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L'ÉDITO

 par Joël AUBERT Joël AUBERT
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20/02/2016

La viticulture girondine et les pesticides: dépasser l’émotion

Donc, la Gironde figure en noir sur la carte de France de l’usage des pesticides. L’opprobre s’est, soudain abattu, sur la viticulture de ce département, et ce n’est pas un hasard qu’elle ait été choisie puisqu’elle est la première région viticole d’appellation de France. Mais, de là à en faire le lieu géométrique de la pollution par les pesticides il ne pouvait y avoir, à l’évidence, qu’un parti pris d’autant plus délibéré qu’il n’échappait à personne que pointer du doigt le vignoble girondin, c’était du même coup désigner les grands Bordeaux. D’ailleurs un détour de ce reportage par le Médoc ne pouvait tromper personne. Des grands vins, en quelque sorte synonymes de prix élevés et donc de possibilité de produire autrement qu’en utilisant les pesticides.... Comme si la viticulture girondine était réductible aux étiquettes prestigieuses. D’ailleurs, dans les appellations les plus huppées, il n’est pas rare de trouver de grandes exploitations où les façons culturales excluent ou limitent l’usage des pesticides, en recourant ici et là – on pense au désherbage — à un travail des sols mécanique qu’il n’est possible d’aborder qu’à la faveur de lourds investissements inaccessibles aux petits vignerons, à moins qu’ils ne réussissent à trouver une Coopérative d’utilisation du matériel en commun (CUMA) près de chez eux.

Car, et cela n’est jamais dit, le plus souvent faute d’être su, quand on appelle à la rescousse la viticulture de grand-papa pour condamner celle d’aujourd’hui, on semble ignorer que la société a bien changé. Le temps n’est plus, à de rares exceptions près de quelques jeunes qui, de façon militante très méritoire, pratiquent les labours par le biais de la traction animale, où l’on décavaillonnait sous le rang de vigne avant, que pioche ou râteau spécial en main, on ne « tire les cavaillons », c’est à dire ce qu’il restait de terre et d’herbe sous les ceps, après le passage mécanique. Un travail harassant en un temps où il existait une main-d’œuvre abondante qui a disparu et qu’on ne retrouvera plus pour ce genre de tâches. Le désherbage, et on peut toujours le déplorer, vu de la ville et même considérer que c’est tout à fait désolant, a pris la place du travailleur et il serait honnête d’en prendre conscience et d’être cohérent quand on désherbe… dans son propre jardin, avec les mêmes molécules.

Mesure-t-on le défi que représenterait pour un petit viticulteur, vendant son vin en vrac quelque 1100 euros le tonneau de 900 litres, et ne se payant même pas au SMIC, l’alternative du passage par exemple au BIO, sans le socle financier et les aides nécessaires ? Ici même, à travers le passionnant témoignage des propriétaires du château Brethous qui ont réussi leur conversion, nous avons mis en évidence le défi de pareil changement. De cette conversion. Quant à l’usage des fongicides de synthèse également vivement dénoncée par « Cash Investigation » il offre, notamment aux petits viticulteurs, la relative garantie d’une récolte que la bouillie bordelaise seule ne peut éventuellement assurer qu’au terme d’un usage souvent répété, dans une région beaucoup plus exposée aux caprices de la météo que ne l’est, par exemple, le vignoble languedocien.

Enfin, ce qui n’est pas dit ou si peu rappelé, les viticulteurs sont conscients des risques qu’ils prennent et sont, chaque jour davantage, et c’est tant mieux, conscients de leur responsabilité sociale. Désormais, ils ne peuvent plus acheter et épandre des produits s’ils n’ont pas suivi une formation spéciale – certiphyto — dont une nouvelle étape, en terme d’évaluation des bonnes pratiques, doit voir le jour. Trente mille agriculteurs et pas seulement viticulteurs l’ont suivi en Aquitaine.

Il convient donc de faire la part des choses et de ne pas accabler une filière et une profession qui, sous le couvert de la responsabilité des grandes marques de produits chimiques, a été désignée, sans ménagement, à une manière de vindicte populaire. Souhaitons que l’émotion ne conduise pas à des gestes irrationnels dont les conséquences pourraient être graves lorsque le temps des traitements arrivera. La viticulture girondine, phare de l’économie régionale, mérite mieux que des violences en rase campagne.

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