Daniel Cordier, un héros très discret aux « Idées mènent le monde »


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Daniel Cordier, un héros très discret aux "Idées mènent le monde"

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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 19/11/2017 PAR Solène MÉRIC

Pour Daniel Cordier, du haut de ses 19 ans, « le Triomphe dans la guerre devait aller à celui qui se bat le mieux et le plus longtemps ». Un triomphe qui devait nécessairement être pour la France victorieuse de 14-18 dont on l’avait nourri toute son enfance. Une vision du monde qui ne collait pas avec le discours de capitulation du Maréchal Pétain en juin 1940. Un traumatisme pour le jeune royaliste et partisan engagé d’Action Française qu’il était. « Ce que Pétain a dit était monstrueux . Finir la guerre comme ça d’un coup, c’était impossible. Il fallait faire quelque chose, cette guerre ne pouvait pas finir sans moi. Je voulais tuer du Boche », lâche-t-il.

« Comment sauver Moulin?… Ca m’a beaucoup travaillé »Parti avec 17 camarades de Pau pour prendre un bateau à Bayonne à la destination pas vraiment définie, les jeunes gens qui espéraient combattre en Afrique du Nord, se retrouvent à Londres. Après deux ans d’entraînement par les anglais et une rencontre rapide et un peu fortuite avec le Général De Gaulle, « un type très charmant », il est parachuté en France en 1942 pour rejoindre la Résistance. Recueilli à Montluçon, il est ensuite amené à rencontrer Jean Moulin, qui en un dîner de 2 heures décide de faire de lui son secrétaire. Malgré des idées très éloignées l’un de l’autre à l’époque, c’est une relation forte qui s’installe entre les deux hommes, « il avait 42 ou 43 ans. Il avait l’âge de mon père. Il était rigoureux pendant les heures de travail, mais il était très gentil. Vraiment très gentil, brillant, très beau, très souriant. Il plaisait beaucoup aux dames », ponctue-t-il dans un sourire entendu. Un Jean Moulin « toujours à l’intérieur de ma vie », assure-t-il.
Quand ce dernier est fait prisonnier par les allemands, Daniel Cordier imagine un plan pour tenter d’aller le secourir. Une fois encore sa colère le guide :« J’étais un soldat, il fallait faire quelque chose pour le libérer ». Mais on lui refuse : « Tant que Jean Moulin n’est pas là, c’est toi le patron, c’est toi qui distribue l’argent aux résistants, qui connaît tout et tout le monde. Tu ne peux pas quitter Paris sinon la Résistance s’arrête.» Une révélation que Daniel Cordier vit alors comme « un grand choc ». « Je me suis rendu compte qu’ils avaient raison… mais comment sauver Moulin?… ça m’a beaucoup travaillé ». En réalité pour l’auditoire, ce sera la seule référence modeste sur son rôle clef durant cette période, et sur lequel il ne reviendra pas davantage. Daniel Cordier, humble ce vendredi soir à Pau, à l’image de sa vie entière, ne cherche ni gloire, ni reconnaissance… A l’inverse, il met en avant ses erreurs, ses regrets et ses moments de prises de conscience douloureuses. Selon ses mots, « la vie d’un homme ».

Un homme, un enfant « comme du bétail », la journée du « basculement »
Sur ce chapitre, c’est avec beaucoup d’émotion, qu’il revient sur la journée du « basculement », quant à son antisémitisme. Un épisode en trois temps, qui se tient avant l’arrestation de Moulin, lors de son premier voyage à Paris depuis le début de la guerre. « Il faisait un temps superbe et j’ai voulu aller m’incliner sur la tombe du soldat inconnu. Il y avait un silence extraordinaire dans Paris, pratiquement personne dans les rues, les seules voitures qui passaient étaient allemandes. J’ai eu un premier choc, lorsque, arrivé place de la Concorde, j’ai vu la Chambre des députés barrée d’immenses inscriptions en allemand. Mon deuxième choc, a été de voir qu’autour de la tombe du soldat inconnu il n’y avait que des allemands, c’était bouleversant ». Puis il fait une pause, visiblement ému avant de poursuivre, la voix étranglée : « et puis j’ai vu un homme d’une soixantaine d’années, il était accompagné d’un enfant, et, sur le côté gauche de la poitrine, ils avaient un grand carton écrit « juif », pas une étoile, une pancarte… C’est difficile de vous dire ça, confie-t-il à la salle, en vous le racontant j’ai les larmes aux yeux. Pour moi, jusque-là je n’avais aucun problème avec l’antisémitisme, j’étais antisémite, ma famille l’était, on disait des horreurs, des horreurs… Mais de les voir tous les deux… j’aurais voulu les embrasser, et leur demander pardon pour les sentiments que j’avais eu envers eux. Quand j’en parle, c’est comme si je venais de le vivre. C’est misérable, honteux ; un écriteau comme du bétail ». Puis, toujours très ému il poursuit « En dépit des idées que j’avais, j’étais parti pour la liberté, et je l’ai découvert à ce moment là. » Et comme pour sortir de ces souvenirs douloureux qui saisissent la salle, il ajoute en rigolant : « Aujourd’hui je suis un vieux schnok ! »

Une franchise qui écorne le roman national
Au chapitre des regrets lourds, un autre « hante » sa vie de vieil homme. « Au sortir de la guerre je ne voulais pas être un ancien combattant, je ne voulais pas faire carrière la dedans » rigole-t-il. Pour autant, il avoue « un grand remords » envers les autres jeunes gens qui l’ont accompagné et avec qui il a travaillé durant cette période. « Je me sens coupable. Quand la guerre a été finie, j’ai annoncé à mon groupe que nos vies commençaient pour chacun de nous et que nous ne nous reverrions plus jamais. Or j’étais le patron de ces jeunes, je n’avais pas le droit de leur dire ça. Ces gens se sont dévoués sans compter, ils ont pris des risques énormes chaque jour, ça aurait été normal de se voir au moins une fois par an, de partager ça à nouveau. Je leur devais la mémoire vivante de ce que nous avions fait, et maintenant c’est trop tard, c’est un grand pêché de ma part. » Là encore l’émotion est à fleur de voix pour Daniel Cordier.
Mais s’il n’a pas réuni ses anciens amis, il a également tu une grande partie de sa vie son action au sein de la résistance, et ce dès son retour. Y compris à sa mère. « J’étais très heureux que nous ayons gagné, ça avait été très difficile… Je ne sais pas pourquoi je ne lui ai pas dit… » puis il poursuit avec une franchise qui vient écorner le roman national. « Je n’ai rien dit aussi sans doute parce qu’après la guerre personne ne s’intéressait à la Résistance. La guerre était finie, les gens étaient contents, ça leur suffisaient. Dans la Résistance, au début nous étions 3000, puis 30 000, et enfin seulement 50 000 avec De Gaulle en Algérie, en comptant les bataillons des colonies et un bataillon, sur deux, de la légion étrangère. 40 millions de français ont attendu que la guerre se passe, lâche-t-il, avant de poursuivre intransigeant: sur les Champs-Elysées tout le monde a acclamé De Gaulle, pourtant il n’y avait pas grand monde dans la Résistance ».


C’est bien un témoignage humble et franc qui a ouvert l’évènement des Idées mènent le Monde, un témoignage nécessaire à tous et à chacun. Dommage tout de même qu’il n’y ait pas eu plus de jeunes gens présents dans la salle, mobilisés autour de cette prise de parole. Une parole qui se fera nécessairement de plus en plus rare dans les temps à venir. Daniel Cordier est né en 1921, il avait 19 ans en 1940, 25 ans à la fin de la guerre. C’est sans doute auprès de cette génération là que sa parole vivante et directe aurait du être apportée en priorité. Les idées certes mènent le monde, mais la jeunesse aussi très bientôt.

A lire: « Alias Caracalla », par Daniel Cordier, éditions Gallimard

Les idées mènent le monde à Pau au Palais Beaumont
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