Pyla », menée à la fin des années 60 avec le professeur Jacques Ellul et le journaliste Jean-Claude Guillebaud comme fers de lance, le statut de première grande victoire de l’écologie politique à renouveler ?

Nous ne le saurons jamais. Soyons simplement gré aux routes landaises escarpées et à la mécanique rudimentaire de la Citroën 5 cv qui lui servit de véhicule de campagne pendant ces élections cantonales de l’entre-deux guerres, de l’avoir gentiment envoyé dans le fossé. C’était la fin d’une carrière politique qui s’annonçait et l’émergence d’une conscience du XXeme siècle.

Photo : Sagabardon

Cédric Baylocq Sassoubre



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