L'ÉDITO
par Cyrille PitoisOuverture de la chasse aux chômeurs
La nouvelle saison de la chasse aux chômeurs est donc déclarée ouverte. Pour jeter en pâture à ceux qui ont un emploi, le Premier ministre, Gabriel Attal n’a trouvé que cet ingrédient pour composer la recette contre les problèmes de trésorerie d’un Etat qui dépense trop.
C’est bien connu, ceux qui se lèvent tôt pour aller travailler, ne rêvent que d’une chose : se faire licencier pour toucher des allocations chômage et rester devant la télé. Et ceux qui ravalent un peu de fierté en poussant la porte de Pole emploi, pardon France Travail, se délectent de leur oisiveté grassement rémunérée. Quelle vision éhontée et caricaturale des victimes d’une économie qui laisse trop de monde au bord de la route.
Qu’il y ait quelques profiteurs du système, c’est fort possible. Mais pour les ramener dans le droit chemin, il n’est que de densifier un peu le bon usage des dispositifs en place. Pour tous les autres, les plus nombreux, qui subissent le non travail comme une mise à l’écart, est-il vraiment sérieux de les stigmatiser, de les désigner comme des nantis d’un système de solidarité qui serait par trop généreux ?
Ceux qui pensent comme ça, n’ont sans doute jamais connu le coup de massue d’un licenciement, le regard torve d’un banquier qui refuse tout crédit à un allocataire chômage, l’impossibilité de nourrir le moindre projet quand on ignore si on retrouvera un travail et un revenu stable demain, dans un mois ou dans un an ?
Imaginer toucher aux règles de l’indemnisation chômage pour rassurer ceux qui ont un travail, c’est oublier que les mêmes ont peut-être été privés d’emploi par le passé, ou seront peut-être victimes d’un revers économique du marché dans quelques mois. Quel Français n’a pas dans sa famille, dans son environnement immédiat connu une femme ou un homme courageux et loyal envers son employeur, soudain privé(e) de travail et ne devant sa survie économique qu’au précieux chômage, avant de rebondir? Ou pas.
Depuis une décennie ou deux, les grands groupes ne jurent que par l’externalisation. Au motif que ce n’est pas le coeur du métier, on fait appel à des prestataires extérieurs pour de nombreuses tâches comme l’entretien, le ménage, la sécurité… Des entreprises sous-traitantes moins robustes, parfois de simples indépendants voire des micro entrepreneurs qui se retrouvent sur le carreau à la moindre réorganisation stratégique. Ces invisibles qu’on applaudissait pendant la pandémie sont bel et bien revenus à leur modeste condition.
Mais bien sûr, personne n’ira titiller cette stratégie sociale des entrepreneurs qui courent par ailleurs se draper des beaux habits de la responsabilité sociale et environnementale.
Et comment lire le chômage des seniors qui agace particulièrement nos élites tendance quadra, sorties des grandes écoles ? Ces salariés aux cheveux gris, qui ont encaissé depuis les années 90 toutes les réformes numériques, l’accélération des communications et les conversions technologiques à répétition. Les recruteurs ont pour longtemps encore le réflexe de mettre au-dessus de la pile, le profil plus jeune, réputé plus agile, plus malléable aussi.
Tailler dans la solidarité envers les privés d’emploi, c’est pénaliser délibérément à l’aveugle. Tout le contraire d’un projet de société en progrès. A trois mois des élections européennes, c’est renvoyer les enjeux sociaux au rayon épicerie et dérouler le tapis rouge aux candidats qui préfèrent les petites phrases aux grands projets.