Pascale Dewambrechies, l’esprit libre


RB

Pascale Dewambrechies, l'esprit libre

Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 10 min

Publication PUBLIÉ LE 27/11/2016 PAR Romain Béteille

« Nous n’avons pas de chemins tracés d’avance. Le monde n’est plus le même, personne n’y peut rien, il faut essayer de s’adapter » disait Simone de Beauvoir dans « Les mandarins ». Le parcours de Pascale Rousseau Dewambrechies ne pourrait guère se rapprocher davantage de cette idée. Depuis deux ans, elle est Présidente du comité Bordeaux-Atlantique de la Fondation de France, organisme privé et indépendant venant en aide à des personnes en difficultés via le montage de projets dans de multiples secteurs (l’éducation, le social, la culture, la science, etc.). C’est un travail qui la passionne, elle concède volontiers « avoir l’impression de ré-entamer une carrière professionnelle mais en tant que bénévole. Je retrouve le monde de l’entreprise, même si c’est un organisme à but non lucratif ». Pourtant, il n’est qu’à mi-temps. Elle cède l’autre moitié à l’écriture. Son premier roman, « L’effacement », est une histoire d’amour, de vie et de désir qui lui a valu trois prix (ceux du festival du premier roman de Chambéry, du Festival de St-Estèphe et du Métro Goncourt), et auquel elle compte bien donner un descendant, « Juste la lumière », au printemps prochain. Pour elle, il s’agit là d’une passion qui la suit depuis très jeune et d’un carrefour important. « Avec l’écriture, j’ai l’impression que j’ai vraiment trouvé ma vraie vie, que je ne renoncerai jamais. C’est devenu une de mes raisons de vivre. J’ai atteint un pays dans lequel je me plais et dans lequel j’ai envie de rester. C’est un but qui ouvre des horizons nouveaux ». Pour le reste, Pascale a déjà vu pas mal d’horizons. 

C’est dans celui de son bureau de la Fondation de France qu’elle nous reçoit. Une pièce sans murs, sans portes, un mobilier sobre (car relativement récent) et ouvert avec une vue imprenable sur le Grand Théâtre de Bordeaux. A 63 ans et écrivain sur le tard, Pascale garde toujours une certaine prestance. Une coupe un peu à la garçonne telle qu’on la voit aujourd’hui sur pas mal de stars hollywoodiennes, une tenue sobre partagée entre le noir et le blanc et une certaine tenue dans le ton qui lui ont plusieurs fois valu d’être rangée dans la case des femmes « bon chic bon genre », ce dont elle réfute l’idée avec malice. « Ca me plaît bien que l’on me prenne pour quelqu’un de BCBG et qu’on se rende compte que je ne le suis pas du tout, ça m’amuse. Je suis un peu plus atypique que ça, mais j’aime beaucoup que ça ne soit pas immédiatement lisible par tous », dit-elle avec assurance. Si on devait résumer la première impression que nous laisse sa manière de parler, on dirait probablement qu’elle a une « voix de radio », une mise en voix et un rythme assez singulier, sans doute l’héritage de son passage par le Cours Simon, à Paris. Elle a en tout cas un timbre particulier et des airs parfois tranchés.

Éloge d’une cultivée

Née en Allemagne près de Mayence, deuxième d’une famille de trois enfants d’un père militaire engagé dans les forces françaises d’occupation et d’une mère secrétaire de direction, elle est très tôt habituée à changer régulièrement de cap. « On a vécu un peu partout, au gré de ses affectations. Dans l’Est de la France, dans les Pyrénées… A un moment donné, on s’est installés dans la région parisienne puis le Sud-Ouest, à Anglet. C’était particulier, pas toujours facile parce qu’il fallait quitter ses amis. Mais ça m’a certainement donné un certain sens de l’adaptation », s’avoue-t-elle avec le recul. Déjà, très jeune, Pascale est multi-cartes. Après un an à Sciences Po, elle arrive sur les planches, mais le réel la rattrape vite. « Des raisons financières et personnelles ont fait que j’ai eu envie de me « caser ». Il y avait beaucoup de comédiens et très peu d’élus, j’ai décidé de mettre une corde à mon arc et d’avoir un métier. J’aurais pu passer un autre concours, j’ai passé celui là ». Celui-là, c’est l’École Normale, qui la transforme en professeur de français dans des établissements du Grand Parc et auprès d’enfants de gens du voyage à Labarde durant deux ans. Très bonne élève, elle se cultive autant avec les grands classiques qu’avec les figures du nouveau roman. « La littérature, l’écriture, la lecture, tout ce qui est autour de ce qui peut être raconté, c’est un virus qui m’a prise très jeune ».  

« J’allais énormément au cinéma, plutôt celui d’art et d’essai que je découvrais. On était tellement avides sans réseaux sociaux, sans toutes ces chaînes de télé, on allait voir beaucoup de films », continue-t-elle. Assidue dans tout ce qu’elle fait, Pascale est décrite par son entourage comme une femme passionnée qui fait les choses à fond. Un autre fil rouge, en revanche, ne la quittera jamais, même si elle n’en fera son métier que bien plus tard. « La meilleure preuve que je puisse donner de mon assiduité, c’est l’écriture. Petite, je disais que quand je serai grande, je serai écrivain. J’écrivais des poèmes, un journal, des nouvelles, je participais à des concours. J’adorais ça. Ma vie professionnelle m’a amenée vers de nombreuses pistes que j’ai toujours explorées avec passion mais l’écriture est restée comme un fondement dans ma vie, quelque chose de permanent ».

Plusieurs cordes à l’arc

Sa carrière, justement, parlons-en. Touche-à-tout, Pascale a toujours eu l’impression qu’il ne lui faudrait pas assez d’une vie pour faire tout ce dont elle avait envie. Elle qui ne supporte pas de ne rien faire a souvent trouvé des débouchés totalement inattendus, et de multiples circonstances l’ont aidée dans son chemin, tout en avouant toujours « trouver de l’intérêt » dans chaque case où elle s’est glissée, avec la facilité d’un bagage littéraire et culturel évident. Jamais engagée dans une association avant la Fondation de France, elle a en revanche levé le poing plus que de raison lorsqu’il fallait battre le pavé pour les mouvements féministes ou contre la guerre du Vietnam. « Révoltée, je l’ai toujours été. C’est sain, ça maintient en vie. Je pourrais redescendre dans la rue pour la condition de la femme, parce que je pense qu’encore aujourd’hui, elles sont en danger. Mais j’aime les gens qui se battent, qui ne baissent pas les bras », dira-t-elle. Elle milite depuis de nombreuses années en faveur de l’ouverture aux autres, de l’altérité, et d’un féminisme sans barrières : « j’avais des amies mères au foyer mais je ne me suis jamais dit que leur vie était ennuyeuse. Mon féminisme, c’est l’idée que chaque femme puisse faire ce dont elle a vraiment envie ». Son mari, elle l’a rencontrée au lycée, mais sans en dire trop, elle déclare que chacun a eu une vie avant qu’ils ne se retrouvent. Car oui, visiblement, Pascale aime les carrefours. 

Son statut de professeur change vite, et c’est à l’occasion d’une année sabbatique qui n’en est pas vraiment une qu’elle rencontre un nouveau tournant. « Je voulais revenir pour des raisons sentimentales sur la côte basque. J’étais célibataire, sans enfants. Les mutations étaient très difficiles. J’ai pris une année sabbatique, mais il n’était pas question pour moi de ne pas travailler. J’ai croisé une amie de classe que je n’avais pas vue depuis longtemps qui était dans l’industrie pharmaceutique en tant que déléguée médicale. J’ai parcouru les pages de petites annonces dans l’Express à un moment où le secteur recrutait énormément. J’y suis restée 18 ans ». Pascale n’est pas vraiment sévère, mais elle coupe parfois court. Comme lorsqu’elle dit avoir quitté le secteur par choix personnel et refus d’une mutation qui l’aurait obligée à se partager entre sa vie de famille et son métier. Au milieu des années 90, au moment des grandes fusions où les lobbys pharmaceutiques ont de plus en plus d’influences sur le corps médical, elle avoue que les relations se dégradent, et que la situation lui pose « quelques problèmes éthiques ». Puis elle dévie, préférant parler de l’assurance que le management d’équipes lui a apporté. 

Sévére ? Pas jusque là. Déterminée ? Sans aucun doute. Autoritaire ? Oui, mais dans le bon sens. « On m’a souvent dit que j’avais une autorité de personne et non pas de fonction. Je ne cherche pas à m’imposer parce que j’ai un gallon sur l’épaule gauche, je défends bec et ongle mon point de vue. Si je me rends compte que je ne pourrais pas réussir à aller vers ce à quoi je tends, je sais renoncer. Je préfère quelque chose de parfait à quelque chose d’approximatif ». Quand quelque chose ne lui plait plus, elle change de case à l’envie et avec une certaine aisance. Elle utilisera cet atout après dix-huit dans de métier pour monter sa propre entreprise dans le domaine aujourd’hui florissant de l’oenotourisme au moment où le secteur est encore très timide. Son mari, alors tout fraîchement ancien directeur du cinéma (après qu’ils aient ensemble dirigés le ciné-club du lycée) d’art et d’essai de Bègles, « Le Festival », aujourd’hui consacré au cinéma d’animation, prend un poste de négociant en vin dans une société dont il deviendra le directeur. Elle s’engouffre dans la filière avec l’intérêt d’une étudiante plongée dans un bouquin passionnant. « Ca me plaisait de monter ma propre entreprise, c’était un nouveau challenge. Je travaillais avec des entreprises américaines, des clients japonais et des particuliers. On avait des handicaps, l’infrastructure hôtelière n’était pas celle qu’elle est aujourd’hui et j’ai perdu beaucoup de clients à cause de ça. J’ai par contre été parmi les premiers à les faire entrer directement dans les châteaux. Ca a duré jusqu’en 2007 et puis j’ai commencé à me rendre compte que j’avais un peu fait le tour de la question. J’ai décidé à ce moment là de me consacrer uniquement à ma passion, celle qui a sous-tendu toute ma vie ». 

Le dernier carrefour ? 

Pascale est de toutes les expos, films, évènements : elle a le profil d’une éclectique branchée. Contrairement au cliché de la littéraire qui déteste l’exercice, elle a aussi derrière elle un sérieux bagage sportif : tennis, équitation, volley-ball et autres sports d’équipe. Comme dans tout le reste, elle trouve elle-même ses propres objectifs à atteindre. Jusqu’au moment où le goût des mots rattrape tout le reste. Elle participera « de manière assidue » à des cours d’écriture pendant trois ans, sera bénévole à la radio RCF autour de sa passion de cinéphile, chroniqueuse pendant un temps à France Bleu Gironde autour du vin, créatrice avec un groupe d’amis de l’association « Escale, des artistes et Bordeaux » (dont la prochaine exposition aura lieu en mars à la Station Ausonne) et petite main quotidienne d’un blog de cinéma aujourd’hui disparu, heureux prétexte pour regarder une dizaine de films par semaine et rédiger des critiques didactiques plutôt par désamour de la confrontation. Cette longue liste n’est pas anodine. Elle permet de voir, au travers de ses passions, un peu plus loin qu’une simple lettre de motivation sur un coin de table. 

Le carrefour de l’écrivain est donc son dernier, d’après ce qu’elle a l’air de croire. Elle range dans les grands moments de sa vie le coup de fil de sa première publication, aux côtés de son mariage ou de la naissance de ses deux filles, tombées dans le chaudron de la culture quand elles étaient petites et qui, bien que suivant des chemins différents de leur mère, restent dans le même giron. On pourrait s’étonner qu’elle se soit décidée à prendre la plume aussi tardivement, elle n’en trouve nulle occasion. « On peut passer sa vie à écrire sans jamais publier. Un jour, j’ai arrêté mon activité professionnelle pour m’y consacrer. Comme disait Virginia Woolf : « pour écrire, une femme doit avoir une chambre à soi et cinq cent livres de rente ». A un moment donné de ma vie, je me suis donné les moyens d’avoir les deux ». Retour à la case départ. La Fondation de France, c’est son premier réel engagement associatif. « La déléguée générale voulait que je sois ambassadrice, elle était en même temps à la recherche d’une présidente. J’ai immédiatement mis en oeuvre des actions : j’ai organisé des dîners, des rencontres pour faire connaître la fondation. J’ai proposé quelques noms, je n’avais jamais pensé que ça pouvait être moi même si en discutant, je me suis rendu-compte que j’en avais très envie ». Théoriquement, elle peut renouveler son mandat de quatre ans une seule fois, et elle semble bien en avoir envie, visiblement flattée de pouvoir y apporter quelque chose.

Elle considère, à l’entendre faire profession de foi, que l’écriture est une libération. De même que les rencontres qu’elle est amenée à faire grâce à elle, comme ces détenus de la prison d’Aiton, tout près de Chambéry, pour une séance de lecture de son premier roman. « Un prisonnier m’a dit que quand il lisait, il n’y avait plus de murs autour de lui. Je me suis dit que si je pouvais juste écrire pour cette seule personne, j’aurais réussi ». Femme de cultures, femme de combats, femme de convictions, Pascale Dewambrechies est de celles que la reconversion professionnelle n’ont jamais effrayé. Elle nous a dressé quelques moments des trois, même si elle en a sans doute oublié d’autres. Le deuxième roman sera une date importante pour elle. A la croisée de tous ces chemins, ni nostalgie ni regrets, sauf peut-être celui de ne pas être un chat pour pouvoir disposer de huit vies supplémentaires. En guise de dernier chapitre, autorisons nous une ouverture. On l’a dit, Pascale Dewambrechies est à la fois une littéraire et une grande sportive. Mais s’il y a bien un sport qu’elle n’aime pas, c’est l’endurance, un paradoxe quand on sait que toute sa vie à l’allure d’une course de fond. Elle nous dira pourquoi avec un sourire malicieux aux lèvres. « Je déteste le jogging, parce que je ne cours pas pour rien ».

 

Pascale Dewambrechies, l’esprit libre from Aquipresse on Vimeo.

Enregistrer

Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Laissez vos commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

On en parle !
À lire ! MÉTROPOLE > Nos derniers articles