Emmanuelle Grizot, arabesque d’une étoile


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Emmanuelle Grizot, arabesque d'une étoile

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Temps de lecture 15 min

Publication PUBLIÉ LE 25/06/2017 PAR Romain Béteille

20h30 et des poussières. Le grand amphithéâtre de l’Opéra est lumineux comme en plein jour, le grand lustre au plafond éclaire encore les balcons et les quelques retardataires qui prennent place sur les sièges du fond. Certains observent les motifs art-déco et les peintures au plafond comme s’ils découvraient une gravure antique pour la première fois. Au fur et à mesure que le public entre, le brouhaha impatient se fait de plus en plus dense. A peine a-t-on le temps de compter jusqu’à cent que ce dernier disparaît, comme si un souffle de vent l’avait soudain balayé. Premières notes de violon, dans lequel le hautbois vient peu à peu s’immiscer, timidement, comme s’il n’osait pas. Les stars sont là, sous le feu des projecteurs. Elles dégagent une certaine lumière. De leur pas gracile et fluide, elles crèvent instantanément l’écran. Pas de deux, adage, arabesque et saut de basque s’enchaînent avec grâce. Puis les notes explosent, les violons s’emballent, les pas, d’une précision quasi surnaturelle, s’accélèrent en suivant le rythme de la symphonie. Virevoltantes, tragiques, magnifiques, les danseuses s’exécutent et leurs mouvements coordonnées ne forment plus qu’une grande fresque, jusqu’à ce que la folie exprimée par le souffle hanté de Tchaïkovski ralentisse, se pose, puis meure. Le silence d’une scène, foisonnante quelques secondes auparavant et désormais vide, laisse place au triomphe. Le Lac des Cygnes a encore touché au coeur, les émotions qu’il a procuré il y a cent-quarante ans sont restées intactes, immortelles. Cette adrénaline, ce désir profond de suivre les pas de la musique comme une ombre blanche en chaussons, Emmanuelle Grizot l’a ressenti de nombreuses fois dans sa carrière. Et elle les ressent encore, parfois. Cette ancienne danseuse de l’Opéra de Bordeaux, aujourd’hui reconvertie en chorégraphe, a toujours considéré la danse et le corps comme un meilleur moyen d’expression que la parole. À cinquante ans, sa fierté d’être rentrée dans la cour des grands reste intacte. Nous avons voulu savoir qui elle était après que les lumières se soient éteintes, que le rideau ait été tiré et qu’elle ait rangé sa tenue dans son sac. Vous, du fond de vos sièges, qui ne voyez que la surface, on vous invite à pénétrer avec nous dans les profondeurs des coulisses, au travers du parcours d’une danseuse qui a pris un billet pour une destination que tout le monde veut atteindre : les étoiles. 

Dans le moule

Installée dans un café bordelais, par une fin de matinée à la chaleur écrasante, Emmanuelle Grizot n’a rien perdu de sa retenue. La pose altière, les bijoux aux couleurs timides, le haut blanc brodé : elle garde ce look de fille sage que la discipline du métier a achevé de rendre discrète. Elle est prête à se raconter, mais on sent qu’elle hésite, cherche ses mots, se demande si elle n’en dit pas un peu trop à ce parfait inconnu qui veut tout savoir. Et puis, finalement, elle se prête volontiers au jeu. Elle commence par nous décrire cette petite fille, originaire de Dijon, aux parents professeurs, aimants mais exigeants. On essaie de se projeter dans l’ombre de cette gamine frèle, fragile et renfermée. Elle se rêve tour à tour chef d’orchestre, aviatrice, alpiniste; « que des trucs un peu inaccessibles pour des femmes ». Comme beaucoup de professionnels dans son secteur, Emmanuelle a commencé à danser très jeune, vers six ans, attirée qu’elle était par la musique. « Le médecin avait préconisé la danse à mes parents parce que j’étais un peu asmathique et je ne pouvais pas faire trop de choses à l’extérieur. À huit ans, j’ai dû interrompre parce que ma prof est partie. Mes parents m’ont donc fait faire de la natation à la place pour faire une autre activité. J’ai détesté. J’étais toujours la dernière, je ramais. Ce qui me plaisait dans la danse, c’était d’abord l’appel de la musique. Mes parents écoutaient pas mal de musique classique et je m’exprimais très jeune, j’avais envie de bouger naturellement. J’avais vu de la danse à la télé et j’étais attirée d’après les dires de ma grand-mère. Je ne saurai distinguer la partie fantasmée de la vérité. J’avais envie de m’exprimer sur la musique ». À l’école, elle a toujours gardé cette année d’avance. Elle reprend la danse à l’école de Dijon, deux fois par semaine. Ses parents suivent, voient bien qu’elle est douée pour ça. Si bien qu’au moment, très précoce, où survient l’heure du départ du nid familial, à l’âge de treize ans, pour suivre des cours dans une école de danse à Cannes, ils pèsent le pour et le contre au moyen d’un stage d’été mais laissent finalement faire. « J’avais la boule au ventre parce que je devais me confronter aux autres, j’étais hyper anxieuse. Ca se libérait pendant que j’étais dans la classe. Mes parents n’étaient pas trop pour, ils voulaient absolument que je passe le Bac. Ils ont vu que tout était aménagé, qu’on pouvait suivre ses études générales et les cours de danse en même temps. C’était un monde nouveau qui s’ouvrait à moi. Il n’y avait pas que de la danse classique, il y avait toutes sortes de danses. Je me rends compte que c’était une école avant-gardiste, elle était déjà très réputée à l’époque ». 

Changement d’ères

Emmanuelle mélange les styles, les esthétiques du classique se mêlent à la fugacité brûlante du flamenco. Non sans subir, au début, les affres de sa timidité maladive. « Je me suis assez bien acclimatée, mais j’ai quand même été malade pendant un mois quand je suis arrivée, je pense que mon corps voulait me signifier la rupture avec la famille. J’avais maigri, je ne mangeais quasiment plus, ma grand-mère est même venue vérifier si j’allais bien ». Elle finira par s’y faire. Entre deux semaines de cours, elle sort le dimanche avec les copains, prends parfois le bateau pour atteindre les îles de Lérins. Cette première expérience est l’un des cinq moments importants de la vie d’Emmanuelle comme autant d’actes, ceux que nous aborderons par étapes successives dans ce petit ballet de souvenirs. Pendant ces quatre premières années de genèse, sa professeur de danse et directrice artistique du lieu n’est pas n’importe qui puisqu’il s’agit de Rosella Hightower, danseuse étoile avec qui elle partagera plus tard son amour pour le personnage, tragique et fort, de Giselle. « On nous mettait pas mal en concurrence, il fallait quand même bosser mais ça s’est bien passé ». Comme beaucoup d’adolescentes, elle appréciera pendant une période le « goût du risque » et le frisson de l’interdit. Elle fera le mur, quelquefois, piquera « quelques petits bijoux par-ci par-là », verra brièvement la couleur d’un joint. Mais rien de ce qu’elle testera à cette période ne la fera dévier de son look de « fille rangée. Je ne portais pas de blouson de cuir cloutée, je n’ai jamais aimé l’exubérance ». Ses dix-sept ans correspondent à la période où l’administrateur de l’école de Cannes de l’époque, Robert Berthier, décide de monter le Jeune Ballet de France. Pour Emmanuelle, c’est un souvenir que la fierté personnelle a quelque peu modifié. « On m’a proposé une place de manière étrange. Je ne me sentais pas encore prête pour partir. Pourtant, c’était une compagnie pré-professionnelle, donc un bon tremplin entre l’école et la compagnie. Je n’y suis pas allée. D’un côté je ne me sentais pas prête, je voulais me donner un an de plus. On m’a dit que l’image de la danseuse classique était parfaite et que pour y entrer, il fallait que je me fasse recoller les oreilles. Je plaisantais souvent avec les copines sur mes oreilles décollées, mais le fait que ce soit un adulte qui me fasse une réflexion… je ne l’ai pas accepté parce que je ne comptais pas du tout faire cette opération. Ca m’a clairement vexé ». Un pas de côté, et la voilà à Monaco, dans un établissement où l’on distille le « style russe » et la discipline de manière plus stricte encore. 

Emmanuelle travaille, se plie à cette dernière, suit le mouvement. Mais son deuxième acte n’est pas aussi glorieux que l’auraient espéré ses efforts. Sur le fil, au moment d’être jugée lors d’un prestigieux concours pour jeunes danseurs à Lausanne, elle perd ses moyens. « J’avais vraiment le trac. Je me suis arrêtée en quart de finale et je n’ai pas vraiment pu montrer ce que je savais faire ». Repérée, comme ses camarades, par un numéro d’audition, elle n’a visiblement pas tiré le bon, la mettant en situation de faiblesse. Une erreur qu’elle ne voudra jamais plus refaire. « J’ai vécu ça comme un échec, mes parents m’ont aussi bien fait sentir que c’en était un. La directrice de l’école de Monaco m’a beaucoup aidé à le maîtriser en me disant que j’avais tout basé sur la technique. Elle m’a un peu guidé vers mon propre chemin et elle a mis des mots sur ce que je n’arrivais pas à exprimer ». Encore trop académique, trop appliquée, Emmanuelle ne saisit qu’une face de la pièce. « Le plaisir de la danse, c’est faire passer des émotions, être dans la psychologie des personnages. Jamais je n’ai repassé de concours après ça. Je n’avais pas envie d’être jugée, c’était un endroit où je perdais mes moyens. Ca ne m’a pas empêchée d’être danseuse étoile. Les concours, ça peut aider mais ça ne fait pas tout. C’est bien pour prendre confiance quand on est jeune, mais ça s’arrête là. Ca m’a permis d’aborder la danse par un autre biais, celui de l’émotion, le fait d’avoir quelque chose à soi à transmettre et à raconter », interprète-t-elle. Cet échec apparent, comme elle l’a dit, ne gênera en rien la suite. Mais avant cette reconnaissance, ce grade suprême que sa discipline garde jalousement jusqu’à un accomplissement, il a fallu passer par un troisième acte en prenant la forme d’une première fois. Il a fallu endosser des rôles de stagiaire et de figurante à Bâle en évoluant une marche après l’autre durant cinq ans, habiter dans une précaire chambre chez l’habitant. Sortir de son isolement et de cette intimité de la classe. Partir en tournée avec la troupe autour du monde : Chine, Etats-Unis, Israël. Jusqu’à ce que le pas de trois du Lac des Cygnes ne lui donne son premier rôle d’exposition, et qu’elle décide de quitter une fois pour toutes ces chaussons devenus trop petits pour ses ambitions de premier rôle. « J’ai senti que ce directeur ne me ferait pas confiance pour aller plus loin et porter un ballet entier et avoir le rôle titre. J’avais encore cette image de petite stagiaire, peut-être. En tout cas je n’étais pas toute seule sur les rangs ». 

L’indécision 

Emmanuelle Grizot n’est pas vraiment aussi rapide que ne le laisse paraître la fulgurance avec laquelle elle raconte son parcours. Elle hésite, toujours, puis finit, au bout d’un long moment de doutes, par se décider. Le décor de son quatrième acte installera le spectateur à Dusseldorf dans une grande compagnie de soixante-dix danseurs, au gré des conseils d’un ami qu’elle poursuit. Effectuant beaucoup moins de tournées que dans le deuxième acte, elle évoque tout de même un nouveau souvenir, aussi marquant pour elle que pour sa carrière, autour duquel il y aura un avant et un après : son premier véritable rôle en tant que soliste. Elle découvre la culture allemande : des gens « très droits, carrés, pour qui la parole compte », traits qu’elle semble partager et auxquels il faudrait sans doute ajouter la constance. C’est Goethe qui lui donnera sa chance. « J’étais troisième distribution, il y avait deux danseurs avant moi pour le rôle titre. Je l’avais appris au fond de la salle en écoutant tout ce que le chorégraphe racontait, mais je n’avais pas de date pour le jouer, je n’avais donc pas vraiment espoir de le danser », nous dira-t-elle, comme pour appuyer une emphase imaginaire. Le hasard et les circonstances décommanderont, la laissant seule en lice pour briller. « C’était un rôle qui me plaisait, j’avais bu du petit lait quand le chorégraphe était venu me le proposer ». Emmanuelle fait quelques erreurs de débutante, bien sûr : elle oublie de s’hydrater et doit, durant toute la représentation, combattre ses crampes. Mais elle sait bien que la chance ne se représentera sans doute plus avant un bon moment. Devant les quelques 1500 personnes de l’Opéra de Duisbourg, elle laisse son corps et la discipline qu’elle lui a imposé parler à sa place. « J’ai quand même sauté dans le rôle. À partir de là, j’ai démontré ma capacité à porter des rôles titres et acquis la confiance du directeur de ballet ». 

On délaisse les quais le long du Rhin pour parcourir avec elle ceux de la Garonne. Arrivée à Bordeaux en 1991 sous les airs tendres et tragiques de la Sonate au Clair de Lune de Beethoven lors d’un stage d’été au théâtre du Port de la Lune, Emmanuelle, prise sous l’aile de l’ancien premier danseur de la troupe de Maurice Béjart, l’italien Paolo Bortoluzzi, fait ses premiers pas professionnels en France. Non sans avoir posé un instant un regard sur Genève, « pour avoir un choix. Je n’aime pas avoir à faire des choix mais je m’en provoque quand même. Le danseur est un peu maso, je crois », clame-t-elle d’un rire discret. Elle redevient une étrangère et apprend peu à peu à s’acclimater à cette nouvelle ambiance. Elle court après les grands rôles comme après le temps. En coulisses, pendant que le spectacle continue, elle change de chaussons en fonction de ce qu’elle a à danser, mais aussi pour « éluder son trac », et rentre à la dernière minute, la main dans celle de son partenaire. Elle suivra sa propre loi et refusera jusqu’au bout le diktat de la beauté et des formes parfaites. Pas d’opération de chirurgie esthétique pour elle, ce sera le naturel pour ne pas sacrifier son apparence sur l’autel d’une gloire éphémère. Elle n’est pas non plus une « femme d’intérieur » : Emmanuelle dansera dans un temple birman, aux côtés du cheval sous le chapiteau du cirque Gruss et même sur un terrain de football, sans que jamais le frisson du trac ne disparaisse. « À Bordeaux, je reportais mon trac sur le personnage que j’avais à interpréter », avouera-t-elle d’ailleurs. Au fil des ans, des rôles et de l’assurance qu’apportera l’expérience, la dernière ellipse narrative prend la forme d’une consécration. Celle d’une vie, accrochée à la grâce d’un corps qu’elle contrôle. En 2002, Emmanuelle est donc nommée danseuse étoile, profitant d’une nouvelle hiérarchie au sein du ballet de Bordeaux. Évidemment, elle épouse ce prestige comme une forme finale de « reconnaissance, une consécration. Ça faisait déjà des années que je faisais des rôles principaux. On a peut être un peu plus de pression, un peu plus d’attente par rapport au public, mais sinon ça ne change rien à ce qu’on fait ». Lors de sa dernière représentation, c’est le personnage de Gisèle qu’elle décide de reprendre. « Il était repris tous les deux-trois ans, je l’ai fait évoluer avec mon expérience. Je trouve que c’est un rôle complet avec différentes émotions à transmettre. L’héroïne représente les rôles que j’ai toujours voulu interpréter, avec un important aspect dramatique. Je n’aimais pas du tout les héroïnes trop lisses. La Belle au Bois Dormant m’a gonflée par ce qu’il fallait être la petite fille bien sage et se révéler grâce au prince. C’était trop lisse, trop fade pour moi qui aimait les aventurières, les femmes indépendantes et dramatiques ». Les lumières de la scène s’éteignent donc, et la rupture avec ces années de travail laisse place au désir de reconversion, avec l’espoir tenace de ne jamais arrêter la virevolte.

Rappel d’air

Le dernier acte vient-t-il donc de sonner ? Après les applaudissements, comme un au-revoir langoureux et empli de chaleur, les discussions reprennent là où elles s’étaient arrêtées à l’entrée, s’étalant telles une rumeur. Les premiers impatients se lèveront, avant de se rasseoir aussitôt. Il y a encore un rappel. Voilà Emmanuelle effectuant sa dernière transformation en date. Son dernier rôle de composition, en somme, sauf que celui là n’est plus celui d’un personnage mais de la réalité d’une reconversion. Devenir chorégraphe, elle y pense depuis de nombreuses années déjà. En tant qu’interprète, elle essaie des choses, jamais trop loin de la scène. Les Baléares seront un cadre parfait pour tester sa première création et enchaîner ensuite avec une pièce dont elle joue, aux côtés de deux autres danseurs, le rôle principal, en s’inspirant de la commedia dell’arte. Pour le public bordelais, elle restera cette spécialiste du classique, se fermant ainsi artificiellement la porte de la danse contemporaine. Elle qui aime le défi dira regretter de ne jamais avoir eu l’opportunité d’endosser ce nouveau costume. « J’avais le physique de l’emploi. J’ai été cataloguée danseuse classique, même si j’ai les oreilles décollées. J’étais dans une catégorie alors que j’aurais très bien pu faire les deux, je pense. La transmission du classique me tient quand même à coeur. La rupture avec l’interprétation n’a pas vraiment été facile. La cassure de mon contrat a été nette dans des termes qu’il fallait avaler. Je savais que je n’allais pas danser les héroïnes jusqu’à cinquante ans, j’ai tenu jusqu’à quarante-cinq, c’est déjà pas mal ». Cinq ans après son dernier grand rôle, acclamé par la critique et le public, son rappel nous fait découvrir une nouvelle facette de sa personnalité. Pas vraiment douée pour s’exprimer à l’oral, elle aura donc choisi « un espace dans lequel il n’y avait pas de mots et où il n’y avait que le corps qui s’exprimait ». On ressent parfois comme une gène chez elle, lorsque les questions laissent place à des silences. De sa vie personnelle, elle gardera la serrure fermée à double tour. On saura juste qu’elle n’a jamais ressenti le désir d’être mère et que visiblement sa carrière a pris le dessus sur ce dernier, même si elle ne le dit qu’à demi-mot. On dirait presque qu’elle n’arrive à s’exprimer qu’à travers ses chorégraphies, « de manière détournée ». C’est ainsi qu’en répondant à des commandes de l’Opéra, avec lequel elle n’a jamais vraiment coupé les ponts, elle réalisera ses premiers spectacles jeunes publics. Toujours des contes ayant une résonance avec sa propre vision d’elle-même. Avec Hansel et Gretel en 2010, elle sort à nouveau de son « nid familial pour aller expérimenter l’ailleurs ». En 2015, le personnage de Barbe Bleue lui sert à nouveau à « transgresser l’interdit pour s’émanciper ». En mettant un danseur de hip-hop dans le rôle, elle « refuse les cases » et mélange les genres. 

Les dernières notes du rappel signifient, à leur manière, que rien n’est encore terminé et qu’Emmanuelle a encore de belles et longues années de travail sur elle-même et ce qu’elle veut donner à en voir. Elle expérimentera sûrement la parole sur scène tôt ou tard, ayant peu à peu transformé ce blocage en souvenir. Elle est, aussi, dans une de ses traditionnelles phases d’indécision, n’ayant visiblement pas complètement effectué sa mue. « Je ne me suis pas vraiment décidée entre transmission et création, ce qui fait que je n’ai pas un rôle fixe quelque part, j’ai plusieurs petites missions. Ca n’est pas non plus facile financièrement de se sortir de ce cadre. J’ai dû faire face à une certaine forme d’instabilité et de précarité dans le travail après mon départ de l’Opéra. Maintenant, il faut que je sois force de proposition ». En 2015, elle a créé une association, « Legato Company », pour être plus visible auprès des acteurs culturels du coin. Cinq heures par semaine, elle enseigne son savoir et son expérience de la scène à des étudiants de l’école « Performance« , montée par le très polymorphe Anthony Égéa. Revenant d’un mois et demi à Naples pour « remonter Casse-Noisette », elle aimerait s »inscrire « beaucoup plus sur le territoire bordelais, avoir plus de reconnaissance en tant que chorégraphe. J’ai pris l’optique de rester à Bordeaux parce que j’étais reconnue sur ce territoire. C’était peut-être une erreur, je ne sais pas… Les gens me connaissent comme danseuse étoile, c’est difficile de passer de l’un à l’autre du jour au lendemain. Je pense que si le ballet classique doit continuer à vivre, ça passera par une remodélisation de la mise en scène. Les vieux clichés des décors en carton-pâte et les vieux costumes, on vire. Il faut penser différemment pour que ça survive ». Jamais inactive, elle réfléchit actuellement à une nouvelle adaptation de La Petite Sirène d’Andersen et compte y distiller un double message sur « les difficultés de  la création et de l’économie du spectacle aujourd’hui ». Longtemps en apnée, elle quittera bientôt, tout comme sa prochaine héroïne, le monde marin pour remonter, à la fois à la surface et sur scène, en tant qu’interprète. Elle ne ferme jamais les pages, elle attend même avec impatience qu’un nouveau chapitre important s’ouvre. 22h42. Le grand lustre du plafond s’éteint pour de bon cette fois, mais on imagine Emmanuelle Grizot flâner encore quelques temps en coulisse, avec un petit air d’Ella Fitzgerald qui lui trotte dans la tête. Sans doute celui de « Thay can’t take away from me », dans la lumière feutrée d’un théâtre ayant su taire un au-revoir, auquel on préfèrera toujours un « à la prochaine ». Le mystère insondable que forment les années à venir saura sans doute en faire quelque chose. 

Pour essayer de la connaître un peu plus, on a demandé à Emmanuelle de nous citer quelques uns de ses artistes favoris. Voici sa réponse. 

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