L'ÉDITO
par Solène MÉRICLe coût de la virilité
Le 1er mai, sur France Inter, Juliette Binoche pleure à la radio. Elle pleure de joie, de soulagement, parce que 100 personnalités masculines ont signé une tribune disant que non, le harcèlement, les agressions sexuelles, les viols et violences en tout genre contre les femmes, ça n’est vraiment pas acceptable, ni aujourd'hui, ni hier, ni demain. Ouf, enfin, les hommes soutiennent le mouvement #metoo et ses petits !
Ouf, enfin !? Vraiment... ?
Il est vrai qu’il est rageant que ceux qui sont certes acteurs, journalistes, romanciers, scientifiques mais aussi pères, fils, frères, oncles ou grands-pères de femmes et de filles n’aient jamais vraiment levé ni la voix ni le petit doigt, pour dénoncer, avec elles et plus tôt ces violences. Mais qu’est ce que 100 personnes ? Fussent-elles du genre masculin et eussent-elle une petite aura médiatique ? Alors bien sûr saluons l’initiative, ça ne coûte rien. Ces gens-là sont des gens bien, ou en tout cas pourraient avoir de bonnes bases pour l’être. On peut leur reconnaître ça.
Pour autant, la réalité, c'est que dix dizaines de signataires, c’est quasi rien. A moins que ces 100 hommes valent les 400 femmes du milieu littéraire qui ont signé une tribune sur le même thème le 7 mars dernier ? Ou les 600 femmes signataires de la première tribune française post #metoo en octobre 2018 ? Si la réponse est oui, alors nous n’avons vraiment pas progressé.
Ce chiffre 100, qui se veut pourtant sans doute symbolique, l’est davantage par la faiblesse qu’il représente. Et, si on place cette tribune comme une réponse à l’appel courageux de Judith Godrèche lors de son discours au César en février, force est de constater que la mobilisation de cette petite cohorte n'aura pas été si immédiate. Signe peut être que ça n'a pas été si simple, dans des milieux où pourtant les hommes ne sont pourtant pas difficiles à trouver.
Derrière ce chiffre 100, c’est surtout le silence des milliers d’autres que l'on entend encore. Un silence, une relative indifférence aux violences faites aux femmes qui renvoie, plus qu’aux individus, à la société toute entière, et à la manière dont elle élève ses garçons, et pas seulement en matière de respect des femmes.
Lucile Peytavan, historienne spécialiste des droits de la femme et membre du laboratoire de l’égalité, rappelait récemment dans le journal Le Monde, des chiffres qui n'ont rien pour rassurer. Un premier chiffre met dans l’ambiance : 96,3% de la population carcérale en France est masculine. Poursuivons sur la liste des horreurs : les hommes sont auteurs de 99 % des viols, 97 % des agressions sexuelles, 86 % des homicides, 84 % des accidents mortels sur la route, 95 % des vols avec violence… A l’inverse 17 % du total des infractions sont le fait de femmes. Le premier facteur de risque de "mal tourner", c'est donc a priori notre sexe...
Cependant, la « nature » féminine ou masculine, pas plus que la biologie, n'explique ces chiffres. Jusque-là, aucune étude n’a réussi à le démontrer, et pourtant c’est peu de dire que l’humanité aura essayé... Des dizaines d’études en sociologie montrent à l'inverse, "comment les hommes sont acculturés à la violence par la transmission des valeurs de virilité" qui, selon la chercheuse "incite à se comporter en dominant". Des valeurs de virilité qui dans le même temps dévalorisent tout ce qui est dit "féminin".
Si ces chiffres montrent au passage, et une fois de plus, que même s'il faut punir les coupables, la seule menace de la sanction ne résout rien aux problèmes de la violence. Son échec, à l’inverse devrait d'autant plus inciter à la fois la nécessité de protéger plus que jamais la parole des victimes et de mener une véritable politique de prévention, et pas seulement de parade. Cela ferait du bien à l’âme de la société, plus qu’une lettre et 100 signatures qui seront sans doute vite oubliées. Cerise sur le gâteau, cela ferait du bien aussi à son porte-monnaie. Car Lucile Petayen livre un autre chiffre, celui du coût des violences masculines. 95,2 milliards d’euros par an. Et ça aussi les femmes le paient, au moins pour moitié.