Sacha Houlié se dit « fondamentalement opposé » à la technique du tracking


Pierre Louis Tanzer

Sacha Houlié se dit "fondamentalement opposé" à la technique du tracking

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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 09/04/2020 PAR Lucile Bonnin

@qui ! : Pourquoi vous êtes vous prononcé contre le développement de cette application ?

Sacha Houlié : « Je peux exposer 4 arguments pour expliquer ma position. Mon premier argument est civilisationnel. Différents pays ont déjà mis en œuvre le tracking (géolocalisation par GPS) et le tracing (contact établi entre deux téléphones via bluetooth). La Chine et la Corée du Sud ont mis en place le tracking et Singapour et Israël ont mis en place le tracing. Ce sont différentes méthodes. Ces sociétés qui sont principalement asiatiques ont une grande différence par rapport à notre société : elles se fondent sur un collectif indistinct et qui gomme toutes les différences individuelles. Or, nous, dans notre société, nous promouvons les différences et les distinctions. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on reconnaît des droits à des minorités, on lutte contre les discriminations, etc. On accepte toutes les différences entre nous et nous sommes une société multiculturelle. Nous ne pouvons donc pas nous dire : « ils l’ont fait, donc nous allons le faire ». Le deuxième élément repose sur le fait que l’on ne sait pas si cette méthode est efficace. Moi, je dis qu’elle ne le sera pas. D’abord parce que, de l’aveu même des ministres Olivier Véran et Cédric O dans un article du Monde publié hier (NDLR : mercredi 8 avril), 13 millions de personnes ont des difficultés avec l’informatique. Cela veut dire par conséquent qu’on excluerait un quart de la population de ces dispositifs. Cette proportion de la population correspond probablement à ceux qui sont plus âgés, et donc, les plus vulnérables. En plus de cela, il faudrait que cela soit basé sur la volontariat car les lois sont suffisamment protectrices aujourd’hui pour que le consentement soit volontaire, libre et éclairé. Cela veut dire que toutes les personnes qui y auraient recours ne représenteraient fatalement pas toute la population. L’efficacité est donc encore plus limitée. Par ailleurs, cela pose une question car cela veut dire qu’une personne pourrait être jugée comme étant un « mauvais citoyen » parce qu’elle refuserait de se soumettre volontairement à la chose. Troisième élément, personnellement, je ne souhaite pas vivre philosophiquement dans ce genre de société. La façon dont on peut collecter des données sur nous sur Internet me gêne déjà en soit. Ce qui est gênant pour les GAFA (NDLR : les géants du web que sont Google, Apple, Facebook, Amazon), ça l’est aussi pour l’Etat. Le suivi numérisé est un problème en soi. La question de l’asservissement par l’outil, c’est un problème en soi. Dire qu’il faut absolument le faire car les scientifiques le disent, c’est un problème en soi. Enfin, en discutant avec les ministres, un dernier argument m’est venu. Trouver la solution et voir à posteriori si c’est bien ou pas n’est pas la bonne démarche. Il faut se poser la question de voir si c’est efficace avant la mise en place. Je ne sais pas non plus quels intérêts ont les personnes qui vont mettre à jour ce logiciel par exemple. Tout cela pose beaucoup de questions et me conduit à dire que je suis fondamentalement opposé à cette technique. »

@qui ! : Si cette mesure, envisagée pour encadrer le déconfinement, est inenvisageable pour vous, quelles autres alternatives sont possibles ?

S. H. : « Aujourd’hui, je pense que nous ne sommes pas en mesure d’envisager le déconfinement. Si on se place dans la situation d’envisager en effet un déconfinement il faut d’abord se poser des questions : quels sont les tests dont on dispose pour en savoir plus sur le virus ? Est-ce que nous savons si le virus est transmissible une fois qu’on a été guéri ? En terme d’épidémiologie, il faut d’abord en savoir plus. Ensuite, il faut réfléchir au déconfinement par zones, ce qui est tout à fait possible. Il faut aussi s’interroger sur l’ordre : peut on faire un déconfinement par population plus ou moins sensibles ? Je pense qu’il y a beaucoup de modalités techniques et opérationnelles à mettre en œuvre. Concernant le tracking ou le tracing, c’est une solution qui a souvent été utilisée au début de l’épidémie et non à la fin dans le cadre d’un déconfinement. Même sur cette question purement technique, je pense que la solution envisagée est vaine. »

@qui ! : Que dit la crise sanitaire que nous traversons de notre société ?

S. H. : « Nous sommes obligés d’admettre un certain nombre de restrictions pour nos libertés. Le confinement en est la plus symbolique expression. Cela doit être, comme toute police administrative, strictement nécessaire et proportionné aux besoins. Ce point est essentiel car le pouvoir de l’administration ne peut s’exercer que dans ce cadre-ci. Cela dit aussi qu’il appartient absolument aux démocraties libérales d’être à la hauteur de la crise. Faute de quoi, ce serait les régimes autoritaires qui seraient les mieux capables de gérer la crise et cela serait, finalement, un drame pour la façon dont on construit la société. Je crois sincèrement que toutes ces questions, loin de nous rapetisser, loin d’être une polémique, elles font grandir. Je n’adresse aucun reproche aux ministres d’évoquer cette méthode, par contre, je pense que c’est essentiel qu’ils entendent les voix dissidentes. L’important est ensuite d’arbitrer en fonction. C’est démocratiquement très sain de parler de ce débat. »

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