La Grande Jonction au féminin


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La Grande Jonction au féminin

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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 08/03/2017 PAR Romain Béteille

En marge d’une semaine digitale annuelle, le Palais des Congrès de Bordeaux-Lac accueillait ce mercredi 8 mars un évènement économique désormais devenu incontournable pour les acteurs de « l’écosystème » bordelais et métropolitain, La Grande Jonction. Et si elle avait pour thème l’animation et le numérique, ce n’était en rien un hasard puisque le même jour s’ouvrait, jusqu’au 10 mars, la dix-neuvième édition du Cartoon Movie, grand évènement à échelle européenne adressé aux professionnels de l’animation. Si la programmation de La Grande Jonction a donc été revue en conséquence, il se trouve que le même jour, on célébrait aussi la journée internationale du droit des femmes.

Les trois premiers intervenants à être montés sur scène étant des premières connaissant bien la question de l’entrepreneuriat au féminin, nous avons souhaité avoir leur point de vue sur la question. Tandis qu’une étude Insee parue ce jour précise qu’en 2015, 68% des femmes entre 15 et 64 ans participaient en effet au marché du travail contre 76% des hommes de la même tranche d’âge (contre 31 points de différence en 1975 !) nous leur avons demandé leur point de vue sur l’évènement et, plus généralement, des recommandations et des précisions sur la relation particulière unissant les femmes et l’entreprise. Ainsi, Marie Christine Bordeaux, Présidente de « Bordeaux Aquitaine Pionnières » (réseau d’une vingtaines d’incubateurs et pépinières mettant en avant l’entrepeneuriat au féminin); Élise Depecker, directrice d’ATIS (Associations Territoires et Innovation Sociale) et Aurélie Piet, économiste indépendante à l’écosystème Darwin, ont répondu, sans filtres, à nos questions. 

@bm – Vous êtes les trois premières à avoir pris la parole lors de cette édition 2017 de La Grande Jonction. Quel est, pour les femmes entrepreneurs que vous côtoyez, l’importance d’un tel rendez-vous ? 

Marie-Christine Bordeaux – C’est un évènement très important qui est relativement nouveau mais qui attire beaucoup de monde dans des secteurs qui, il faut bien le reconnaître, ne sont pas nos secteurs habituels. C’est essentiellement numérique, donc c’est important pour nous d’y participer. 

Elise Depecker – C’est d’autant plus intéressant que les femmes sont sous-représentées dans le domaine du numérique. 

Aurélie Piet – Parfois, les acteurs du numérique font du numérique une fin en soi. Je pense que les femmes en font un moyen pour atteindre une autre finalité, c’est ce qui fait peut-être qu’elles sont sous-représentées. Si elles l’étaient d’avantage, elles accèderaient à des moyens qui leur permettraient de déployer des projets. 

@bm – On dit souvent que l’entrepreneuriat féminin est différent de son homologue masculin. Quels sont, selon vous, les leviers permettant d’étayer cette affirmation ? 

Elise Depecker – Elles vont souvent chercher des domaines qui font sens à leurs yeux plus que les hommes, qui vont plutôt chercher des secteurs plutôt pour un but lucratif…

Marie-Christine Bordeaux – Disons juste qu’elles innovent et créent dans le domaine des services parce ce qu’elles repèrent quelque chose qui manque dans leur vie professionnelle où dans leur vie personnelle et celles qui ont envie de créer leur entreprise vont le faire sur cette bonne idée qu’elles ont détecté. Par exemple, au sein de Bordeaux Aquitaine Pionnières, on a Magic Makers, une boîte qui a détecté chez les enfants un attrait pour les smartphones et les tablettes mais qui s’est dit que ce qui serait intéressant, ce serait de savoir comment c’est fabriqué. Elle propose donc à des jeunes à partir de neuf ans jusqu’au lycée des ateliers de codage. L’enfant apprend donc comment est fabriqué le jeu, apprend plein de choses sur le numérique et a au final une réalisation complète qui lui plaît. Cette entreprise détecte donc un manque, à savoir que les enfants ne sont pas suffisamment au courant de la façon dont sont fabriquées les choses et elle crée le service en conséquence. 

Elise Depecker – L’entreprise Ludosens en est un autre. Priscilla Lolan, sa  créatrice, est aussi la mère d’un enfant autiste et elle a constaté à quel point il était compliqué d’accéder aux jeux et aux jouets adaptés pour l’éducation de son enfant et a décidé de créer le marché de l’occasion du jouet adapté via un support numérique, c’est un peu « Le Bon Coin » du jouet adapté. Pour ça, il a fallu qu’elle arrive à développer un outil numérique qui soit d’ampleur. Elle est en train de mixer une utilité sociale et le numérique. Aujourd’hui, elle est en phase de démarrage et a réussi à créer deux ou trois emplois. C’est ce type de projets là qui est intéressant. 

@bm – Selon une étude de l’Insee parue ce jeudi, l’égalité homme-femme au travail évolue positivement, même si « le modèle de la femme au foyer » reste soutenu par près d’une personne sur cinq. Pour autant, la majeure partie des chefs d’entreprises identifiés restent des hommes. Que faudrait-il faire selon vous pour que, sans s’inverser, cette réalité s’atténue ? 

Marie-Christine Bordeaux – Il y a plein de façons. On attache beaucoup d’importance, par exemple, aux rôles modèles, c’est à dire que les femmes interviennent comme on l’a fait lors de La Grande Jonction ce matin. Dans un monde un peu numérique, ce sont des femmes qui ont parlé, c’est important. Il faut aussi que les créatrices qui ont réussi racontent leur histoire en témoignant que c’est possible et que, donc, d’autres peuvent y arriver. Cette identification positive est primordiale, il faudrait aussi qu’il n’y ait plus de tribune où il n’y ait que des hommes qui interviennent et qui parlent, quel que soit le sujet. Cette mixité ne se fera que si les hommes s’engagent. Un livre paru sur le sujet démontre d’ailleurs que les grands patrons qui se sont engagés dans cette égalité homme-femme au sein de leur boîte et qui aident à la création d’entreprise par les femmes, ça marche. 

Elise Depecker – Pour moi, il ne faut pas non plus céder à la facilité. Si je cherche à monter une conférence, je prends le temps de me demander quelles sont la où les femmes qui pourraient intervenir plutôt que de spontanément prendre le premier homme qui vient. Souvent, il y a des équipes mixtes dans les collectifs d’entrepreneurs, pourquoi on ne ferait pas intervenir la femme ?  

Marie-Christine Bordeaux – Au sein de ces réseaux mixtes, elles sont indentifiées mais il y a aussi les réseaux féminins dans lesquels elles se confortent. C’est important pour faire des échanges de bonnes pratiques, parler business. C’est dans ses réseaux là où l’on peut prêcher la bonne parole et où les uns et les autres se retrouvent. 

@bm – En guise de conclusion à votre intervention, vous avez prononcé un discours assez engagé sous la forme de différentes recommandations. Quelles sont les plus importantes selon vous ?  

Aurélie Piet – On en a pris sept en tout. Par exemple, l’objectif de sensibiliser pendant toute la scolarité au fait d’entreprendre, intéresser plus particulièrement les filles aux sciences, valoriser l’échec à tous les niveaux que ce soit scolaire ou au niveau des financements pour faire en sorte que cela devienne un critère vraiment positif de sélection. 

L’échec fait déjà partie du processus d’apprentissage, il faut l’appréhender comme tel. Il faut qu’on le dédramatise et que l’on dise qu’il nous permet de mieux rebondir et que c’est lui qui nous fait aller plus facilement vers le succès en se servant de ses expériences passées. On a tellement peur de l’échec que souvent, on n’ose même pas s’engager, ce qui est différent d’un marché comme les États-Unis, par exemple, nous avons une approche plus élitiste de la question. Tel-Aviv est aussi un endroit très reconnu pour le développement des start-ups dans lequel on valorise véritablement l’échec. Il faudrait que ça devienne un critère sélectif, même d’un point de vue financier en identifiant les entreprises qui l’ont déjà connu. Je pense que cette question est encore plus prégnante pour les femmes, de part d’avantage de manque de confiance, cette impression de ne pas être assez compétentes ni légitimes. Mais cela reste une question qu’il faudrait traiter de façon générale. 

On a également recommandé que les gouvernements mettent en place des outils spécifiques aux femmes comme des politiques de commandes publiques, des aides pour les gardes d’enfants ou des écosystèmes assez denses. Enfin, il faudrait que, d’un point de vue global, les entreprises privées incluent d’avantage de femmes en tant que fournisseurs et que les médias et les acteurs économique de manière générale les mettent d’avantage en lumière comme des modèles. Je resterai sur le fait que nous avons besoin des hommes pour tout cela, nous sommes dans une société plutôt patriarcale et on a besoin de valeurs plus féminines. 

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