L'ÉDITO
par Cyrille PitoisLa bêtise climatique
« Notre Maison brûle, et nous, nous regardons ailleurs, » disait Jacques Chirac lors du IVe sommet de la terre en 2002. Vingt ans déjà et que s’est-il passé depuis ? Admettons que nous regardions moins ailleurs puisque l’incendie qu’évoquait le Président de la République est maintenant sous nos yeux. Nous voyons un peu, parlons beaucoup mais nous n’agissons toujours pas ou si lentement ou si maladroitement.
Cet été 2022 laissera-t-il une empreinte forte dans nos esprits ? Lancera-t-il enfin une dynamique sérieuse pour la recherche de nouveaux comportements et d’usages moins gourmands en ressources naturelles ? Les rapports successifs des chercheurs du GIEC dont le premier remonte à 1990, puis la rédaction d'une convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques en 1992, la condamnation de la France pour inaction climatique, l’avancée chaque année du jour du dépassement de la terre, cette date qui symbolise la consommation effective de l’ensemble des ressources que la planète peut régénérer en un an, les photos saisissantes de lacs et fleuves au niveau anormalement bas et bien sûr ces images dantesques d’incendies majeurs qui dévorent depuis des semaines, des pans entiers de notre patrimoine forestier si chers à la Nouvelle-Aquitaine… On ne peut pas dire que les alarmes ne hurlent pas à nos oreilles.
Pourtant le spectacle ordinaire de notre société continue. Elaboré consciencieusement, brique par brique, depuis les années cinquante en justifiant tout sur la base du progrès technologique, de l’amélioration du confort quotidien, de la mobilité et de la communication à tout va, ce projet collectif s’est avéré terriblement déstabilisant pour les équilibres de la planète et parfois très imaginatif pour produire de l’inutile.
Par exemple le jet ski. Ce petit engin pétaradant qui sert à faire des ronds dans l’eau, trouble la quiétude de la faune et consomme un carburant que d’autres peinent à acheter pour leurs trajets essentiels. Et voilà que le Président de la République éprouve le besoin d’en enfourcher un, pour tracer des sillons improbables dans une réserve naturelle.
Provocation pour certains, faute de communication assurément, symbole d’une catégorie qui ne se sent pas concernée: cet anodin loisirs de vacances est clairement désastreux. Tout comme cette flotte de voitures ministérielles patientant, quelques jours plus tôt, dans la cour de l’Elysée avec le moteur et la clim en marche, en plein soleil. Mais nous sommes tous coupables. Climatisations ou chauffages dans des lieux de vie qui n’en sont pas vraiment, serveurs informatiques qui tournent à plein régime pour nourrir notre appétit incommensurable d’applications parfois utiles, parfois juste funs, arrosage des terrains de golf ou de football, épreuves sportives au Qatar dans des stades poussés comme des champignons et climatisés, défilé de haute couture en plein désert… la liste des non-sens en période de crise climatique est dramatiquement longue et sans cesse renouvelée.
Et comment ne pas s’interroger sur la conversion à marche forcée de notre parc automobile vers le tout électrique ? Déjà l’industrie a mis trente ans à s’intéresser à un autre mode de propulsion, pour avoir le temps d’amortir les usines dans lesquelles elle avait lourdement investi en faveur du diesel. Et voilà que pointe l’âge d’or de la voiture électrique. D’évidence, elle est plus vertueuse pour l’air que l’on respire dans nos villes, mais la fabrication de sa batterie est pénalisée par une empreinte carbone calamiteuse. Les grands patrons de Volkswagen et Stellantis ont déjà émis plus que des doutes, arguant qu’un moteur hybride peut être aussi vertueux et beaucoup moins cher pour les classes moyennes. Mais la politique européenne a déjà fixé un calendrier d’interdiction de vente de véhicules thermiques d’ici 2035.
Encore une décision politique, un affichage d’intention, derrière lequel se cache un mépris pour les enjeux climatiques en même temps qu'une maladresse sociale. La même bêtise que la sortie en jet ski présidentiel en Méditerranée.