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L'ÉDITO

 par Cyrille Pitois Cyrille Pitois
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07/12/2022

Paris brûle-t-il le sens des valeurs ?

Les valeurs que défend chacun d’entre nous sont à géométrie variable. C'est ce qui fait la richesse de l’humanité, la variété des opinions et la vivacité des débats. Mais quand l’Etat républicain brouille le message, comment s’étonner dès lors que les générations encore en construction manquent de repères ?

Illustration avec un exemple survenu cette semaine. Né à Chatelaillon en Charente-Maritime, Dominique Lapierre est mort voilà quelques jours à Saint-Tropez. Dominique Lapierre est le co-auteur à succès de « Paris brûle-t-il ? » avec l’américain Larry Collins. Un ouvrage lu par 20 millions de personnes et repris au cinéma (René Clément, 1966). Lapierre et Collins ont publié une demi-douzaine de livres retraçant différents combats dans un style aussi documenté que narratif, ouvrages qui ont marqué plusieurs générations entre 1964 et 2004. Dominique Lapierre aurait pu savourer ce succès sur les bords de la Méditerranée, où il a élu domicile juste à côté de son compère Larry Collins.

Mais cet insatiable journaliste écrivain, s’est investi en Inde. Investi, est bien le mot puisqu’il a consacré une bonne part des gains issus des best-sellers, à financer l’œuvre de Mère Teresa, cette religieuse engagée auprès des enfants des bidonvilles. Après l’avoir rencontrée et passé du temps au cœur de ses orphelinats, il a repris la plume pour un récit magnifique, « La Cité de la joie », sorti en 1985 qui a été vendu à 12 millions d’exemplaires et fut aussi adapté au cinéma (Roland Joffé, 1992).

Et que fit-il des droits d’auteur une nouvelle fois acquis ? Il les redistribua pour une très large part, en finançant des programmes de lutte contre la lèpre, le choléra ou la tuberculose, la construction de logements ou la distribution de micro crédits. Il a appris le Bengali au point de le parler couramment et ouvert plusieurs écoles dans cette région particulièrement déshéritée. En 2005, l'auteur confessait quelques chiffres sur les actions financées grâce à ses droits d'auteur, aux dons de ses lecteurs et aux conférences données dans le monde entier : un million de tuberculeux guéris, 540 puits d’eau potable creusés et quatre bateaux hôpitaux armés dans le delta du Gange.

De quoi forcer un poil le respect, face à un parcours admirable de curiosité, d’écoute, de générosité et de philanthropie, avec sa plume pour seule légitimité. Cela méritait bien un hommage, non ? Depuis dimanche, la presse retrace ce destin à haute dignité ajoutée.

L’Etat ? Un communiqué d’un feuillet et demi de la Ministre de la culture, Rima Abdul Malak, a fait l’affaire. Comment ne pas tousser en rapprochant ce « non-événement » de l’éloge prononcé par le Président de la République en personne, lors des obsèques de Johnny Hallyday, un artiste talentueux, y compris pour tenter de se soustraire au fisc ? Citons aussi le départ de Jean d’Ormesson, à l’hommage duquel se sont pressées les plus hautes autorités de l’Etat, en exercice ou en retraite. L’écrivain ne manquait évidemment ni de culture ni de sens littéraire, au point de devenir la mascotte lettrée des plateaux de télévision. Sa philanthropie a laissé moins de souvenirs.

La valeur d’aujourd’hui se mesure-t-elle au nombre de frasques ou de saillies distillées dans les médias ? Bonne nouvelle pour la postérité des influenceuses botoxées. Mais il ne faut plus se lamenter sur une société qui perdrait la boussole.

Il reste encore une session de rattrapage à Dominique Lapierre ou plutôt à ceux qui partagent ses valeurs : que son nom soit inscrit au fronton d’écoles, de médiathèques, d’écoles de journalisme ou soit donné à des prix et distinctions humanitaires ou philosophiques. Une distinction à retardement mais non usurpée, celle-là.

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