C’est presque un rendez-vous désormais. Tous les deux ans depuis 2011, c’est la grande Maria Pages et sa compagnie qui ouvrent le festival Arte Flamenco de Mont-de-Marsan. Un passage chaque fois salué par le public de l’espace François Mitterrand, par de longs applaudissements debout en fin de spectacle.
Après Prosper Mérimée et Georges Bizet, il était temps que le triste sort de Carmen passe entre les mains d’une femme, et quelle femme… Mais, plus qu’une reprise supplémentaire de l’histoire de la belle bohémienne, c’est une réappropriation complète du mythe, du personnage de Carmen qu’opère Maria Pagès. La chorégraphe ici, comme bien souvent en Flamenco, ne s’attarde pas sur le récit littéraire, et la dramaturgie autour des personnages de Carmen et de Don José. Ce qui l’intéresse c’est « seulement » Carmen, en tant que femme, et tous les clichés et projections qu’elle porte en elle. Maria Pagès elle-même le clame pendant le spectacle « Carmen, c’est toutes les femmes et toutes les femmes sont Carmen. C’est moi, c’est vous, c’est elle, c’est la femme, c’est toutes les femmes ! ».
La vérité de la femmeLe ballet est donc quasi uniquement féminin, et fièrement féministe, dans un flamenco qui ne craint pas les enrichissements contemporains, où les tableaux s’enchaînent pour au final mieux libérer la femme des rôles qu’elle on lui fait endosser, et exprimer ses questions, ses douleurs, ses forces, ses fragilités,… La Carmen de Mérimée n’est en réalité que le point de départ d’une réflexion plus large, plus éthique, dans laquelle la chorégraphe danseuse convie les mots de Marguerite Yourcenar, Margaret Atwood, et d’autres paroles d’artistes féminines du monde entier… sans oublier la sienne. Car non seulement Maria Pagès danse, avec tout le talent et l’énergie que le public montois lui connaît désormais, mais comme pour exprimer plus encore cette critique, comme si son corps ne suffisait pas, elle chante « Basta ya ! », pleine de la fierté de la femme révoltée, avec ses deux cantaoras, accompagnée par ses danseuses. L’expression aussi d’une liberté prise par la bailaora, celle de chanter: « Assez! », des diktats que la société et son regard souvent masculin, pose et impose à la femme sur son rôle, sa place, jusqu’à sa propre image. La femme parfaite, n’est pas la vérité de la femme.
Mais Maria/Carmen, face à son miroir sur des airs de l’habanera de Carmen (L’amour est un oiseau rebelle) se défait des apparats et subterfuges qu’elle utilise pour être à l’image de celle que l’on attend qu’elle soit. La « vraie femme », enfin, la femme libre, qui ne risque pas d’être tuée parce qu’elle se refuse à un homme (puisque c’est le destin que Mérimée réserve à sa Carmen…), s’empare de la scène. Femme libre, heureuse, et fière.