Pascal Lafargue, président d’Emmaüs 33 : « On vit, on meurt. Entre les deux, on est libre de faire des choses »


Drôle d'endroit pour une rencontre, même « d'automne » : un samedi à 10 h 30, dans une pizzeria sous le pont d'Aquitaine à Lormont, tout près du marché de la place Aristide Briand qui peine à trouver son rythme de croisière... Justement, l'idée est d

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Pascal Lafargue, président d'Emmaüs 33 : « On vit, on meurt. Entre les deux, on est libre de faire des choses »

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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 08/12/2008 PAR Vincent Goulet

La salle de la pizzeria Canzone où a lieu la rencontre, donne directement sur les flots gris de la Garonne. Pascal Lafargue s’amuse de cette vue : il est né juste en face, de l’autre côté du fleuve, à Bacalan. 50 ans plus tard, le voici à Lormont où il venait enfant jouer au rugby, présenter son premier livre, un récit sur son engagement auprès de l’abbé Pierre et des compagnons d’Emmaüs Gironde. Pour lui, le besoin d’agir s’est révélé tôt : « En 1973, j’avais quinze lorsque Salvador Allende a été assassiné au Chili. J’ai soudain pris conscience que j’étais un être collectif ». On se construit et on existe par les autres, il faut donc s’engager auprès des autres. Reste à trouver comment . Le livre « Rencontres d’automnes » raconte ce cheminement, depuis un premier engagement au parti socialiste où il ne trouve pas sa place, puis la rencontre décisive avec l’abbé Pierre en 1989 jusqu’aux prises de responsabilité dans le mouvement Emmaüs où il s’oppose avec Martin Hirsch, l’actuel haut commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté.

Hirsch-Lafargue : deux visions d’Emmaüs

Rencontres d'automne sur les chemins d'Emmaüs
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Tout oppose les deux hommes qui ont pratiquement le même âge : Martin Hirsch est un « héritier ». Fils de haut fonctionnaire, énarque, conseiller d’Etat, il connaît bien les rouages du pouvoir. Pascal Lafargue, lui, est issu d’une famille populaire et a mis du temps à trouver sa voie, finançant ses études de droit en travaillant dans le bar de son frère où il finissait parfois ses nuits en jouant au poker. Ils ont surtout chacun une vision très différente d’Emmaüs : «Martin Hirsch est un homme brillant, bon organisateur mais pour lui le système doit être pyramidal, alors que pour moi, Emmaüs est d’abord un mouvement de militants : la dynamique provient du terrain, dans un esprit assez libertaire, surtout chez les salariés de base », explique Pascal Lafargue. «Le symbole de sa nomination par Nicolas Sarkozy a fait du tort à Emmaüs. Il aurait dû démissionner avant d’entrer au gouvernement Fillon. Mais Sarkozy le voulait avec son titre de président d’Emmaüs. Il n’est pas bon d’être associé à un gouvernement quel qu’il soit et il est catastrophique de l’être avec un gouvernement qui a créé un ministère de l’immigration et de l’identité nationale. C’est en totalement contradiction avec l’esprit de l’abbé Pierre qui a toujours lutté contre les idées d’extrême droite. Quand il était venu pour une conférence à Talence, en 1989, c’était la période où le Front National était à son plus haut, il a soulevé la salle en disant : « La France aux Français ? Oui, mais la Terre est aux Humains ». »

Pour Pascal Lafargue, Emmaüs doit farouchement rester indépendant. Pour une question de crédibilité mais aussi de démocratie. « Les associations sont plus que des acteurs sociaux sur le terrain, elles participent directement, et à un niveau élevé, à l’expression démocratique du pays. Elles représentent les gens du terrain. Si on l’oublie, on devient association parapublique ou, pire, un opérateur de prestations sociales. »

« Le RSA, c’est de la com’ »
Interrogé sur le nouveau dispositif du Revenu de Solidarité Active, Pascal Lafargue se montre critique : « Il n’y a rien de fondamentalement nouveau pour les précaires et les Rmistes. Un système de cumul d’une partie des prestations sociales avec un emploi à temps partiel existait déjà, pendant un an. Avec le RSA, les personnes concernées pourront gagner quelques dizaines d’euros de plus par mois et sans limitation de durée mais c’est au prix de la création d’un nouveau statut salarial : celui de salarié pauvre. On risque d’assister à la multiplication des petites boulots. Comme le dit le sociologue Serge Paugam, un des spécialistes de la pauvreté en France, c’est « l’institutionnalisation du précariat ».

Faire valoir ses droits
Pour Pascal Lafargue, « en ces temps de crises financières, économique, sociale et philosophique, alors que tout le monde perd ses repères, que les ultra-libéraux en appellent à l’Etat pour sauver le capitalisme de la faillite et que les socialistes ne jurent que par l’économie de marché », il faut retrouver des idées simples et revenir aux droits constitutionnels. Le droit à la santé, à l’éducation, à un travail, et maintenant, depuis 2007, le droit au logement. Le droit au logement opposable lui parait être une bonne initiative législative, « mais, comme d’autres droits fondamentaux, il ne s’applique s’appliquent pas de lui-même, il faut se battre pour l’imposer ». Aussi Emmaüs a-t-il créé une équipe pour aider les familles à porter plainte contre les Préfets dans le cadre du droit au logement opposable. Dans le même temps, il s’interroge sur la répression qui s’abat sur les associations comme Droit au Logement ou les Enfants de Don Quichotte. « Même si nous n’avons pas les mêmes méthodes, nous les soutenons : est-il normal que des militants qui défendent des droits fondamentaux se fassent molester par la police ou doivent payer des amendes ? »

Les maisons de bois
La méthode Lafargue, c’est plutôt la « provocation positive », comme l’installation le 22 janvier 2008, place Pey Berland d’un chalet d’urgence réalisé par Emmaüs. « Nous voulions commémorer le premier anniversaire de la mort de l’abbé Pierre en disant qu’il était possible de faire rapidement des choses pour les sans-logis. » Pour le président d’Emmaüs Gironde, ces maisons de bois sont une des solutions possibles pour offrir des hébergements autonomes de transition pour les SDF. PLus encore, elles pêuvent s’adresser aux familles, grâce à de vraies maisons de 5 pièces pour moins de 100 00 euros. « Trois sont en cours de construction à Bacalan, une vingtaine vont l’être à Clermont-Ferrand ». Il reste néanmoins la question du manque de foncier en ville, ce qui relance la piste des réquisition de logement, comme l’a souligné le débat qui a suivi l’intervention de Pascal Lafargue.

Venu « dynamiser culturellement » le marché de Lormont, Pascal Lafargue aura au moins donné des idées et de l’énergie à ceux qui sont venus l’écouter. Il est vrai que le bonhomme n’en manque pas et qu’il n’est pas avare quand il s’agit de partager une vision globale de la société où la pauvreté ne se combat pas seulement par des mesures spécifiques.

Vincent Goulet

Rencontres d’automne sur les chemins d’Emmaüs de Pascal LAFARGUE, Editions du Bord de l’eau.


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