Une ouverture cousue main par Rafaela Carrasco


Non sans mal mais en beauté, la scène des Arènes d'Arte Flamenco a pu être inaugurée mardi soir par la Compagnie Rafaela Carrasco

Rafaela Carasco et son spectacle Al hilo del Mito en soirée d'ouverture d'Arte flamenco 2021Sébastien Zambon - CD40

Rafaela Carasco et son spectacle Al hilo del Mito en soirée d'ouverture d'Arte flamenco 2021

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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 30/06/2021 PAR Solène MÉRIC

La première soirée d’Arte Flamenco, ce mardi 29 juin, aurait pu virer à la tragédie, ou presque. Le spectacle de Rafaela Carrasco, après deux annulations successives en 2020 en raison de la pandémie a bien failli ne pas se tenir. En cause cette fois, une météo capricieuse et une pluie pas si violente mais suffisamment insistante pour dangereusement mouiller la scène installée au cœur des Arènes de Mont-de-Marsan. Prévu à 21h30, c’est finalement, vers 22h15, après deux annonces de l’organisation, et plusieurs bachâges, débachâches et évacuation de l’eau de la scène que le spectacle a pu commencer. Le destin ne s’est finalement ni acharné sur Arte Flamenco ni sur la première représentation française du spectacle de Rafaela Carrasco, «Ariadna : Al hilo del mito ».

Pourtant, une tragédie s’est bel et bien jouée hier au cœur des Arènes du Plumaçon. Celle d’Ariane, la princesse tisserande et fille de Minos, le tyran de Crête. Celle qui par son fil, permet à Thésée, après avoir vaincu le Minotaure, de sortir vivant du labyrinthe qui abrite la créature mi-homme mi-taureau. Ariane, par cet acte trahit son père, et son rang, avant de s’enfuir avec son héros, qui l’abandonnera à son sort, dès le lendemain sur l’île de Nexos.

La solitude, le monstre, le labyrinthe, le fil, la princesse éprise d’amour, d’indépendance et de liberté. Plus que la narration fidèle du mythe c’est bien de ses symboles et en premier lieu autour de l’évocation du personnage d’Ariane, que la chorégraphe et danseuse a choisi de s’inspirer pour la création de son ballet. Un ballet, comme une invitation à une introspection sur soi, ses propres monstres et labyrinthes intérieurs, et toujours seul face à son destin, sur ses possibilités, ou pas, de s’en libérer.

Précision, clarté et créativité
Sur la scène au décor sobre, un mur de pierre gris, danse, chant, guitare, rythme et poésie _en français, l’attention de la chorégraphe pour son public est notable_  se conjuguent, en écho à la tragédie grecque. La poésie, outre une scénarisation du ballet, rappelle les antiques choeurs de la tragédie. Entre commentaires prophétiques, mémoire des événements passés, ces quelques vers renforce la dramaturgie de l’ensemble, et invitent inlassablement à la réflexion.

Comme une tragédie grecque, aussi, le prologue annonce déjà la fin. Rafaela Carrasco -Ariane, apparaît seule en scène. Elle danse sans musique d’abord, puis le poème et un cante surgissent, mais pas de chanteur sur scène pour le personnifier. La solitude est extrême. Le bruit des vagues se fait entendre. L’amant est parti, Ariane est seule, entre amertume, déception, colère, mais toujours les poings haut levés. Ceux de la femme qui aura refusé, on le verra dans un tableau suivant, les lois du patriarcat pour ne pas dire du machisme qui l’entoure. Un premier temps de danse qui déjà place, et rappelle (si on peut l’oublier…), la précision, la clarté et la créativité aussi de la bailaora, toute en apparente évidence et facilité.

Rafaela Carasco et son spectacle Al hilo del Mito en soirée d'ouverture d'Arte flamenco 2021Julie ALLEAU | Aqui

Rafaela Carasco et son spectacle Al hilo del Mito en soirée d’ouverture d’Arte flamenco 2021

Une Ariane, féministe mais aussi graçieuse, poétique et lumineuse
Une inspiration à la liberté et à l’indépendance chez Ariane / Rafaela, qui apparaît rapidement dans le spectacle. Comme un retour en arrière, Ariane revient sur scène dans une robe bien plus noble que la précédente, mais dans une autre forme de solitude ; celle que connaissent les destins choisis par d’autres, et où l’on reste sagement à la place qu’on vous a donné. Dans ceux-là, les princesses comme Ariane, se contentent de planter des tournesols, quand les hommes parlent affaires et se mesurent entre eux…
D’ailleurs sa robe belle et ample, en est ornée de ces sages fleures jeunes, comme un rayon de lumière dans un décor gris et sombre. Mais quand les hommes partent, elle cherche déjà à dessiner son propre chemin et son propre monde, se plaisant dans des mouvements à la fois amples et légers, à renverser et déplacer les chaises symétriquement installées par les mâles de sa cité. Cette Ariane là est féministe, oui. Féministe mais aussi graçieuse, poétique et lumineuse, quand elle s’extrait par la danse, à ce à quoi d’autres l’assignent. Quand elle rêve de liberté.

Mais comme le souligne le poète, il y a trois labyrinthes inextricables pour l’être humain : « la mer, la mort et le regard de son premier amour ». Et dans ce dernier elle y tombe sans méfiance, avec entrain, légèreté et joie même, sûre d’y trouver les clés de sa liberté… Ariane et son Thésée (excellent Rafael Ramirez), ne se quittent pas du regard. En signe de libération aussi, elle quitte le haut de cette robe qui la cache. Et la passion referme son piège. D’ailleurs, le fil invisible entre les deux danseurs se matérialisera bel et bien. Le lien de la natte de la danseuse devenant au fil d’un pas de deux à la fois original et remarquable, le lien qui attachera les mains d’Ariane, symbole de sa nouvelle prison, son amour pour son amant.
Un amant qui ne le sera que le temps d’une nuit, avant qu’il ne la laisse. Et de nouveaux alors la solitude pour la princesse déchue, avec « comme seule façon de survivre à la mort, se rappeler de vieilles histoires », souffle le poète. Alors Ariane danse encore avec la force du désespoir, et le sourire… Elle est son propre monstre, son propre labyrinthe, et qui sait, son propre fil. Comme tout un chacun sans doute.

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