La Gironde en pleine guerre des dotations


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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 13/11/2018 PAR Romain Béteille

Guerre de tribunes

Le samedi 13 octobre dernier, environ 600 personnes s’étaient réunis à Bordeaux dans l’immeuble Gironde du Conseil départemental pour exprimer, comme cela avait été le cas plus tôt à Marseille, un refus de la fusion entre cinq métropoles et leurs départements respectifs, dont Bordeaux. Depuis cette date, rien n’a vraiment changé. On peut même dire que le bras de fer entre les collectivités locales et l’Etat a empiré. Ce lundi 12 octobre, le Conseil départemental de la Gironde ouvrait en plénière son débat d’orientations budgétaires, un moment censé définir la trajectoire financière à venir. Cette année, il a été débattu avec une ambiance légèrement amère. « Nous sommes dans le brouillard, c’est pourquoi nous ne débattrons que des orientations pour 2019, ce qui n’est pas le cas habituellement ». Les grandes orientations sont restées les mêmes : un milliard d’euros d’investissement pour la première mandature de Jean-Luc Gleyze, un « niveau soutenable » de désendettement et la maîtrise des dépenses de fonctionnement.

Derrière ce jargon très technique se cache surtout un bras de fer politique entamé depuis plusieurs mois entre les collectivités locales et l’Etat sur leurs missions et les financements respectifs alloués pour permettre leur exécution. D’un côté on estime la confiance rompue, de l’autre (celui de la nouvelle ministre Jacqueline Gourrault), on souhaite de nouvelles relations avec les collectivités locales. Mais après le boycott de la conférence nationale des territoires par trois associations d’élus, le divorce paraît bien consommé. La preuve : c’est aujourd’hui sur le partage des biens que la négocation bloque. Quelques jours avant le congrès des maires et des présidents d’intercommunalités de France du 19 au 22 novembre prochain (et juste après le lancement d’une campagne de communication… agressive de l’Association des Maires de France), c’est au tour de la Gironde de réexprimer son désaccord avec la politique menée par le gouvernement Macron. Le 9 novembre dernier, Jacqueline Gourault a clôturé le 88ème congrès de l’ADF (Association des départements de France) aux côtés du nouveau ministre des collectivités territoriales, Sébastien Lecornu. Ont-ils convaincu ? Pas vraiment.

Les marcheurs devant, les frondeurs derrière

« Nous attendions un geste de l’Etat un peu fort sur le reste à charge des allocations individuelles de solidarité (RSA, APA et APCH). Il avait été question de 250 millions, on nous les a proposés en deux parties. 115 millions qui font partie d’un fonds de stabilisation, ce sont des financements pour les départements les plus fragilisés, ce qui veut dire que nous ne sommes pas forcément les plus concernés puisque nous assurons déjà de la péréquation de façon importante. 135 millions viennent s’ajouter, ils sont liés au plan pauvreté annoncé par Emmanuel Macron. La logique ici, c’est de dépenser plus pour gagner plus. On veut bien nous accorder 135 millions d’euros mais il va falloir engager plus d’actions en matière de lutte contre la pauvreté. Au final, ce n’est pas le compte par rapport à ce que nous attendions au départ », a réaffirmé ce lundi le président du Conseil départemental Jean-Luc Gleyze (PS). « L’Etat veut qu’il y ait solidarité financière entre les départements, elle est estimée à 250 millions d’euros, tout ça sans pouvoir augmenter les droits de mutation. C’est plutôt une bonne nouvelle pour les contribuables et ceux qui achètent ou vendent mais pas pour nous puisque c’est une perte sèche pour les collectivités. Là où l’Etat est assez facétieux, c’est qu’il propose que nous définissions nous-mêmes les modalités de répartition entre les départements, ce qui est une manière de diviser pour mieux régner », a-til estimé.

La Gironde, comme d’autres départements, continue à la jouer frondeuse : lors des négociations avec les collectivités sur l’évolution encadrée des dépenses de fonctionnement, le département avait refusé de jouer le jeu. Aujourd’hui, il dénonce une contrainte imposée par la préfecture, dont il a décidé d’attaquer l’arrêté cadrant les modalités du pacte financier devant le tribunal administratif. « Des départements qui bénéficient de la même dynamique démographique que nous se sont vus accorder un taux de 1,35% via l’arrêté du préfet. C’est une inégalité de traitement devant la loi, d’où ce recours devant le tribunal. Le Finistère l’a déjà fait, la Seine-Saint-Denis aussi. Le fait de ne pas signer le pacte financier fait que nous avons un malus que n’ont pas les autres. Ce malus va forcément s’appliquer en regardant si nos dépenses de fonctionnement dépassent le taux autorisé, ce qui arrivera puisqu’on n’a eu aucune renégociation sur le traitement de nos dépenses. La Loire Atlantique est à 1,35%, ils ont à peu près les mêmes logiques de croissance démographique que nous, il est donc anormal que nous ne soyons pas traités de la même manière ».

Décisions collectives

Ce que les départements ont plusieurs fois dénoncé (Gironde y compris), c’est ce qu’ils considèrent comme un reste à charge de l’Etat, à savoir les allocations individuelles de solidarité ou AIS. Les 115 millions d’euros promis par le gouvernement pour aider les départements à les financer n’a visiblement pas vraiment plu. « Il ne nous a pas été annoncé le retrait des AIS de ce pacte financier. Or, les AIS ne sont pas des dépenses de fonctionnement mais des dépenses d’intervention. La loi prévoit un cadre qui donne un droit, par exemple à l’APCH, et lorsqu’il est acquis nous devons payer. Ces AIS devraient donc être exclues ». Ce qui inquiète d’autant plus les départements, c’est la hausse constante du montant octroyé par ces aides : 21,6 millions d’euros pour le RSA en Gironde au mois d’octobre, « un record » selon la collectivité, « dû en partie à la fin des emplois aidés… que l’on retrouve au RSA ».

Bref, pour les présidents des départements, le compte n’y est pas, y compris pour le sensible dossier des mineurs non accompagnés, dont la prise en charge est compétence départementale depuis trois ans. Même si l’évolution du coût de leur accueil a été exclu de la contractualisation nationale, les départements dénoncent un défaussement. « 141 millions d’euros, c’est ce qu’à proposé l’Etat au titre de la prise en charge des mineurs non accompagnés lorsqu’ils sont sous le giron de la protection de l’enfance. Sur 104 départements, ça fait un peu plus d’un million d’euros chacun. Ca veut surtout dire que la contribution de l’Etat, qui est de 14,8% du coût réel de ces MNA passerait à 17%. Il manque toujours 83% que nous assumons ». En Gironde, environ 900 enfants sont concernés sur les 4613 enfants inscrits à l’Aide Sociale à l’Enfance. Et autant dire que les propos de la garde des sceaux Nicole Beloubet sur la protection de l’enfance ne rassurent pas. « La protection de l’enfance n’est pas le problème des départements. Un certain nombre d’enfants relèvent de problèmes psychiques lourds qui nécessitent une prise en charge sanitaire de l’ARS (Agence Régionale de Santé). Faute de places dans les établissements adaptés ou de prise en charge par des professionnels, c’est nous qui assumons l’accompagnement de ces enfants qui mettent en difficulté les MDSI (Maison Départementale de la Santé et de l’Insertion) gérées par des associations et nous coûtent quelques millions d’euros supplémentaires », précise Jean-Luc Gleyze, ajoutant qu’il a adressé un courrier plutôt salé à la ministre de la santé à ce sujet, pour l’instant resté sans réponses.

La « déception collective » dans les rangs des collectivités locales se retrouve par ailleurs confrontée à un flou politique toujours présent autour du financement de l’arrêt de la taxe d’habitation. Pour les premières, pas question de toucher au foncier bâti des départements au risque de renforcer un sentiment d’abandon de la politique de décentralisation. « La part sur laquelle nous pouvons agir via l’augmentation des impôts, donc en ce qui nous concerne le foncier bâti, c’est 23% de nos recettes aujourd’hui. C’était 41% en 2008. Si on nous supprime le foncier bâti, nous passons à 2% de possibilités d’action. Ca veut dire qu’on asphyxie lentement les départements et qu’on les met sous perfusion de l’Etat. Le jour où on réduit le débit de la perfusion, nous aurons forcément moins de recettes pour assumer nos compétences ». Si l’ouverture au dialogue prônée par Jacqueline Gourault a été saluée, les annonces concrètes ont donc été accueillies bien plus froidement. En attendant, le budget des collectivités pour 2019 a bien été adopté début novembre sous les termes de la « stabilité » et de la « continuité », ce qui est loin d’être partagé par les différents courants de l’opposition à la majorité gouvernementale. Face à la fronde, le lobbying départemental a déjà commencé : en plus de la campagne d’affichage proposé au niveau national, la Gironde a exprimé son souhait d’organiser la première édition d’une journée baptisée « solutions solidaires » pour mettre en avant « les innovations portées par les départements de France (tous invités) en matière de solidarité ». Cette nouvelle grand-messe politique se tiendra les 20 et 21 février au Pin Galant, à Mérignac, et un site web sera proposée dès la fin de la semaine pour permettre au public de déposer leurs contributions écrites. C’est peut-être la cerise sur le gâteau, après les propositions avancées par Emmanuel Macron en septembre lors de la présentation de son « plan pauvreté », dont ce fameux « revenu universel d’activité », saluée par le président du Conseil départemental de la Gironde comme un « bon signe ». Mais cet avis favorable ne trompe personne après le dépôt en octobre d’une proposition de loi pour l’expérimentation du revenu de base, qui devrait être examinée à l’Assemblée en janvier. « Il serait intéressant qu’il nous permette de tester le revenu de base en même temps pour voir quelle est la démarche la plus vertueuse ». Chacun sa route, chacun son chemin…

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