Le Grand Entretien – Sandrine Derville, le littoral durable « à la carte »


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Le Grand Entretien - Sandrine Derville, le littoral durable "à la carte"

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Temps de lecture 12 min

Publication PUBLIÉ LE 29/11/2019 PAR Romain Béteille

@qui.fr – Le 15 octobre dernier, le GIP Littoral a entamé la réflexion sur une étude engageant Lacanau, Le Porge et Lège Cap Ferret autour d’une « stratégie d’accueil sur les plages de gironde soumises à la pression métropolitaine ». Le 21 novembre, elle a lancé un appel à candidature par l’intermédiaire d’un marché public qui précise deux échéances : l’une à moyen et l’autre à long terme. En ayant connaissance des multiples travaux déjà menés par le GIP Littoral et les communes, notamment autour des « plans plages« , quel est pour vous le but premier de cette étude et quel résultat peut-on en attendre ?

Sandrine Derville, vice-présidente de Nouvelle-Aquitaine en charge du tourisme – Ça ne doit pas être une démarche de totale sanctuarisation du littoral causée par l’érosion, mais une réflexion pour adapter les activités. Cette étude a été centrée sur la Gironde et certaines plages, essentiellement celles fréquentées par la métropole bordelaise parce que ce sont les plages et les communes qui sont soumises directement à une problématique de forte fréquentation, des plages mais aussi des routes d’accès. Le point le plus délicat, c’est bien Bordeaux.

Depuis 2010, les opérations de réaménagement des plages (postes de secours mobiles, sanitaires, ect.) se sont multipliées en Nouvelle-Aquitaine, elles ont aussi contribué à renforcer l’attractivité de nos plages, qui est déjà naturellement assez élevée. Pour la région, c’est un enjeu majeur d’aménagement du territoire. Il est nécessaire pour répondre aux attentes des usagers, de repenser le fonctionnement des plages. Les attentes des touristes ont évolué, certaines plages n’ont pas bougé depuis ces années-là, sans compter le fait que ce sont des espaces naturels très fragiles soumis au risque d’érosion (et de submersion pour le nord de la région). Les plages les plus proches de la métropole sont plébiscitées par les populations urbaines, on a des niveaux de fréquentation record et certaines plages s’interrogent sur leur capacités d’accueil. Il y a eu plusieurs études faites indépendamment, mais toutes les communes arrivent au même constat : la fréquentation explose et elle est de plus en plus large sur l’année. Les configurations territoriales ont fait que chaque commune a mené indépendamment sa politique. Ce n’est pas un regret, mais il manque une cohésion d’ensemble. 

@qui.fr – L’étude est donc censée permettre aux communes d’avoir une stratégie partagée ? 

S.D – On souhaite faire évoluer cette gouvernance pour que les collectivités continuent à être maîtresses de l’aménagement sur leur territoire mais puissent collaborer. Le grand intérêt, c’est que tous ces aménagements ont été menés dans le cadre du GIP Littoral, qui est vraiment une structure au sein de laquelle travaillent toutes les collectivités. Même s’il y a des marqueurs forts pour certains, comme Le Porge qui a fait le choix du zéro déchet, on a des orientations partagées, ce qui aide à la collaboration entre les différents sites. Il y a aussi cet enjeu de communication globale vers les usagers pour qu’ils sachent au moment où ils vont partir à la plage quelles conditions ils vont y trouver. On a depuis plusieurs années des plages qui sont fréquentées par des populations nouvelles qui ont différents types d’usages. On a l’avantage d’avoir 189 plages en Nouvelle-Aquitaine qui peuvent répondre à tous, mais l’enjeu de l’étude est aussi d’analyser ces derniers. On va essayer d’y aller en plusieurs étapes. L’objectif, c’est d’avoir à l’issue de cette étude une stratégie d’accueil collective pour les usagers de proximité. Il ne s’agit pas simplement de la stratégie des communes littorales, il faut qu’elle soit partagée avec la métropole bordelaise. Il faudra donc une feuille de route et un plan d’actions à court, moyen et long termes. Un des préalables, c’est de rester dans la philosophie de ce qui a été fait depuis des années, pas d’avoir des quatre voies qui vont desservir toutes les plages et d’étendre les parkings. Dans un premier temps, il sera nécessaire d’avoir une connaissance très fine des usagers de proximité : d’où ils viennent, quand, qu’est-ce qu’ils attendent, pourquoi ils viennent là et pas à côté. Ensuite, il faudra évaluer l’impact à court termes des mesures qu’on a inscrites : les volume des reports de fréquentation qu’on peut envisager, étudier les changements à venir dans l’aménagement des plages pour en estimer la fréquentation en fonction de évolutions démographiques de la métropole et de leur impact sur le littoral, étudier les conditions de reports d’un site à l’autre en fonction de la typologie des publics.

Il y aura aussi un travail sur la compréhension et l’acceptabilité des mesures, à la fois par l’usager de la plage et par les élus locaux. Le maire d’une commune n’a pas forcément envie qu’on produise une solution dans laquelle on préconisera d’aller plutôt chez le voisin. Il faut donc qu’ils soient associés, le but n’est pas de vider une commune pour en remplir une autre, il faut une méthodologie participative. Une deuxième phase devra faire des propositions plus opérationnelles, élaborées avec les collectivités sur l’aménagement, la gestion des plages. Ça pourrait par exemple passer par l’ouverture de nouvelles zones surveillées. Au Pays basque, ouvrir de nouvelles plages surveillées, ce n’est plus possible. En Gironde, cette possibilité existe. 

@qui.fr – À quelle échéance peut-on attendre des résultats concrets et que devront faire les communes pour anticiper les changements que l’étude mettra en avant ?

S.D – L’idée, c’est que les deux phases durent à peu près un an. C’est très court, je pense objectivement que la phase 2 peut déborder, d’autant que dans l’année à venir, on aura des élections. Il faut lancer la phase une dès que possible, dès cet hiver pour avoir une période d’étude avec les usagers. Ensuite, il y aura plusieurs volets et échéances. Par exemple, si on veut ouvrir une nouvelle baignade surveillée, il faudra nécessairement des études.

Au-delà de prérequis comme une réflexion sur les mobilités alternatives, il faut penser dès le début à une gouvernance qui associe l’ensemble des partenaires. Ce qui serait intéressant, c’est d’arriver à associer tous les acteurs institutionnels et autorités organisatrices des transports pour que l’usager de la métropole ait toutes les informations dès le début. Le GIP peut être ce lieu de la concertation. On sait que certaines plages n’existeront peut-être plus dans le futur à cause de l’érosion ou que leurs capacités d’accueil seront nettement réduites. Pour ne pas se retrouver avec des phénomènes comme Le Signal, il faut que les collectivités fassent des acquisitions foncières, ce qui mettra des années à se faire. Le plan d’action va donc être bien plus long que les études, même s’il peut y avoir malgré tout des mesures immédiates. 

@qui.fr – L’une des priorités centrales de ce type de stratégie commune, c’est la mobilité. Certaines communes (comme Oléron) développent des services de navettes gratuites, d’autres choisissent de créer une boucle piétonne (Seignosse), d’autres encore créent des parkings à vélos pour inciter les gens à ne plus utiliser la voiture (Messanges). Le Porge, de son côté, a réduit ses places de parking (non sans quelques broncas), mais certains exemples comme l’augmentation des prix de ces derniers (notamment depuis la réforme du stationnement municipal) n’a pas toujours été bien accueillie par les usagers et les commerçants alentour. Ces solutions sont encore isolées les unes des autres, comment faire en sorte qu’elles soient partagées ? 

S.D – C’est un cumul de plusieurs solutions. Les navettes gratuites sont un succès, notamment l’exemple d’Oléron. Au Pays Basque, Anglet les a aussi mises en place. Certes, ça coûte très cher et c’est une goutte d’eau, la plupart des touristes continuent à venir avec leurs voitures. Malgré tout, la fréquentation est multipliée chaque année par trois ou quatre. Plus on créé de navettes et plus les gens les utilisent. Je pense qu’il faut continuer vers ce type d’alternative, mais il n’y a pas une seule solution au problème.

Il faut aussi réfléchir à améliorer l’accessibilité en vélo et à limiter l’impact des parkings sur les plages. Au Porge, la commune avait 3100 places de parking. En actant leur réduction, elle est passée à 2400 places avec un parking qui, à l’année, est plutôt vide. Il est saturé deux ou trois semaines dans l’année mais même quand il y avait 3100 places, il y avait 3200 voitures garées. Les résultats de cet été sur la saison 2019 (arrêtés au 31 août) montrent que la plage du Gressier a connu cinq jours de saturation complète. Sur le reste de la saison, le site était bien dimensionné et a pu accueillir sans problème les visiteurs. Pour ce pic de fréquentation, les retours des maires et des agents de l’ONF disent que ces cinq jours ont été beaucoup plus extrêmes que les années passées : des gens se sont garés n’importe où y compris sur les accès secours, d’autres ont été agressifs vis-à-vis des agents de l’ONF présents. Certains comportements sont explicables : ça prouve que même si on choisit de réduire les parkings, il faut prévenir les gens suffisamment en amont. C’est un peu de qu’à fait la Dune du Pilat : on sait combien de places il reste assez longtemps avant d’arriver sur le parking. Sur un site comme la plage du Gressier, on peut savoir quasiment en temps réel combien il y a de place, on va d’ailleurs continuer à y travailler en rajoutant des capteurs. L’enjeu est le même : prévenir. 

Le choix appartient aux collectivités. Le Porge a choisi de réduire le nombre de places par rapport à leur politique annuelle mais de laisser le parking gratuit. Ils auraient pu le rendre payant pour amortir leurs frais de fonctionnement. Chaque cas est différent, tous les parkings ne peuvent pas être aménagés de la même façon, les configurations des lieux imposent aussi des choix. En tout cas, c’est un mix de plusieurs solutions. Le GIP mène des travaux sur des dispositifs de prévision des flux en parallèle de l’étude girondine. Les deux doivent être liés. On a lancé un volet sur différentes plages pour installer des compteurs, des modes de captation qui permettent de savoir en temps réel combien il y a de personnes sur les plages. L’objectif, c’est de coupler ces données là à celle des maîtres-nageurs sauveteurs pour créer un modèle prédictif pour essayer de voir sur la journée les pics de fréquentation. On veut pouvoir, à l’issue de l’étude girondine, avoir un modèle performant pour mettre en œuvre le plan d’actions. Il va falloir du temps pour que les gens changent de comportement. Ils ont déjà changé sur l’exemple du zéro déchets, on peut aussi y arriver sur les mobilités mais il faut offrir des alternatives aux gens. Pour l’instant, chacun agit indépendamment. Le type de démarche qu’on mène actuellement sur l’accessibilité des sites peut amener à multiplier les démarches collectives. Certaines communes pourraient se grouper pour porter leurs navettes ensembles, les rendre compatibles avec les cars interurbains qui existent déjà. Les travaux en commun doivent continuer, y compris par la région. Elle analyse les fréquentations pour combiner l’offre existante et réfléchit à adapter les parcours pour la desserte des sites touristiques proches. C’est la même chose au niveau des trains.

J’ai des amis qui continuent à aller à la plage en voiture parce que même en bataillant pour trouver une place, ça va plus vite qu’en bus, à pied, en train ou en vélo. Si, en revanche, on développe des zones à 30 partagées avec les vélos et les piétons et que le temps de trajet est multiplié, ça peut être une solution. Toutes les communes ne peuvent pas mettre des zones à 30 (comme à Sainte-Marie de Ré), je ne suis pas sûre que si la route qui va de Porge-Bourg à la plage était à 30, ça réduirait le nombre de voitures. À Seignosse, la boucle piétonne est aussi faite pour inciter à réduire l’utilisation de la voiture. Certaines communes travaillent aussi à changer les circuits en voiture. Il ne ressortira pas de solution unique, ce sera à la carte et chaque commune choisira les aménagements adaptés.

@qui.fr – Autre volet important dans l’optique d’une gestion durable : la gestion des déchets. Là encore, il y a plusieurs écoles, comme celle du Porge ou d’Hossegor qui suppriment les poubelles en bord de plage. Y’a-t-il une logique globale derrière les différentes initiatives ?

S.D – J’ai l’impression qu’on en arrive à une tendance assez commune pour aller vers le moins de déchets possibles sur les plages et de valoriser ceux qui restent. Le Porge a fait le pari du zéro déchets, la plupart des communes travaillent vers ce type de démarche. C’est en train d’être dupliqué à Vieux Boucau (Landes), je pense que Mimizan est aussi sur ce type de démarche. La première fois que j’ai appris la démarche du Porge, je me suis dit que c’était un projet fou, c’était un vrai pari. La commune ramassait en 2013 90 tonnes de déchets sur ses parkings et 27 tonnes sur la plage. En 2014, ils ont supprimé les poubelles sur la plage et mis des zones poubelles uniquement dans les parkings. Ils sont passés à 9 tonnes sur les plages et même sur les parkings, on a vu une baisse de 90 à 69 tonnes. Je pense que c’est une question d’éducation et de dissuasion. Quand on a une poubelle pas loin, c’est facile d’aller jeter ses emballages. Quand elle est dans le parking, il faut rassembler et organiser, on va donc réfléchir à en ramener moins. Notre mode de vie fait qu’on est plus attentifs sur notre production de déchets. Les communes du littoral qui nous saisissent y réfléchissent. Certaines envisagent des solutions de tri nouvelles, mais l’enjeu est le même. Actuellement, il reste au Porge 6,2 tonnes à traiter sur les parkings et 0,2 tonnes sur les plages, ils en valorisent près de la moitié parce que la réduction rend la valorisation plus facile. Il y a aussi eu un gros travail avec les scolaires, ce sont de bons prescripteurs. 

@qui.fr – Où en est-on aujourd’hui avec les plans plage ?

S.D – Une grosse partie du littoral d’ex-Aquitaine est couverte. Depuis dix ans, tous ces investissements ont représenté environ 20 millions d’euros toutes collectivités confondues dont environ trois millions d’aides directes de la région. Plus de vingt sites sont totalement requalifiés ou en train de l’être et une quarantaine d’autres ont engagé des démarches d’études. Le plan plage du Porge est en train d’aboutir, Biscarosse a créé des nouveaux services et fait des travaux sur la gestion des accès à la plage, Lacanau a terminé les études et les premiers travaux vont débuter en 2020 sur la plage lacustre du Moutchic et sur la plage du Lion. Lège-Cap Ferret a entamé une étude. Une grande partie du littoral landais et girondin est couvert par des plans plages, des travaux commencent aussi à s’engager au Pays Basque. D’autres démarches, qui ne faisaient pas partie des dispositifs « plans plages », ont été engagées par exemple sur le territoire d’Oléron ou en Charente-Maritime. Côté région, on adapte nos règlements d’intervention à ces nouveaux plans, on a modifié nos aides pour pouvoir accompagner plus fortement certains volets comme la mobilité alternative, l’accueil ou la gestion des déchets. Quand on voit chez le voisin un plan plage plutôt réussi, on a peut-être envie de faire la même chose. Espérons que les expériences positives en inspirent d’autres.

@qui.fr – Concernant la « stratégie numérique », dont on a parlé par rapport aux transports, va-t-on aussi vers une tendance d’informations partagées ? Beaucoup des 189 plages néo-aquitaines ne sont pas forcément couvertes pour fournir des informations aux usagers via le numérique…

S.D – Certains territoires ont une stratégie partagée comme au Pays Basque où ils ont mis en place une application. D’autres ne sont pas dans ce type de stratégie mais ça va faire partie des propositions du GIP : on va aller voir un certain nombre de collectivités qui ne semblent pas organisées sur cette stratégie numérique pour leur proposer de la donnée. On sait en collecter sur plein de points : température des eaux de baignade, couleur des drapeaux, fréquentation, ect. Reste à les partager, mais c’est bien le rôle des collectivités pour que les communes l’intègrent dans leurs propres applications. Tout le littoral n’est pas couvert, mais la région ne développera pas une application unique, je ne suis pas sûre qu’elle trouve son public. L’étude stratégique girondine peut s’étendre à tout le littoral néo-aquitain, mais elle n’aura de sens que si tout le monde s’en empare, c’est tout à fait envisageable à terme.

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