« La dernière bande » et « Cette fois », Beckett revisité


Pierre Planchenault

« La dernière bande » et « Cette fois », Beckett revisité

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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 14/11/2008 PAR Piotr Czarzasty

Pour le metteur en scène Jean-Luc Terrade l’écriture de Samuel Beckett est loin d’être un mystère. Parmi les nombreux spectacles qui figurent sur le compte de Jean-Luc Terrade, les textes de Samuel Beckett y apportent une contribution non-négligeable. Deux spectacles de théâtre gestuel ( « Silence Ecrit » et « Gouttes de silence ») à partir des oeuvres « Nouvelles pour Rien », « Bing », et « l’Innommable », sont mis en scène déjà dans les années 80. En 2002 cinq textes avaient été créés: « Berceuse », « Pas moi », « Fragments de théâtre 2 », « Cette fois » et « Solo ». Enfin début 2009, ce sera le tour de « Oh les beaux jours », avec une des comédiennes de la compagnie, Babeth Fouquet.

Le triomphe du fond sur la forme
Cette relation très étroite avec l’écriture de Beckett constitue tout de même un tournant dans l’approche artistique du metteur en scène. Alors que, jusqu’à présent celui-ci cotoie l’écriture chorégraphique où le corps se retrouve en premier plan, chez Samuel Beckett c’est tout le contraire avec une économie de gestes et d’images qui consacre la primauté du langage, des mots. « En travaillant sur Beckett on ne peut faire parenthèse sur son écriture; celle-ci pourrait bien se passer d’illustration quelconque d’ailleurs, j’avais tout de même du mal personnellement à la concevoir sans images. » explique le metteur en scène. « Le travail sur la forme est tout aussi fascinant chez Beckett, on passe des vagues réminiscences d’un théâtre conventionnel aux simples installations que l’on pourrait bien imaginer dans une salle d’expositions.

Un retour douloureux vers le passé
Ainsi, dans « La dernière bande », c’est un vieux personnage qui se dessine devant nous, au visage pâle cheveux gris, longs, décoiffés, vêtu de manière tout aussi désordonnée. Assis devant son bureau, il semble plongé dans une réflexion interrompue de temps en temps par des coups d’oeils sur son horloge de poche qui ressemble plutôt à une grosse pendule ; des va et vient avec une banane dans la bouche ou encore des « escapades » vers la cuisine d’où on ne peut qu’entendre le son très familier de nouvelles bouteilles de vin débouchonées. Mais notre héros se concentre avant tout sur l’enregistrement de ses souvenirs d’il y a trente ans qu’il réécoute attentivement. C’est là que se déroule le drame non-prononcé d’une vie ratée d’un homme qui avait jadis privilégié une carrière d’écrivain au détriment d’une femme, dont il était tombé amoureux. La visible regret se mêle à la joie presque hystérique qui accompagne chaque écoute, avant que notre personnage ne se traite finalement de « con ».

dernière bandeUne illusion pour y croire encore, avec un peu de dérision quand même
Le deuxième volet du spectacle est, lui, beaucoup plus économique sur sa forme. « Cette fois » nous présente un autre visage pâle, plus jeune cette fois, englouti dans une obscurité totale, avant qu’on ne voit apparaître trois masques autour de lui qui semblent représenter ses diverses réflexions et pensées. Alors qu’on entend clairement leurs voix, le visage ainsi que les masques restent parfaitement immobiles. « Chez Beckett c’est toujours le même personnage qui s’exprime, son alter-ego, un autre lui-même. » explique Jean-Luc Terrade. « Avec toujours la même obstination, d’arriver à l’essentiel, se débarasser de ce qui entrave la compréhension et se concentrer sur les mots, le langage tant réduit à néant dans une ère de suprématie de l’image. » Une suprématie qui mène cependant à une forte contradiction. « C’est faire semblant d’y croire alors qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir ou que l’on ne peut revenir en arrière. » constate le metteur en scène. Mais Beckett se joue lui même de ce constat. « C’est un provocateur qui ne se prive pas de solutions assez dérisoires ; lorsque le personnage jette une peau de banane vers le public ou pousse des cris aigus sans raison particulière on est un peu dans l’absurde ; Beckett allait souvent plus loin, avec des pièces sans texte consistant en des allers-retours sur scène des acteurs. »

Une approche qui finalement peut s’avérer indispensable pour ne pas sombrer totalement dans la nostalgie de nos souvenirs et des nombreux regrets qui les accompagnent.

Piotr Czarzasty

Photos: Pierre Planchenault

« La dernière bande » suivie de « Cette fois »
les 14 et 15 novembre à 20h45

Journée Samuel Beckett
15 novembre de 10h à 16h30
théâtre du Lycée Montesquieu à Bordeaux

Cie Les marches de l’été
Direction artistique : Jean-Luc Terrade
17 rue Victor Billon – 33110 LE BOUSCAT
05 56 17 05 77 – Fax : 05 56 17 03 83
Email : cmde@club-internet.fr
www.marchesdelete.com

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