My farmers, le circuit court 2.0


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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 17/02/2017 PAR Romain Béteille

Voilà des chiffres qui intriguent. Selon la Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt dans un billet datant de juin 2012, 10 000 producteurs feraient appel à la méthode du « circuit court » dans l’ancienne Aquitaine. Cette étude révélait également qu’en moyenne, « la part de la commercialisation via des circuits courts dans le chiffre d’affaires dégagé contribue pour plus de la moitié de ce dernier, dans plus d’une exploitation sur deux », malgré des disparités importantes « liées à la taille de l’exploitation. Selon un dernier recensement national effectué en 2010, 21% des exploitants agricoles feraient appel à cette méthode au niveau national, dont une majorité en nom propre. Le mouvement des épiceries solidaires, des supermarchés transformés en étals de marché ou des boutiques de « consommation responsable » sont venues tempérér ces quelques chiffres. Mais voilà qu’un petit nouveau, une jeune entreprise bordelaise née il y a à peine six mois, veut s’inviter au débat. 

Il y a une application pour ça

Elle s’appelle My Farmers et elle est installée depuis quelques mois au sein de la pépinière éco-créative des Chartrons, à Bordeaux, où son fondateur, Aidan Burney, nous reçoit. Si sa jeune société a pour objectif, comme toutes les jeunes start-up, de faire du business, il y a derrière l’initiative proposée une forme d’utopie et de « révolution alimentaire », mots que l’on a entendu de la bouche même de Nina Deswarte, community manager de l’équipe. Le principe ? Une application, pour l’instant gratuite et lancée en janvier dernier et permettant un contact et une géolocalisation directe entre les agriculteurs et les consommateurs. En spécifiant simplement le type de produit que je recherche, je peux voir quelle exploitation agricole le propose aux alentours. Un mélange curieux entre Uber et Waze (l’application de GPS communautaire), qu’Aidan tente de justifier.

« Le mouvement actuel de circuits courts est une première étape », explique-t-il, « ce n’est pas vraiment quelque chose de très évolué, ça reste très limité pour le moment. En même temps, il y a une prise de conscience assez globale qui augmente chaque année parce qu’on a de plus en plus de preuves de l’importance de ce qu’on mange pour notre santé mais aussi pour l’environnement. Les gens recherchent plus de contrôle, qui chaque année se réduit. Il y a un combat entre les grosses sociétés et le public en général. Il y avait trois fois plus de fermes il y a vingt ans qu’aujourd’hui. Nous voulions créer un système dans lequel on pourrait contrôler ce que l’on mange et savoir d’où ça vient, totalement indépendant et sans intermédiaires ». 

Révolution alimentaire

Cette idée de « l’environnemental friendly » n’est pas qu’utopiste, elle est aussi une prise de conscience née, pour Aidan, d’une histoire très personnelle. « Il y a environ un an et demi, raconte ce dernier, « ma soeur a eu une leucémie. Quand je suis allé à l’hôpital, j’ai vu qu’ils lui donnaient cette horrible nourriture dans un établissement privé et très cher. C’était de la nourriture tellement cuite qu’il ne restait aucun élément nutritif à l’intérieur, c’était comme si elle mangeait du papier. J’ai alors commencé à lire des bouquins sur l’importance de la nourriture, comment une nourriture particulière pouvait avoir un impact singulier sur un type ciblé de consommateur. J’ai commencé à cuisiner pour elle tous les jours, c’est comme ça qu’est née ma fascination pour la nourriture. Je me suis dit que c’était si important et que ça avait un tel impact sur nos vies que nous devions faire quelque chose ».

L’entreprise, née avec environ 75 000 euros de fonds propres, dispose pour l’instant d’un carnet de contact d’environ 200 agriculteurs un peu partout en France, majoritairement localisés dans sa région de naissance. Plus qu’un listing, c’est le ciblage avec le moins d’informations personnelles possibles (l’agriculteur contrôle totalement les informations qu’il diffuse sur son profil et le consommateur ne renseigne pour l’instant que son code postal et utilise la géolocalisation pour repérer les exploitations) qui reste la clef du système. « Notre business model, c’est un jeu de nombre. On a besoin de travailler avec beaucoup d’agriculteurs et beaucoup de public, de toucher le plus de gens possible. Pour l’instant, on appelle tous les producteurs en leur posant plusieurs questions sur leurs techniques et leurs méthodes de production pour vérifier qu’ils sont honnêtes et que ce n’est pas d’énormes structures. On va essayer de trouver plusieurs partenaires, des grandes institutions notamment. La Nouvelle Aquitaine servira de point de départ, de preuve que ça marche », précise Aidan. 

Vitesse supérieure

Dans environ deux mois, My Farmers passera à la seconde étape de son évolution, en ouvrant un système de « club » : au lieu que le consommateur recherche un produit, ce sera le logiciel qui s’adaptera à lui en créant des groupes de gens en fonction de leurs particularités alimentaires : les vegans sauront où trouver leurs produits, pareil pour les omnivores. Pour l’heure, on peut seulement filtrer ses choix en fonction de seize catégories de produits différents. Plus ciblé à la fois dans son public et dans les notifications que ses utilisateurs pourront avoir, cette version 2.0 aura un prix : entre trois et quatre euros mensuels pour l’utilisateur public et environ dix à douze euros pour l’agriculteur. L’intérêt financier pour les professionnels de faire appel à un tel système ? La marge. « Ce que l’on va dire aux agriculteurs, c’est qu’avant de vendre leurs produits aux supermarchés à un prix standard, ils pourront utiliser leur propre réseau pour vendre au maximum à un prix plus intéressant pour eux et trouver leur cible parfaite. On voudrait aussi inviter les agriculteurs à venir en ville pour créer des points de vente. Ca ne sera pas un marché, ce sera comme un rendez-vous informel ». 

Le tout, explique le chef d’entreprise, se fera « sans toucher de commission ni contrôler le montant des choses qu’ils vendent », d’où le prix comparable à un service premium. Chose intéressante, c’est sur le public et les utilisateurs de son application que l’entreprise compte pour modifier son carnet d’adresses si nécessaire, via la possibilité de laisser des commentaires ou des notes, comme pour un restaurant. « Nous avons besoin du public pour faire des retours sur ce qui ne va pas dans certaines exploitations qui sont inscrites. On ne peut pas aller dans chaque ferme individuellement, nous projetons donc de lancer une consultation annuelle, un questionnaire global pour tous les utilisateurs ». My farmers a donc de grandes ambitions. Et si elle a pour l’instant ses limites, son créateur n’a pas vraiment peur de bousculer un peu les choses. « Je suis sûr que l’on va être attaqués par les grands groupes si le processus commence à fonctionner. Notre objectif est aussi d’être disruptifs dans un marché qui est très contrôlé par les grands groupes. Je pense que c’est le moment d’essayer. Si nous pouvons rendre le bio moins cher où plus accessible à chacun, alors nous commencerons à avoir un impact parce que nous pourrons changer le moyen dont les agriculteurs produisent ». Bien vaste chantier.  

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