C’est une saison de transition pour le Théâtre du Port de la Lune (ou TnBA pour les intimes). Pas dans la programmation, présentée ce mercredi à la presse et au public, mais en coulisses. Pour sa directrice, Catherine Marnas, c’est notamment un premier mandat qui s’achève et un second qui prend la suite. C’est aussi la célébration du soixante-dixième anniversaire des Centres Dramatiques Nationaux. « Pendant les heures les plus noires de notre histoire, en pleine guerre, des hommes ont tenu bon en s’accrochant à une utopie. Parmi les mesures qu’ils jugeaient essentielles, il y avait cette idée là : l’État doit subventionner la Culture sur tout le territoire (…) Voilà notre mission, une sorte de fabrique de théâtre où, jour après jour, vous partagez avec nous les fictions que nous inventons pour parler du monde », écrit-t-elle dans un billet servant d’introduction à la programmation annuelle.
Entre modernité et classiques
Mais que pourra-t-on y retrouver ? 23 propositions très différentes jalonnant entre octobre et mai prochain, dont des propositions inscrites dans le cadre du Festival des Arts de Bordeaux Métropole. Par exemple, cette co-production TnBA, nommée Haskell Junction, nous a tapé dans l’oeil. Mis en scène par Renaud Cojo (déjà derrière la symphonie rock « Low Heroes » à la Philarmonie de Paris et l’Opéra de Bordeaux), c’est un travail divisé en deux (une performance live et un film) basé sur un voyage dans une ville bien particulière, Stanstead. Cette dernière est connue pour son opéra mais surtout pour sa situation géographique très singulière : il franchit les deux côtés de la frontière entre le Canada et les États-Unis. Une manière originale d’aborder le thème de la frontière, à la fois géopolitique et psychologique de la situation des migrants fuyant leur pays (12-21 octobre) On a aussi été séduits par la proposition de Spartoï, une pièce « mythologique de science-fiction » proposé par les artistes Groupe Apache : l’histoire de cinq personnages revenant aux origines de l’humanité. Contactés par des chercheurs pour expérimenter une nouvelle vie dans une zone radioactive de la planète, ils vont à leur manière combattre un monde « googleisé » et asservi par les nouvelles technologies. Après que leur adn ait été modifié grâce à l’implémentation du gène d’un loup, ils vont devoir réapprendre le quotidien, dans un huis-clos alliant le tragique et la comédie. (20 au 25 octobre).
Le TnBA sait aussi séduire ailleurs, dans des réinterprétations contemporaines du patrimoine classique. Ainsi, ce spectacle de danse baptisé « Un break à Mozart 1.1 », rencontre entre les relents profondément urbains du hip-hop et l’oeuvre du célèbre compositeur de Salzbourg. Petite originalité, son chorégraphe (Kader Attou) et ses onze danseurs s’allieront à une dizaine de musiciens de l’Orchestre des Champs Elysées dans un partenariat étroit avec l’Opéra National de Bordeaux (du 9 au 11 novembre). Cette saison est aussi l’occasion de rappeler que la directrice du TnBA fait aussi de la mise en scène. Ce sera le cas cette saison avec deux créations originales : l’une (« 7 d’un coup ») centrée sur une adaptation libre d’un conte de Grimm, « Le vaillant petit tailleur » (du 21 novembre au 2 décembre); et la seconde (« Mary’s à minuit ») basée sur un texte de Serge Valetti, sorte de portrait de femme mis en scène sous forme d’un monologue et de « délires d’esprit » (du 23 janvier au 9 février). Le temps d’une « ménagerie de verre », le metteur en scène Daniel Jeanneteau invoquera le grand Tennessee Williams dans une réinterprétation de cette tragique histoire de famille de basse condition (du 27 février au 3 mars). Ce n’est pas le seul texte classique proposé : Shakespeare ou Marivaux traverseront aussi la saison.
Contexte difficile ?
Enfin, le TnBA sera traversé cette année par deux nouveautés contextuelles. La première est une originalité de programmation : une « saison bis », « ouverte à tous ». Elle prendra la forme de débats publics (organisés pour la sixième année consécutive par la Librairie Mollat, l’Université Bordeaux Montaigne et le TnBA) qui arboreront cette année le thème du « peuple » et de ses différentes représentations. Intellectuels, artistes et créateurs confronteront leurs avis au cours d’un calendrier qui n’est pas encore communiqué, mais on nous promet toujours un accès gratuit et, du coup, « une réservation indispensable » pour qui voudrait y assister. La saison bis, c’est aussi une plongée dans les travaux des élèves comédiens de l’éstba : des lectures, des présentations publiques avec ateliers d’improvisation théâtrale ou de pratique pour cette école qui fêtera son dixième anniversaire au moyen d’un évènement spécial en décembre prochain.
La deuxième nouveauté est un peu moins glorieuse, c’est peut-être la face cachée des Centres Dramatiques Nationaux. En janvier dernier, on a appris que le TnBA était assigné devant le tribunal de grande instance de Paris par le Syndicat français des artistes interprètes (SFA-CGT, FO et CFDT), qui réclame huit millions d’euros (dont 355 000 euros pour le TnBA) pour le non-respect d’un accord datant de 2003 les engageant à un certain volume d’emploi des artistes interprètes. Problème, la décision est depuis lors repoussée, et le couperet pourrait tomber en novembre. « La menace est lourde et cette assignation est régulièrement repoussée », a commenté ce mercredi Catherine Marnas. « Pour être sûr de remplir le quotat demandé, il faudrait le faire sans salle. C’est la première saison où on marque cette réserve pour les compagnies invitées. Cela pourrait avoir une incidence sur la programmation et même entraînée une programmation ponctuelle du théâtre ». En attendant la décision, le TnBA semble donc vouloir maintenir le cap, à la fois dans son ouverture et les spectacles proposés en itinérance et dans ses choix artistiques et ce malgré un frein sur le nombre de spectacles proposés (23 contre 31 pour la saison précédente). Un bilan malgré tout positif selon Catherine Marnas, qui confirme « une augmentation de 2300 abonnés supplémentaires en trois saisons ». En 2015, son budget était de cinq millions d’euros.