L'ÉDITO
par Cyrille PitoisLe patriotisme économique en court-circuit
C’est l’histoire d’un laboratoire vétérinaire de Libourne, CEVA Santé Animale, qui a mis au point un vaccin contre la grippe aviaire et répondu à un appel d’offre lancé par l’Etat pour disposer du vaccin qui permettra à tous les éleveurs de palmipèdes de retrouver un peu de sérénité. Voilà un début de solution né à Libourne, comme une lueur après les vagues successives de cette épizootie traitée à coups d’abattages massifs des élevages et de vides sanitaires qui ruinent des années de travail et ne cicatrisent que grâce au soutien financier de la puissance publique.
A la veille du 14 juillet et de ses célébrations sur la puissance militaire de la France, l’Etat a choisi de commander les dits-vaccins… à une société allemande. 80 millions de doses qui échappent à notre industrie hexagonale dont CEVA Santé Animale n’est pas un perdreau de l’année : avec un centre de recherche implanté à Libourne depuis 1999 et 6300 salariés sur la planète, elle s'est hissée au rang de cinquième entreprise consacrée à la santé animale dans le monde.
Ne pas retenir la candidature française fait évidemment réagir les élus et la filière aviaire, sans parler de l'amertume des dirigeants et des salariés. D’autant que CEVA Santé Animale a joué largement sa partie pour le territoire en investissant depuis plusieurs années à Libourne et en créant des emplois sur place.
On se souvient aussi de cette entreprise, Next emballage à Nersac en Charente, qui a investi lourdement pour mettre son outil de production à niveau au moment du Covid et qui s’est fait depuis souffler les marchés d’approvisionnement des hôpitaux et de l’armée au profit d’industriels chinois. La commande publique aurait ses secrets que la logique et le patriotisme économique ignorent.
On peut crier haro sur les lois et réglementations qui préservent les deniers publics en privilégiant les tarifs les plus bas, ou s’étonner que les industriels français ne parviennent pas à satisfaire les critères de sélection que leurs concurrents réussissent à respecter. Mais il semble surtout aberrant qu’un Etat ne puisse pas intégrer à un appel d’offre un critère de proximité de la production.
A l’heure de la recherche des économies sur le coût environnemental du transport de marchandises, c’est incompréhensible. A quoi bon aller chercher à économiser quelques dizièmes de points sur le coût au kilomètre d’un véhicule, si c’est pour continuer à organiser l’économie en faisant venir des masques de Chine pour les hôpitaux de Bordeaux ou des vaccins d’Allemagne (en réalité produits au Mexique, semble-t-il !) pour les canards du Sud-Ouest ?
Pour préserver l’environnement, le plus vertueux des kilomètres est celui qui n’est jamais parcouru. Il est urgent de pouvoir le prendre en compte au travers de la commande publique. A défaut, c’est encore le Rassemblement National qui en tire profit en se gaussant de cette Europe qui déroule un tapis rouge au fournisseur de vaccins allemands au nez et à la barbe du local de Libourne. Et l’extrême droite continue de semer inexorablement en caricaturant l'Européisme naïf de nos politiques.