L'ÉDITO
par Joël AUBERTD’une manif à l’autre, la France est en panne d’horizon
En attendant, méfions nous des apparences, de ces agrégations médiatiques précipitées et tentons de comprendre cette France qui n'est pas réductible à une somme de manifestations dont l'origine et la nature ne sont pas, loin s'en faut, les mêmes. Commençons par celles qui ont vu le jour, ces dernières heures, dans notre sud ouest. Celle des chevaux et des chevaux vapeur.
Sur les quais de Bordeaux, la hausse annoncée de la TVA n'avait pas bonne presse, ce vendredi 29 novembre, mais la balade des poneys avait un tour aussi résolu que bonhomme, histoire de montrer que le saut de TVA prévue, de 7 à 20% était bien un saut d'obstacle, insupportable pour un secteur qui, c'est indiscutable, s'est démocratisé. Mais au fait était-il inéluctable ? Une directive européenne dont l'interprétation est tout sauf claire l'aurait légitimé. Voire... car aux dernières nouvelles les ministres concernés, de l'agriculture, du sport et du budget lancent un appel à Bruxelles comme s'il fallait se dédouaner de trop d'empressement à augmenter l'impôt.
Quant aux chevaux vapeurs, ceux qui tournaient au ralenti sous la cabine des poids lourds, du côté de l'autoroute A 10, de la rocade bordelaise comme de Biarritz et Bayonne, ils menaient campagne contre l'écotaxe. Notons, d'ailleurs, que là aussi ce sont par priorité les PME des transports routiers qui sont en première ligne, qu'ils ont l'Europe dans le collimateur et, qu'au fond, ils n'étaient pas fâchés de bloquer le trafic de leurs homologues venus de la péninsule ibérique ou du nord de l'Europe. Ils auront sûrement trouvé quelque argument supplémentaire dans l'annonce du ministre de l'agriculture, vite corrigée, qui renvoyait l'application de l'écotaxe... à 2015.
Enfin, considérons; comme il convient désormais de le faire, le mouvement des « bonnets rouges » comme l'expression d'un réveil identitaire qui se confirme mais ne résout rien. Les Bretons qui furent les enfants gâtés de la République comme nous l'écrivions ici le 15 septembre (D'une région à l'autre, Quand la Bretagne doute d'elle-même) sont si fiers de leurs belles autoroutes nationales gratuites qu'ils n'en démordront pas... Mais le moment va venir où, à force de mélanger les genres, ils vont oublier de remettre leur modèle de développement à plat. A l'heure où la PAC change de cap, ils vont par exemple devoir repenser une part importante de leur agriculture. D'autres l'ont fait, le font et s'en sortent mieux.
Ces France(s) en colère, très diverses, ont en commun, à y regarder de près, le sentiment que l'Europe leur complique la vie et que leur gouvernement ne fait rien pour l'en empêcher. Cette explication, extraordinairement simpliste et dans l'air du temps, ne peut pas faire l'économie d'un manque flagrant de mise en perspective, de mise en histoire, de ce qu'il faut bien appeler le destin d'une nation. La nôtre. La France est en panne d'horizon.
Prisonnier d'un slogan « le changement c'est maintenant » qui n'a vécu que le temps d'une campagne électorale, François Hollande ne parvient pas à donner du pays la vision que l'on attend d'un chef d'Etat. Inverser la courbe du chômage, ça ne peut pas être la parole qui porte loin; chacun comprend bien qu'on est, pour longtemps, dans les aléas de la reconstruction d'une économie aux bases solides. Sans doute faut-il avouer, une bonne fois pour toute, que la crise était beaucoup plus profonde qu'on ne l'imaginait, qu'elle réclamait des sacrifices, que le pays les consent bien tard mais que comme il est impossible d'y échapper il faut faire œuvre de plus de justice, fiscale assurément, mais aussi territoriale... Pensons à ces villes moyennes et petites, ici et là, qui souffrent et dont l'économie ne tient souvent qu'à un fil et que l'on traverse, l'âme en peine. Qui s'en préoccupe à l'heure où on ne pense qu'à renforcer les métropoles à vocation européenne. Là aussi, nous manquons de perspective et, pour tout dire, d'un Etat stratège qui s'appuierait sur les Régions.
Il faut, de toute urgence, rouvrir le chantier de l'aménagement du territoire et l'axer, comme l'Aquitaine le propose, autour de la relance organisée de la production.